Etude pour Le Printemps

En 1955, Picasso s’installe avec Jacqueline Roque sur les hauteurs de Cannes, dans la villa La Californie, dont les vastes pièces transformées en ateliers vont lui permettre de réaliser des formats monumentaux, des « paysages d’intérieur » comme la série des « Ateliers de La Californie » en mars 1956, et celle des « Baigneurs peints » (Deux femmes sur la plage, 1956, Paris, MNAM) ou sculptés (Les Baigneurs, bois, Stuttgart, Staatgalerie). Il renoue avec les thèmes mythologiques, illustrés par des bacchanales érotiques (Bacchanale, 10 octobre 1955, MNAM) et par des scènes bucoliques comme Le Printemps (20 mars 1956, MNAM), acquis par le Musée après sa présentation dans l’exposition « Picasso. Peintures 1955-1956 » à la galerie Louise Leiris, en 1957 : le Musée en possède deux études préparatoires, issues d’un carnet à spirales (Zervos, XVII, n° 43 et n° 44), offertes en 1956 par Picasso à son marchand de toujours, Daniel-Henry Kahnweiler.

Dans la production cannoise, marquée par les motifs et les couleurs de Matisse, Le Printemps est une œuvre isolée, de par sa matière légère et transparente et sa concision formelle, soulignée par le dessin géométrique des volumes. La composition, schématiquement centrée sur l’arbre du Paradis, oppose deux motifs picassiens : la chèvre, sujet de l’une de ses sculptures majeures, créée à Vallauris en 1950 (Paris, musée Picasso), et le nu couché, dont Picasso, à travers les séries du « Peintre et son modèle » et des « Femmes d’Alger » (1954), a exploité les ressorts formels : ils évoluent des torsions en arabesques aux volumétries post-cubistes de plans cassés et pliés. Les études dessinées dévoilent le processus de variations sur le motif qui précèdent le report sur toile, ainsi que la persistance du dessin figuratif, au trait fouillé, ici chargé d’encre, hachuré et griffé, qui noircit par endroits la feuille comme une page d’écriture. L’incrustation dans le schéma narratif du motif isolé du nu, tracé d’une ligne sommaire, sèche et rapide, fonctionne comme un collage ; elle illustre la façon de dessiner de Picasso, qui considère chaque motif dans sa spécificité, comme il l’explique à Hélène Parmelin : « Quand on fait une tête, il faut dessiner comme cette tête. Ingres dessinait comme Ingres, et non comme les choses qu’il dessinait. Si tu prends par exemple un arbre. Au pied de l’arbre, il y a une chèvre, et à côté de la chèvre, la petite fille qui garde la chèvre. Et bien ! Il faut un dessin différent pour chacun. La chèvre est ronde, la petite fille est carrée, l’arbre est un arbre. Et pourtant, on se sert du même dessin pour les trois. C’est ça qui est faux. Il faut pour chacun un dessin complètement différent. » (H. Parmelin, Les Dames de Mougins, Paris, Cercle d’art, 1964).

Brigitte Leal

Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008