Nu debout, fougère noire
1948
Nu debout, fougère noire
1948
Domaine | Dessin |
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Technique | Encre de Chine sur papier |
Dimensions | 105 x 75 cm |
Acquisition | Don de l'artiste, 1950. Attribution au Musée national d'art moderne / Centre de création industrielle , 1950 |
N° d'inventaire | AM 1758 D |
Informations détaillées
Artiste |
Henri Matisse
(1869, France - 1954, France) |
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Titre principal | Nu debout, fougère noire |
Titre attribué | Composition |
Date de création | 1948 |
Domaine | Dessin |
Technique | Encre de Chine sur papier |
Dimensions | 105 x 75 cm |
Inscriptions | Signé et daté en haut à gauche à l'encre de Chine : H Matisse 48 |
Acquisition | Don de l'artiste, 1950. Attribution au Musée national d'art moderne / Centre de création industrielle , 1950 |
Secteur de collection | Cabinet d'art graphique |
N° d'inventaire | AM 1758 D |
Analyse
« Parallèlement aux papiers découpés, j’ai fait l’année dernière des grands dessins au pinceau et à l’encre de Chine. J’insiste sur la qualité spéciale du dessin au pinceau qui par un moyen réduit contient toutes les qualités d’un tableau ou d’une peinture murale. Le blanc – ses surfaces prennent leur qualité par le noir. C’est toujours la couleur qui joue même quand le dessin n’est figuré que par un trait continu. Alors les surfaces sont proportionnées par le trait qui les entoure et par là leur donne leur qualité » . Ainsi s’expliquait Matisse à l’occasion de l’exposition organisée en 1949 par Jean Cassou au Musée national d’art moderne, qui révélait l’éblouissante série des Intérieurs de Vence (une quinzaine de tableaux peints entre 1946 et 1948), ainsi que les dessins au pinceau contemporains, non moins beaux, non moins « colorés », non moins radieux.
Dahlias, grenades et palmiers , sans être une étude pour aucun d’entre eux, peut se relier à un ensemble de quatre de ces tableaux, qui tournent tous autour d’un même motif : cinq ou six grenades disposées dans un plat, devant une fenêtre où irradie la palme d’un des beaux arbres qui entouraient la villa Le Rêve, et devant lesquels Matisse s’est souvent fait photographier, royalement empanaché, tel un souverain exotique. On retrouve ces éléments dans Nature morte aux grenades , fond rouge (fin oct. 1947, coll. part.), dans Nature morte aux grenades (nov. 1947, musée Matisse, Nice) ; puis dans Intérieur rouge, nature morte sur table bleue (déc. 1947, Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Düsseldorf) ; enfin, avec une mise en scène particulièrement spectaculaire, dans Intérieur au rideau égyptien (févr. 1948, The Phillips Collection, Washington).
Aucun Intérieur de Vence ne confronte en revanche un nu et la luxuriance d’une fougère. Traitée (évidemment) en noir, la plante du Nu debout et fougère noire distribue entre la grille de ses feuilles dentelées une incroyable intensité lumineuse. Tout le système de barres, hachures, points, les épaisses touches qui dessinent chacune des feuilles, qui couvre la plus grande partie de la surface, met en valeur par contraste la lumière émanant du corps du modèle laissé en réserve, prolongée encore par celle de la table, où les grenades répètent à peu près la forme des seins.
L’Arbre monumental, tracé lui aussi au pinceau (on distingue cependant ici des tracés préalables au fusain, et des « corrections » à la gouache blanche), a été réalisé en 1951, et appartient à une série de sept études de dimension comparable. Inspirées par un groupe de vieux platanes situé à Villeneuve-Loubet, non loin de Nice, elles préparent le mur de céramique destiné à la salle à manger de la villa Natacha, la maison de Tériade (éditeur de Jazz ) à Saint-Jean-Cap-Ferrat. Matisse a déjà travaillé le thème de l’arbre quelque dix ans plus tôt, en 1941-1942 : c’est à cette époque qu’il s’entretient avec Aragon de l’identification, de l’appropriation émotionnelle, préalables selon lui à la création de toute œuvre. Un peu plus tard, début juin 1943, il adresse à André Rouveyre une importante lettre sur « la naissance de l’arbre dans une tête d’artiste », accompagnée de 21 dessins qui semblent avoir servi de matrice à la série de 1951. Dans le grand Arbre du Musée, c’est le double mouvement des branches et du tronc qui intéresse Matisse (l’arbre est vu dans son milieu, sans racines, ni cime) : mouvement d’ouverture des branches, écartées comme des bras, et puissant mouvement « de bas en haut » du vieil arbre auquel il s’identifie. Ce sont aussi les intervalles, la qualité des espaces produits par la découpe de chaque feuille, devenue signe. Dans la céramique (installée en mars 1952 sur deux parois de la salle à manger, aujourd’hui conservée au musée Matisse, Le Cateau-Cambrésis), les branches, plus horizontales et devenues immenses, agrandissent superbement l’espace mesuré de la pièce.
Isabelle Monod-Fontaine
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008
Analyse
À Tahiti, en 1930, Matisse écrivait à sa femme : « Il y a, poussant comme du chiendent chez nous, des caladiums géants, des fougères frisées (...) des poincettias, des jasmins roses, blancs et jaunes (...) et partout en broussaille »1. Et dans une autre lettre : « La nature est somptueuse, mais pas exaltante, une somptuosité d'appartement familière tout de suite, sans surprises presque (...) La lumière est belle, mais sur des motifs petits, sur des arbres qui ne sont pas grands...»2. Exubérance et familiarité sont les deux termes de cette Composition avec nu debout et fougère noire où les valeurs — on devrait dire les couleurs — opposées du noir et du blanc trouvent à s'incarner : le noir pour la fougère, le blanc pour la femme.
De la série des grands dessins au pinceau de 1947-1948, celui-ci est peut-être le plus emblématique de l'art de Matisse. Encore une fois, l'atelier est le lieu de la reconstruction des équivalences métamorphiques. Le fonctionnement en est analysé par le Modèle dans l'atelier qui décline les objets de la série, restitués à leur échelle réelle, ordinaire : le nu, le papier peint rayé, le fauteuil rocaille, le palmier qui comble la fenêtre, la peau « fauve », ocelée, qui dans Nature morte à l'ananas se réduit à un semis de taches. Aux murs est accrochée la série des études au pinceau qui vient fermer la boucle du regard et conclure cette nouvelle expérience du noir et blanc.
Matisse affirmait à propos de la toile Les Marocains (1913-1917) : « C'est dans cette œuvre que j'ai commencé d'utiliser le noir pur comme une couleur de lumière et non comme une couleur d'obscurité. »3 Puis il précisera : « Un noir peut très bien remplacer un bleu puisqu'au fond l'expression vient des rapports »4. Dans le texte de 1946, Le Noir est une couleur, Matisse se réfère à l'usage du noir dans l'art oriental et à l'utilisation par Manet d'un « noir franc et de lumière »5.
Cette recherche trouve dans la réalisation de la Chapelle de Vence, contemporaine des dessins au pinceau, une matérialisation nouvelle : les murs de céramique blanche portant des « dessins noirs filiformes » doivent résister à l'éclat des vitraux bleu, jaune, vert. Cette opposition suscitant l'apparition d'une autre couleur : le rouge. « Pourtant ce rouge existe et il existe par le contraste des couleurs qui sont là. Il existe par réaction dans l'esprit de celui qui observe. »6 Dans Composition avec nu debout et fougère noire, ce sont des rapports établis entre le noir et le blanc, seuls, que doivent procéder lumière et couleur : «... les teintes les plus belles, les plus fixes, les plus immatérielles s'obtiennent sans qu'elles soient matériellement exprimées : Exemple : Le blanc pur devient lilas, rose ibis, vert véronèse ou bleu angélique par le voisinage de ses contraires seulement ».7 Ici, « ces contraires » sont fait d'une même encre de Chine, dense, qui posée en aplats, tracée en grilles, tresses, ou se délinéant en filets selon les inflexions du pinceau, génèrent des noirs.
Anne Baldessari
Notes :
1. Extrait d'une lettre à Madame Matisse, Cahiers Henri Matisse 1, (« Matisse et Tahiti »), op. cit., 1986, p. 46.
2. « Le tour du monde d'Henri Matisse », in Henri Matisse, Écrits et propos sur l'art, édition établie par Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972, p. 105 (« Entretien avec Tériade », 1930).
3. « Matisse parle à Tériade », ibid., p. 117, note 73 (Alfred H. Barr, Matisse, his Art and his Public, New York, The Museum of Modem Art, 1951).
4. « Propos rapportés par Tériade », ibid., p. 129, (Extraits de Constance du fauvisme, 1936).
5. Ibid., pp. 202-203.
6. « A divers interlocuteurs », ibid., p. 265 (André Verdet, 1952).
7. « Propos sur la couleur », ibid., p. 207 (catalogue de l'exposition Henri Matisse. Aquarelles, dessins,Paris, Galerie Jacques Dubourg, 1962).
Source :
Extrait du catalogue Œuvres de Matisse, catalogue établi par Isabelle Monod-Fontaine, Anne Baldassari et Claude Laugier, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 1989