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L'Exposition internationale surréaliste de 1938

Portrait Ottinger par  Entretien avec Didier Ottinger, conservateur général du patrimoine, directeur adjoint du Musée national d’art moderne
 

Qui sont les organisateurs de l’Exposition internationale surréaliste de la galerie des Beaux-arts en 1938 à Paris ?

Didier Ottinger : Comme chacune des initiatives, artistiques ou politique du surréalisme, l’Exposition internationale du surréalisme de 1938 procède d’une réflexion, d’un travail collectif. André Breton coordonne le projet, mettant en place une organisation qui institue Marcel Duchamp « générateur - arbitre », Man ray « maître des lumières », Max Ernst et Salvador Dalí « conseillers spéciaux »

Dans quel contexte s'inscrit cette exposition ? 

DO : Le surréalisme connait alors son plein essor international. Dès 1924, un groupe surréaliste s’est constitué en Belgique. En 1930, un groupe se constitue à Belgrade (Yougoslavie), un autre à Prague (Tchécoslovaquie) en 1934. En 1935, est organisée une exposition surréaliste à Lima (Pérou) et André Breton organise à Copenhague (Danemark) une exposition qui fait une large place au surréalisme. Durant cette même année 1935, une exposition internationale du surréalisme se tient à Santa Cruz de Tenerife (Canaries, Espagne). L’année suivante a lieu à Londres une nouvelle exposition internationale du surréalisme. Puis c’est au Japon qu’est inaugurée une nouvelle exposition internationale du mouvement. C’est dans ce contexte de diffusion internationale du mouvement qu’est organisée l’exposition parisienne. Elle rassemble les œuvres de 60 artistes, originaires de 14 pays différents.

Quelles sont les raisons qui font de l’Exposition internationale du surréalisme de 1938 une manifestation marquante pour l’histoire de la scénographie des expositions ?

DO : L’exposition de 1938 est véritablement un « Gesamkunstwerk », une « œuvre totale », qui se présente comme le prototype de ce que l’on nommera plus tard « installation ». Elle sollicite tous les sens : des bruits divers sont diffusés dans les espaces, des odeurs se répandent dans l’exposition. Elle est placée dans l’obscurité, des lampes torches sont distribuées aux visiteurs afin qu’ils découvrent les œuvres exposées. Le tout suscite des comparaisons hasardeuses de la part de la presse de l’époque, qui rapproche l’exposition d’un « train fantôme », l’assimile à une fête foraine…Le but des surréalistes en créant une telle exposition est d’offrir aux visiteurs une expérience totale, loin, très loin de la contemplation désincarnée à laquelle donne lieu un espace, un dispositif « purifié ». L’œuvre n’est plus l’objet fétichisé promu par les galeries et les musées, mais un élément parmi les autres, au service d’un environnement poétique qui s’offre comme expérience globale.

Un témoignage de Man Ray rend compte d’une diffusion sonore de pas martelés d’un défilé de l’armée allemande et de rires hystériques enregistrés dans un asile. Est-ce que l’on peut considérer aujourd’hui cet environnement comme un projet visionnaire ? Est-ce que l’on peut le relier au contexte historique de la France en ce début d’année 1938 ? 

DO : Comme il en sera pour chacune des expositions surréalistes, celle qui est organisée en 1938 entend s’imposer comme prise de position, comme acte d’engagement dans les débats sociaux et politique de son temps. L’époque est de fait des plus troublées. Partout en Europe les fascismes prospèrent. L’ambiance qui règne dans l’exposition reflète l’angoisse du temps. Son obscurité, les sons de marches d’une soldatesque, les cris qui résonnent dans l’exposition, rendent compte du climat anxiogène qui précède le désastre de la Seconde Guerre mondiale

Il semble que cette exposition propose une image obsessionnelle de la femme comme objet érotique. Quelle était la place des femmes artistes dans l’exposition ?

DO : L’amour et l’érotisme sont inscrits au cœur de la poétique surréaliste. La couverture que Marcel Duchamp conçoit pour le catalogue montre un sein auquel est ajoutée la légende « Prière de toucher». L’érotisation du monde que prône le surréalisme est partagée par les femmes qui s’associent au mouvement. Toyen collabore en 1930 à la revue Erotika publiée à Prague (Tchécoslovaquie). Elle l’illustre de dessins inspirés de Sade. Les femmes qui rejoignent le surréalisme au milieu des années 1930 – elles seront nombreuses à figurer dans l’exposition de Londres de 1936 - participent à un mouvement qui leur permet d’affirmer leur liberté, y compris dans l’expression de leurs désirs. Dans l’exposition de 1938, Meret Oppenheim expose son « déjeuner en fourrure » à l’érotisme à peine voilé, Rita Kernn-Larsen montre, elle, son tableau intitulé Une Journée de plaisir.  Sophie Taeuber et Jean Arp réalisent une œuvre commune :  Sculpture conjugale. Parmi les artistes de l’exposition de 1938, figurent : Ann Clark, Eileen Agar, Leonora Carrington, Remedio Varo, Nina Negri, Sophie Taeuber Arp, Elsa Thoresen, Toyen. Le nombre et la place des femmes dans les expositions surréalistes ne cessera plus de progresser. 

Découvrez ci-dessous une sélection d'œuvres de la collection du Musée national d'art moderne présentées à l'Exposition internationale surréaliste de 1938.