Chèque
[1959]
Chèque
[1959]
En 1959, Klein conçoit un carnet de chèques à souches qui sera le support de ventes de « zones de sensibilité picturale immatérielle » par la Galerie Iris Clert.
La vente de l'œuvre immatérielle s'opère à travers la cession, par l'acheteur, d'une certaine quantité d'or pur, dont une partie est gardée par Yves Klein et l'autre dispersée dans la nature. En échange, l'acheteur reçoit, en guise de certificat, un chèque qui à son tour doit être brûlé afin que le transfert de «sensibilité picturale immatérielle» soit complété. Cette maquette montre comment la souche est vouée à enregistrer l'histoire des transactions et le passage de l'œuvre de main en main.
Domaine | Dessin |
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Technique | Encre, peinture dorée sur papier collé sur papier gouaché |
Dimensions | 15,5 x 37 cm |
Acquisition | Achat, 1980 |
N° d'inventaire | AM 1980-39 |
Informations détaillées
Artiste |
Yves Klein
(1928, France - 1962, France) |
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Titre principal | Chèque |
Date de création | [1959] |
Domaine | Dessin |
Technique | Encre, peinture dorée sur papier collé sur papier gouaché |
Dimensions | 15,5 x 37 cm |
Inscriptions | Signé en bas au centre: Yves Klein. Non daté. Au revers, deux tampons à l'encre bleue |
Acquisition | Achat, 1980 |
Secteur de collection | Cabinet d'art graphique |
N° d'inventaire | AM 1980-39 |
Analyse
Dans Le Dépassementde la problématique de l’art, publié fin 1959, Yves Klein présente très clairement ce qui, encore aujourd’hui, reste mal compris : ses tableaux ne sont « que les cendres de son art ». Publications, déclarations, textes inédits, interviews, films, voire prières secrètes : autant d’efforts plus ou moins publics de sa part, par lesquels il tente d’expliquer pourquoi, après avoir triomphé avec le bleu et à l’aide de la peinture, il s’en défait en 1958 et 1959 pour aborder ce qu’il appelle l’« immatériel ». Ce domaine invisible, impalpable, qu’il vise non à reproduire mais bien à s’approprier, est à la fois réel et théorique. Aussi Klein investit-il très tôt le champ graphique pour développer, en parallèle de son œuvre peinte, cette appropriation multiforme de l’immatériel.
En sus des écrits dont l’impressionnant corpus signale une œuvre en soi, il explore en quelques années presque toutes les possibilités qu’offre le support papier : du scénario de film à la partition musicale, en passant par le livre d’artiste, le dessin d’architecture, le press book, le dessin d’humeur, l’aphorisme griffonné sur une nappe, le carton d’invitation. Tout est œuvre, l’artiste étant le chef d’orchestre de cette partition invisible et infinie du monde : il est celui qui se contente d’en souligner, mettre en scène et commenter les détails.
Ce souci extrême de la fabrication comme de la précision dans la mise en œuvre est manifeste dans Chèque (1959). Il s’agit en réalité moins d’un chèque que d’un carnet à souche, dont la maquette permet de comprendre le fonctionnement tant réel qu’artistique. Klein comprend qu’il ne suffit pas de nommer l’œuvre immatérielle pour qu’elle existe aux yeux de son public : il faut qu’elle soit vendue et/ou mise en fonction, et que, dans les deux cas, une preuve en reste. Il met alors au point un rituel : des « zones de sensibilité picturales » s’achèteront avec de l’or, en lingot ou en feuille, dont une partie sera gardée par l’artiste, l’autre rendue à la nature. Cette transaction sera enregistrée par un reçu ; comme celui-ci est encore du côté du matériel, Klein en conseille la destruction. Il faut le brûler pour devenir « véritablement » propriétaire de la « zone ». Celle-ci était auparavant transférable, pour le double de son prix à chaque opération : la maquette décompose à droite ce doublement progressif du poids d’or, à l’aide de cases à remplir par les acheteurs successifs.
Le carnet à souche final sera simplifié, six ou sept Carnets de reçus seront confectionnés par l’imprimeur d’Iris Clert. Klein lui-même vendra sept « zones de sensibilité picturales immatérielles », dont trois cessions complètes (l’acheteur brûlant son reçu) bénéficieront d’un reportage photographique. Mais cette maquette-ci explicite pleinement la signification symbolique de l’œuvre : l’artiste pousse à son terme la dématérialisation tout en donnant tout pouvoir à son public, inaugurant ainsi, avec l’une des premières performances, aussi bien l’art conceptuel que l’appropriation contemporaine. Ces détails révèlent la forte charge spirituelle qui « compense » et accompagne la disparition de la peinture, puis de l’œuvre, dans le travail de Klein : le fond bleu IKB, l’encre rose et les filets dorés reconstituent le triptyque bleu-or-rose qui remplace la période bleue, en même temps que l’exploration de l’« immatériel ». Même dans l’invisible, Klein continue à travailler la couleur, décomposée en trois éléments essentiels qui évoquent le mystère de l’incarnation. Plus touchant encore, le double tampon apposé au revers du papier, à l’encre bleue, où le visage de sainte Rita et son cœur percé d’une flèche témoignent de sa dévotion personnelle pour cette sainte des causes perdues : il déposera dans le plus grand secret trois ex-voto dans le monastère italien qui lui est dédié, à Cascia.
Camille Morineau
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008