Exposition / Musée
Dalí
21 nov. 2012 - 25 mars 2013
L'événement est terminé
Le Centre Pompidou rend hommage à l'un des créateurs les plus complexes et prolifiques du 20e siècle : Salvador Dalí. Figure magistrale de l'histoire de l'art moderne, Dalí est aussi l'un des artistes les plus controversés. C'est toute la force de son oeuvre et toute la part qu'y tient sa personnalité, dans ses traits de génie comme dans ses outrances, que cette exposition inédite se propose d'aborder, à travers une sélection de deux cents oeuvres (peintures, sculptures, dessins…). Parmi les chefs-d'oeuvre exposés, on trouve de grandes icônes, La Persistance de la mémoire (Montres molles), 1931, Le Grand Masturbateur, 1929, ou encore L'Énigme sans fin, 1938 et l'on découvre des oeuvres sur papier, des objets, des projets pour le théâtre, le cinéma, des films, des photographies et des extraits d'émissions de télévision. L'exposition montre également les innombrables oeuvres éphémères, réalisées par Dalí devant une assistance ou une caméra, qui font de lui un précurseur de la performance et du happening.
Le Centre Pompidou rend hommage à l'une des figures magistrales les plus complexes et prolifiques de l'art du 20e siècle, Salvador Dalí, plus de trente ans après la rétrospective que l'institution lui avait consacrée en 1979-1980. Souvent dénoncé pour son cabotinage, son goût de l'argent et ses prises de positions politiques provocatrices, Dalí est à la fois l'un des artistes les plus controversés et les plus populaires. C'est toute la force de son œuvre et toute la part qu'y tient sa personnalité, dans ses traits de génie comme dans ses outrances, que cette exposition sans précédent veut aussi éclairer.
Parmi les chefs-d'œuvre exposés, les visiteurs redécouvriront quelques-unes des plus grandes icônes, à l'exemple du plus célèbre tableau de l'artiste, La Persistance de la mémoire, plus communément appelé Les Montres molles. Ce prêt exceptionnel du MoMA rejoint un choix d'œuvres majeures réunies pour cette rétrospective grâce à une étroite collaboration nouée avec le Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, de Madrid, et la participation conjointe de la Fundació Dalí à Figueres et du Dalí Museum à Saint-Petersburg (Floride). Avec plus de deux cents peintures, sculptures, dessins, auxquels s'ajoutent des films, extraits d'émissions et photographies, c'est aussi l'œuvre du pionnier du « happening », auteur d'œuvres éphémères qui est aujourd'hui exposé. Michel Déon, qui avait traduit les écrits de Dalí, souhaitait qu'on juge l'artiste sur son œuvre. C'est toute l'ambition de cette exposition. Déon souhaitait qu'il abandonnât ses « clowneries » : l'exposition au contraire montre qu'elles étaient le fait d'un artiste « performeur » avisé, précurseur, et plein d'humour. Dalí aimait mêler l'art et la science, sa fameuse méthode paranoïaque-critique fondée sur le délire d'interprétation prétendait se saisir de tous les domaines de la création comme de la connaissance, afin de « daliniser » le monde. Ce grand manipulateur de média considérait l'art comme un fait global de communication. Sous toutes ses facettes, Dalí interrogeait la figure (persona) de l'artiste face à la tradition et au monde.
DALÍ SHOW,
PAR JEAN-HUBERT MARTIN : COMMISSAIRE GÉNÉRAL
La célébrité de Dalí est due tout autant à l'originalité de sa peinture qu'à sa présence régulière dans les médias relayant ses interventions spectaculaires. On pense communément que ces représentations d'un imaginaire débridé relèvent du domaine des rêves. Or Dalí s'en défend et insiste sur sa méthode paranoïa-critique qui va bien au-delà d'une hallucination.
« La paranoïa se sert du monde extérieur pour faire valoir l'idée obsédante, avec la troublante particularité de rendre valable la réalité de cette idée pour les autres. La réalité du monde extérieur sert comme illustration et preuve, et est mise au service de la réalité de notre esprit. » D'où le passage de la peinture comme médium aux actions, performances et happenings. On a souvent réduit les apparitions publiques et les œuvres éphémères de Dalí à des provocations. Elles en prennent certes la forme, mais elles sont toujours fondées sur un propos et sur des idées qui, pour être surprenantes, n'en sont pas moins consistantes.
Ses apparitions médiatiques n'éludent aucune question, il suffit qu'on le traite de clown pour qu'il apparaisse déguisé en Auguste. Ses voyages aux États-Unis lui font saisir l'importance des médias et le parti qu'il peut tirer de la notoriété. L'apparition de la télévision est une aubaine et il ne rate aucune occasion de participer à un talkshow, au risque d'être parfois désarçonné par la langue et les règles du jeu, qu'il sait en revanche toujours transcender à son profit. Loin de lui l'idée d'une conception puriste d'un art indépendant à l'écart du commerce, de l'argent et du spectacle. Warhol qui dîne souvent avec lui à New York saura en tirer les leçons. Pour une génération entière, le film publicitaire pour le chocolat Lanvin l'a rendu aussi célèbre que sa peinture. Ses moustaches sont l'objet de commentaires inépuisables. Après avoir fait une peinture gestuelle de quelques coups de pinceau pour critiquer ce type de peinture à la télévision, il reprend cet exercice de virtuosité pour en faire une spécialité. Comme sa vie n'est qu'un théâtre, il s'entoure de femmes plus ou moins dénudées et de figurants auxquels il assigne des rôles et des postures dans des mises en scène de son invention. Les tableaux vivants impliquent souvent la présence d'animaux dont il s'entoure, tel que le célèbre ocelot (aux dents limées) ou le tamanoir qu'il tient en laisse en sortant du métro. Dans les années 1950 et 1960, beaucoup d'artistes participent à ses performances, qui laissent parfois place au happening, comme à Granollers où des dizaines de jeunes s'aspergent de peinture devant un grand mur.
Ces multiples activités médiatiques et la constante création d'événements où Dalí apparaît comme acteur principal - « Arteur » - font de lui le pionnier de l'art de la performance.
SCIENCES DURES ET MONTRES MOLLES
PAR THIERRY DUFRÊNE : COMMISSAIRE ET PROFESSEUR D'HISTOIRE DE L'ART CONTEMPORAIN (PARIS OUEST, NANTERRE LA DÉFENSE / INHA)
À propos des « montres molles » (La Persistance de la mémoire), les archives du MoMA de New York contiennent quelques pépites. Dalí lui-même ne parvenait pas à en épuiser la signification. Dans des « notes sur l'interprétation du tableau » écrites en 1931, il l'associe à deux types de savoirs très différents : « Morphologie – Gestaltla Residencia de los Estudiantes au début des années 1920, se marque également dans ses « notes » : « La Persistance de la mémoire doit être localisée à la période de formation du sur-moi de Dalí, très difficile encore de (sic) préciser chronologiquement » ! Si les « montres molles » proposent une image convaincante pour l'un des concepts les plus compliqués de la science du 20e siècle : celui du continuum « espace- temps » selon Einstein, Dalí leur confère assez vite un statut d'objet-concept qui, théorie – mystère des onduloïdes – lignes géodésiques », bref les sciences dures d'une part, « Psychoanalysis », le freudisme et la psychologie des profondeurs d'autre part. Sa bibliothèque, conservée au Centre d'études daliniennes à Figueres, est riche en ouvrages scientifiques. Ainsi Dalí possédait- il l'édition originale des Principes de morphologie générale (1927) d'Édouard Monod-Herzen, un spécialiste des colloïdes. Mais la lecture précoce que Dalí fit des ouvrages de Freud, dès l'époque où il était à au-delà d'être sa propre marque de fabrique, symbolise à lui tout seul la science moderne. En effet, si dès 1934, dans une lettre au poète Paul Eluard où il parle de « surréalisme imprégné de physique » et dans son texte « Le mystère surréaliste et phénoménal de la table de nuit », Dalí avait fait référence à Einstein, en 1967, il confie à Louis Pauwels, auteur des Passions selon Dalí : « J'avais dit à Watson, au cours d'un déjeuner à New York : Mon tableau, La Persistance de la mémoire, peint en 1931, est une prévision de l'ADN » : même structure fluide, souple et répétitive. Crick et Watson sont les découvreurs de l'hélice ADN, code génétique de l'hérédité : Dalí avait souhaité faire un livre avec eux. Il était persuadé que cet « escalier des structures de l'hérédité » n'était rien d'autre qu'une « échelle royale » et que « rien (n'était) plus monarchique qu'une molécule ADN » ! Le tableau Galacidallahcideésoxyribonucléique (1963) l'utilisait comme structure de base. Quant à la structure atomique de la matière, l'inventeur de la « mystique nucléaire » en avait eu l'intuition en observant un « vol de mouches » au Boulou, non loin de la gare de Perpignan ! Dalí était intrigué par la manière dont elles maintenaient sans se toucher leur configuration d'ensemble tout en se déplaçant : « Je dessinai mentalement une figure dont je devais apprendre plus tard qu'elle était le schéma de l'atome conçu par Niels Bohr » ! Eût-on écouté Dalí que l'on aurait, sans hésiter une seconde, installé le siège du « Centre national de la recherche scientifique » (CNRS) à la gare de Perpignan. Non seulement sa verrière est pour l'artiste le « modèle de l'univers », mais elle révèle à qui veut bien voir que l'« univers est limité, mais d'un seul côté » : « Tout ce qui vient de l'infini peut faire une boucle et arriver en gare de Perpignan. Je collaborais avec Einstein ».
MISTER DALÍ
PAR JEAN-MICHEL BOUHOURS : COMMISSAIRE ET CONSERVATEUR, MUSÉE NATIONAL D'ART MODERNE
Quand en 1941, Dalí écrit La Vie secrète, il décrit ses années de jeunesse où, retranché dans la buanderie sous les combles de la maison familiale, il signe déjà une posture qu'il ne quittera plus. Se placer au-dessus de la mêlée, sur un perchoir, pour ne plus être intimidé par les jeunes filles qui croisées dans la rue « lui faisaient honte ». Ce sentiment de supériorité qui cachait une timidité sans bornes, privait Dalí des plaisirs de la vie quotidienne : « Moi Salvador je devais demeurer dans mon baquet, avec les chimères informes et aigries qui entouraient ma rébarbative personnalité. » (p 87, La Vie secrète)
Dalí cherche à capter l'attention de ses professeurs à l'Académie San Fernando de Madrid, en activant ses penchants exhibitionnistes : « Puisque eux ne pouvaient rien m'apprendre, je pensais que moi, j'allais leur expliquer ce qu'est une personnalité ». Il la construit comme un atout extraordinairement précieux : « Je ne voudrais pour rien au monde échanger ma personnalité avec celle d'un de mes contemporains. » (p 174, La Vie secrète). Pour autant, quand Gala rencontre Dalí à l'été 1930, elle le trouve antipathique dans les premiers instants, principalement à cause de cette construction d'une persona quelque peu folklorique, sous l'allure d'un danseur de tango aux cheveux gominés.
Dalí dansait le charleston ; une autre photographie découpée et collée dans une lettre adressée à son ami Federico Garcia Lorca le montre désarticulé comme un pantin agitant bras et jambes, la cravate volant au vent. Trente ans plus tard, en 1958 exactement, Pierre Argillet, le photographe et éditeur, ami des surréalistes, filmera Dalí dansant le charleston dans leur jardin. Quelques mois plus tard, l'artiste racontera au journaliste américain Mike Wallace que ses amis, surpris par ses qualités de danseur, l'avaient comparé avantageusement à Charlie Chaplin. Dalí renchérit pour préciser que Chaplin n'étant pas un peintre de génie, il était inévitablement plus important que Chaplin. Cette attitude enfantine éclaire toute la stratégie de Dalí : être célèbre non pas comme peintre, avec comme figure obsédante et dominante Pablo Picasso, mais plus encore : comme un « sur-peintre ». Pourquoi ne pas être peintre et acteur, comme Buster Keaton que lui et ses compagnons de la Residencia de estudiantes à Madrid voyaient comme un acteur et un poète. Dalí apporte au journaliste la précision parfaitement éclairante : « Plus important que ma peinture, plus important que mes clowneries, plus important que mes show manias, c'est MA PERSONNALITÉ. »
Et pour se fonder une identité, il faut inventer des « trucs » comme il l'écrira lui-même dans La Vie secrète. Cela passe par créer une image de soi, se construire un portrait pour s'assurer une présence et « s'y inventer soi-même » écrira le philosophe Jean- Luc Nancy (Le Regard du portrait. Paris, 2000, Galilée, p 31). L'Autoportrait au cou raphaëlesque, peint vers 1921, est vraisemblablement une des toutes premières manifestations ou mascarades de Dalí qui cherche avec ce portrait, le mimétisme, une ressemblance capable de déclencher un mécanisme associatif de type paranoïaque : « J'aimais adopter la pose et le regard mélancolique de Raphaël dans son autoportrait. J'attendis avec impatience l'apparition du premier duvet que je pourrais raser, en laissant toutefois pousser des favoris. Il me fallait faire un chef-d'œuvre de ma tête, me composer un visage. » (ibidem, p. 40). La question de la ressemblance réactive celle de la gémellité et du double narcissique chez Dalí, et en particulier le couple de « Castor et Pollux » qu'il forme avec son demi-frère mort, puis avec Galutschka, Federico Garcia Lorca et enfin avec Gala. Le principe de ressemblance de deux sujets comme plus tard de deux formes est le facteur déclenchant d'un phénomène délirant. Chez Dalí, comparaison n'est pas raison mais délire raisonnant. La particularité morphologique inventée avec L'Autoportrait au cou raphaëlesque, repose sur l'exhibitionnisme d'un cou phallique, premier phénomène du thème de la tête phallique, avant les harpes crâniennes des années 1930 qui figureront avec force sa terreur de l'acte sexuel et de la pénétration.
Dalí initie ainsi l'exhibition narcissique de son génie. Par autosuggestion, superstition ou simplement bravade, le délire dalinien opère volontiers par emprunt d'identité ; lorsqu'il sera au faîte de sa célébrité, Salvador Dalí empruntera de multiples personnalités, et en particulier celle du peintre espagnol Velázquez dont la ressemblance se construira avec sa célèbre moustache.
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