Portrait de Greta Prozor
[fin 1916]
Portrait de Greta Prozor
[fin 1916]
Le portrait de l'actrice Greta Prozor qui fréquentait les milieux artistiques et lisait des poèmes de Pierre Reverdy, constitue l'une des œuvres majeures de 1915-1916.
Peinte durant la Première Guerre mondiale, la toile est précédée de dessins préparatoires à sa réalisation dans une gamme sombre - gris, noir, bleu. Ici, Greta Prozor est représentée assise. La raideur de la tenue du modèle, la sévérité de la coiffure, la matière grattée ou obscurcie, tout contribue à l'austérité du portrait. Comme en suspension dans l'espace pictural fait de superpositions, de transparence, d'ombres et de lumières, la jeune femme est intensément présente.
Domaine | Peinture |
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Technique | Huile sur toile |
Dimensions | 146 x 96 cm |
Acquisition | Don de la Scaler Foundation avec le concours d'un donateur anonyme, 1982 |
N° d'inventaire | AM 1982-426 |
En salle :
Musée - Niveau 5 - Salle 7 : Henri Matisse / Philippe Dupuy
Informations détaillées
Artiste |
Henri Matisse
(1869, France - 1954, France) |
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Titre principal | Portrait de Greta Prozor |
Date de création | [fin 1916] |
Lieu de réalisation | Peint à Paris |
Domaine | Peinture |
Technique | Huile sur toile |
Dimensions | 146 x 96 cm |
Acquisition | Don de la Scaler Foundation avec le concours d'un donateur anonyme, 1982 |
Secteur de collection | Arts Plastiques - Moderne |
N° d'inventaire | AM 1982-426 |
Analyse
L’actrice Greta Prozor (1885-1978), fille d’un diplomate homme de lettres lituanien, et femme de Walther Halvorsen (l’un des nombreux élèves scandinaves de l’académie Matisse, plus tard marchand de tableaux) fréquentait les milieux artistiques et littéraires, et notamment Pierre Reverdy dont elle disait les poèmes (et dont Matisse illustre en 1918 Les Jockeys camouflés). Plusieurs dessins (l’un des plus beaux appartient au Musée) et deux gravures précèdent ou accompagnent l’exécution du portrait, qui n’était pas une commande, et n’appartint jamais au modèle. Selon Greta Prozor en effet, qui enregistra ses souvenirs en 1967 pour la radio de la Suisse romande, « le maître (lui) dit après quelques séances qu’il était arrivé à un point qui ne le satisfaisait pas, mais qu’il ne pouvait aller plus loin, et s’excusa de [l’] avoir dérangée pour rien ». À nos yeux pourtant, cette toile s’inscrit pleinement dans la série des portraits majeurs des années 1913-1917 – le fantomatique et cézannien Portrait de Mme Matisse en 1913, Yvonne Landsberg dépeinte en 1914 parmi le réseau des lignes de force déployées autour d’un visage-masque méconnaissable, Germaine Raynal vue en Femme au tabouret en 1915.
Matisse reprend ici la gamme sombre, gris, noir, bleu foncé, qui est la marque de la Première Guerre. Il accentue de même l’austérité de la tenue du modèle : robe-uniforme à col montant, capeline raide et noire, coiffure sévère. Dans une photographie prise quai Saint-Michel, et qui montre le portrait en cours parmi d’autres toiles, on voit que la position du modèle était à l’origine plus souple, son visage doucement incliné, sa robe peut-être plus claire. Pourtant l’ocre doré que l’on trouve tantôt sous le gris tantôt dessus enrichit l’ensemble, donne à ces superpositions transparence et lumière, et en définitive, contribue à sacraliser cette haute et mince figure, comme le fond d’or des icônes. Suspendue dans l’espace – ses pieds ne reposent sur aucun sol, et peut-on dire qu’elle est assise sur cette ombre de fauteuil ? –, la jeune femme, loin d’être dématérialisée, demeure intensément présente. Le rôle des lignes noires, comme dans d’autres toiles contemporaines, n’est pas de délimiter des formes, mais comme le dit Dominique Fourcade, « les lignes, avec Matisse, courent à travers la couleur […] courent dans l’espace, d’une forme à l’autre, pour mettre à jour des tensions […]. Matisse leur assigne de dire un deuxième sujet, une sorte de sur-sujet qui serait la personne morale, l’être poétique du modèle et la seule façon d’accéder à sa vérité » (D. Fourcade, « Greta Prozor », Les Cahiers du Musée national d’art moderne, no 11, 1983, p. 105-106). Tout comme les zones griffées, grattées, sont des zones de tension avec la couleur, des champs de bataille, qui laissent apparaître quelque chose comme son squelette.
Isabelle Monod-Fontaine
Source :
Extrait du catalogue Collection art moderne - La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, sous la direction de Brigitte Leal, Paris, Centre Pompidou, 2007
Analyse
L'actrice Greta Prozor (1885-1978), fille du comte Prozor, diplomate lithuanien au service de la Russie (et traducteur d'Ibsen), et de la comtesse Prozor, d'origine suédoise, est née à Paris. Elle fréquentait les milieux artistiques et littéraires, et notamment Pierre Reverdy (dont elle disait les poèmes1, et dont Matisse illustra en 1918 Les Jockeys camouflés). Son mariage avec le norvégien Walther Halvorsen, ancien élève en 1909-1910 de l'Académie Matisse, devenu marchand de tableaux, a pu la rapprocher de l'entourage du peintre. Walther Halvorsen possédait d'ailleurs à cette époque deux toiles importantes de Matisse : Parc à Tanger (1912) et Sculpture et vase de lierre2 (1916). Greta Prozor a évoqué ses souvenirs dans un disque enregistré en 1967 par la Radio suisse romande : « Un jour, Matisse me demande de poser pour lui dans son atelier de Paris. Il voulait faire une grande toile, mais commença par des dessins, très nombreux. « Parlez », me disait-il, et il me posait des questions, sur le théâtre, évidemment. Moi, je parlais, avec force gestes. Soudain, il m'arrêtait d'un mouvement de la main, je m'immobilisais et le crayon commençait son travail sans que l'artiste s'arrête un instant. Quand le crayon s'immobilisait, le dessin était terminé. Il y en eut de remarquables. » De ces dessins, nous n'en connaissons que quelques-uns. Le MNAM possède l'une des plus belles études du visage, et plusieurs esquisses. Matisse grava deux portraits du même modèle: une pointe-sèche et une eau-forte, Greta Prozor accoudée au fauteuil dont l'unique épreuve appartient au Musée Matisse à Nice.
Dominique Fourcade, dans la belle et très complète étude qu'il a consacré à ce tableau3, rapproche les souvenirs du modèle du texte que Matisse a rédigé sur sa conception et sur sa pratique du portrait en guise de préface au recueil des reproductions de quelques-uns des plus beaux portraits qu'il avait peints4: « Le modèle doit être détendu et se trouver davantage en confiance avec son observateur, ce dernier embusqué dans une conversation où il n'est pas question de choses particulièrement intéressantes, mais qui joue, au contraire, sur des détails indifférents. Il semble qu'il s'établit alors entre les deux interlocuteurs un courant indépendant des mots échangés par eux, qui sont de plus en plus quelconques. Généralement apparaît, en rapport avec les impressions de cette séance, une construction linéaire. (...) Quelque chose est né à une interprétation sentimentale qui fait sentir à chacun la chaleur du cœur de l'autre, et dont l'aboutissement sera la conclusion du portrait en peinture. »
Sur l'élaboration du « portrait en peinture », les souvenirs de Greta Prozor sont malheureusement plus vagues : « Quant à la toile qu'il entreprit ensuite », poursuit Madame Prozor, « le maître me dit, après quelques séances, qu'il était arrivé à un point qui ne le satisfaisait pas, mais qu'il ne pouvait aller plus loin, et s'excusa de m'avoir dérangée pour rien. »
Nous disposons en fait d'un seul document sur une étape de l'élaboration du tableau, une photographie de l'atelier, prise vers la fin de l'année 19165, et montrant le tableau en cours, assez avancé, en compagnie des portraits (terminés) de Michaël et Sarah Stein, et de Y Italienne, seulement ébauché. La pose rappelle celle d'Yvonne Landsberg (1914) et celle de la Femme au tabouret (1915), une pose qui joue sur l'ambiguïté d'une figure explicitement présentée comme assise, mais qui apparaît en suspension dans un espace décidément vertical — et d'autant plus vertical ici que le format de Portrait de Greta Prozor est particulièrement étroit, et que la figure l'emplit du haut en bas.
Matisse s'est servi ici de la gamme sombre — gris, noir, bleu — qui est la marque des années de la Première Guerre mondiale — et qui correspond aussi à l'austérité de la tenue du modèle : robe bleue à col montant, capeline sombre à peine fleurie, coiffure sévère. Mais l'ocre doré, qu'on trouve tantôt sous le gris, tantôt dessus, module l'ensemble, donne à ces superpositions transparence et lumière, et en définitive contribue à sacraliser cette haute et mince figure, comme le fond d'or des icônes. Le rôle des lignes noires, comme dans d'autres toiles contemporaines, n'est pas de délimiter les formes, de cerner des compartiments de couleur: elles « courent à travers la couleur... courent dans l'espace, d'une forme à l'autre, pour mettre à jour des tensions, et contribuer non descriptivement à la poétique... Matisse leur assigne de dire un deuxième sujet, une sorte de sur-sujet qui serait la personne morale, l'être poétique du modèle et la seule façon d'accéder à sa vérité ».6
Isabelle Monod-Fontaine
Notes :
1. Ainsi la décrivait Max Jacob, présentant Greta Prozor à une soirée de Lyre et palette en décembre 1916 (ou janvier 1917), consacrée à Reverdy:« Mlle Greta Prozor la seule diseuse de vers à ma connaissance qui ait compris la dernièrepoésie moderne. Ce n'est pas elle qui déclamerait articulerait des oeuvres ttesintérieures et (mot illisible), chercherait des périodes où Mr. Reverdy n'en met pas. Non !Mlle Greta Prozor a compris ce qu'il y a de peu verbal dans la poésie moderne et (dans)particulièrement ds celles de Mr. Reverdy : elle a compris que cette poésie vient à la fois dutréfonds de nous-même et qu'elle est aussi très extériorisée mais plus par des objets qu'elle emploie (je le dis à dessein) que par les images et les mots dont elle pourrait s'orner et qu'elle dédaigne. » (Manuscrit de Max Jacob, conservé à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, Paris; cité dans Pierre Reverdy 1889-1960, Paris, Mercure de France, 1962, pp. 16-17).
2. Cf. Jack Flam, The Man and his Art, 1869-1918, Londres, Thames and Hudson, Ltd, 1986, p. 434.
3. Dominique Fourcade, « Greta Prozor », Cahiers du MNAM, n° 11, Paris, Centre Georges Pompidou, 1983, pp. 101-107. Nous empruntons à ce texte, remarquablement documenté, une grande partie des éléments du présent commentaire.
4. Henri Matisse, Portraits, Monte-Carlo, Éditions André Sauret, 1954.
5. Sur la datation de cette photographie, et des tableaux se trouvant alors dans l'atelier, Cf. Jack Flam, The Man and his Art, 1869-1918, Londres, Thames and Hudson, Ltd, 1986, p. 434.
6. Dominique Fourcade, op. cit., pp. 105-106.
Source :
Extrait du catalogue Œuvres de Matisse, catalogue établi par Isabelle Monod-Fontaine, Anne Baldassari et Claude Laugier, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 1989
Événements
Bibliographie
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ARAGON (Louis) .- Henri Matisse, roman -. Paris: Gallimard, tome I et II, 1971 (fig. LXXI reprod. coul. p. 339)
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Collection Art Moderne :[Catalogue de] La collection du Centre Pompidou/Musée national d''art moderne. - Paris : Editions du Centre Pompidou, 2006 (sous la dir. de Brigitte Leal) (cit. p. 446 et reprod. coul. p. 447) . N° isbn 978-2-84426-317-9
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Matisse - La Figura. La forza della linea, l''emozione del colore : Ferrare, Palazzo dei Diamanti, 22 février-15 juin 2014. - Ferrare : Fondazione Ferrara Arte, 2014 (sous la dir. d''Isabelle Monod-Fontaine) (fig. 17 cit. p. 41 et reprod. coul. p. 44 (œuvre non exposée)) . N° isbn 978-88-89793-16-9
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Matisse en son temps. Exposition organisée par le Centre Pompidou avec la participation de collections suisses : Martigny, Fondation Pierre Gianadda, 20 juin-22 novembre 2015 (sous la dir. de Cécile Debray) (cat. n° 34 cit. p. 86 et reprod. coul. p. 87) . N° isbn 978-2-88443-155-2
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Matisse e il suo tempo. La collezione del Centre Pompidou : Turin, Palazzo Chiablese, 12 décembre 2015-15 mai 2016. - Milan : 24 ORE Cultura, 2015 (sous la dir. de Cécile Debray) (cat. n° 34 cit. p. 73, 98 et reprod. coul. p. 99) . N° isbn 978-88-6648-285-7
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Henri Matisse. Le laboratoire intérieur : Lyon, Musée des Beaux-Arts de Lyon, 6 décembre 2016-6 mars 2017 [dossier de presse] (cit. et reprod. coul. p. 7)
Matisse in his time : Oklaoma, Oklaoma City Museum of Art, 18 juin-18 septembre 2016. - Milan : 24 ORE Cultura, 2016 (cat. n° 37 cit. p. 98 et reprod. p. 99) . N° isbn 978-8-86648-295-6
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Henri Matisse. Le laboratoire intérieur : Lyon, Musée des Beaux-Arts, 2 décembre 2016-6 mars 2017. - Paris/Lyon : Hazan/Musée des Beaux-arts, 2016 (sous la dir. d’Isabelle Monod-Fontaine) (cat. n° 98 cit. p. 24, 120 et reprod. coul. p. 139) . N° isbn 978-2-7541-0976-5
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Cinématisse. Dialogues d''un peintre avec le cinéma : Nice, Musée Matisse, 19 septembre 2019-5 janvier 2020. - Paris : In Fine Editions, 2019 (cit. p. 55 (oeuvre non exposée)) . N° isbn 978-2-902302-06-2
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Matisse, comme un roman : Paris, Centre Pompidou, Musée national d''art moderne, 21 octobre 2020-22 février 2021 [initialement prévu 13 mai-31 août 2020]. - Paris : éd. Centre Pompidou, 2020 (sous la dir. d''Aurélie Verdier) (reprod. coul. p. 106) . N° isbn 978-2-84426-872-3
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Pierre Matisse, un marchand d''art à New York : Nice, Musée Matisse, juin-septembre 2021. - Paris : Bernard Chauveau Edition, 2021 (cit. p. 16, 172 (oeuvre non exposée)) . N° isbn 978-2-36306-304-5
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Matisse : Life and Spirit. Masterpieces from the Centre Pompidou, Paris : Sydney, Art Gallery of New South Wales, 20 novembre 2021-13 mars 2022. - Sydney/Paris : Art Gallery of New South Wales/Centre Pompidou, 2021 (sous la dir. d''Aurélie Verdier, Justin Paton et Jackie Dunn) (cat. n° 33 cit. p. 28, 100, 237 et reprod. coul. p. 109) . N° isbn 9781741741537
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Henri Matisse : The Colour of Ideas. Masterpieces from the Centre Pompidou, Paris : Budapest, Museum of Fine Arts, 30 juin-16 octobre 2022. - Paris/Budapest : éd. Centre Pompidou/Museum of Fine Arts, 2022 (sous la dir. d''Aurélie Verdier et David Fehér) (cat. n° 39 cit. p. 153, 323 et reprod. coul. p. 161) . N° isbn 978-615-5987-85-4
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Henri Matisse. The path to color : Tokyo, Metropolitan Art Museum, 27 avril-20 août 2023. - Tokyo : The Asahi Shimbun, 2023 (sous la dir. d''Aurélie Verdier et Tomoko Yabumae) (cat. n° 27 cit. p. 251 et reprod. coul. p. 52)