Cinéma / Vidéo
Barbet Schroeder
Rétrospective intégrale
21 avril - 11 juin 2017
L'événement est terminé
Barbet Schroeder est une énigme. Né en 1941 à Téhéran, d’une mère allemande et d’un père suisse, il vit enfant en Colombie avant d’arriver à Paris et de découvrir le cinéma, à l'adolescence, principalement à la Cinémathèque d’Henri Langlois. Les amitiés qu’il noue aboutissent, dès 1963, à la création des Films du Losange, destinés à produire les jeunes cinéastes qui l’entourent. La société, toujours en activité, a ainsi donné le jour aux Contes moraux d’Éric Rohmer, à des films signés Jean-Daniel Pollet, Jacques Rivette, et d’autres…
Artisan de la Nouvelle Vague, Barbet Schroeder entame une œuvre qui pourtant s’en distingue. Il fait son premier film, More (1969), en anglais et tourne d’emblée aux quatre coins du monde, d'Ibiza en Nouvelle-Guinée, d’Ouganda à Paris.
Au milieu des années 1970, il développe un premier projet de fiction aux États-Unis, qui devient finalement un documentaire, Koko, le gorille qui parle (1978), et rencontre l’écrivain Charles Bukowski, d’où naissent les Bukowski Tapes (1982-1987) et, surtout, Barfly (1987), avec Mickey Rourke et Faye Dunaway. La carrière américaine de Barbet Schroeder est lancée et confirmée par le succès du Mystère von Bülow (1990), qui vaut un Oscar à Jeremy Irons. Il enchaîne au cours de la décennie suivante plusieurs films qui renouent avec la grande tradition hollywoodienne du cinéma de genre, dont J.F. partagerait appartement (1992).
Esprit libre et cinéaste aventurier, Barbet Schroeder est souvent là où on ne l’attend pas. Après Hollywood, il tourne un film au cœur de Medellín, dans la Colombie de Pablo Escobar, de la violence des cartels. La Vierge des tueurs (2000), dont le scénario est signé par l’écrivain Fernando Vallejo, est aussi le premier long métrage de fiction tourné en numérique : un défi de plus dans le parcours de Barbet Schroeder. Depuis, il alterne les projets en Europe, aux États-Unis, en Asie, et réalise aussi bien des portraits documentaires saisissants de l’avocat Jacques Vergès (L’Avocat de la terreur, 2007) ou d’un moine bouddhiste extrémiste (Le Vénérable W., en avant-première au Centre Pompidou et en salles le 7 juin), que des fictions très personnelles (Amnesia, 2015), ou un épisode de la série Mad Men (Les Grands, 2009).
À ce jour, il a réalisé vingt-quatre films, jusqu’au court métrage que le Centre Pompidou lui a commandé pour cette rétrospective, avec lequel il répond à la question Où en êtes-vous, Barbet Schroeder ? Débarrassés de tout manichéisme, ses documentaires comme ses fictions sont des enquêtes d’une acuité et d’une intelligence rares sur l’homme et ses contradictions, le pouvoir et la soumission, la complexité du mal et ses rapports à l’utopie. Tous sont présentés au fil de cette rétrospective, qui propose aussi une sélection de son travail de producteur et d’acteur pour des amis. Barbet Schroeder accompagne la rétrospective, ainsi que des proches, acteurs, collaborateurs et critiques. Je me réjouis de voir toute son œuvre exposée et ne résiste pas au plaisir de laisser les derniers mots à Charles Bukowski. Barbet Schroeder, disait-il, est inspiré par l’« ange du danger, de la folie, aux ailes de rire et de vertige ». Et il concluait : « Putain, on peut tous s’estimer heureux qu’il existe encore des types pareils* ».
Serge Lasvignes
Président du Centre Pompidou
* Charles Bukowski, Shakespeare n’a jamais fait ça, éd. 13è Note, 2011
Quand
tous les jours sauf mardis
Où
Entretien avec le cinéaste
Le cinéma, pour vous, par quoi ça a commencé ?
Barbet Schroeder - Par des larmes. Le premier film que j’ai vu à l’âge de sept ans à Bogotá, c’était Bambi. Je n’ai pas supporté les émotions qu’il suscitait en moi, et on a dû me faire sortir de la salle en pleurs. Quelques années plus tard, à Paris, je suis devenu un fervent cinéphile, un enfant de Langlois, de la Cinémathèque française et de ses rétrospectives Murnau, Mizoguchi, Howard Hawks, et bien d’autres dont Fritz Lang que j’ai rencontré. Je suis arrivé à le convaincre de me prendre comme assistant stagiaire sur son nouveau film, en Inde. Hélas, il a commencé à être atteint de dégénérescence rétinienne et le projet n’a pas vu le jour. Je me suis consolé en visitant tous les lieux historiques du bouddhisme. À mon retour, en 1961, c’est Éric Rohmer que j’ai approché. Il était, avec Jean Douchet, mon idole aux Cahiers du cinéma et l’auteur alors d’un seul film de long métrage extraordinaire, Le Signe du lion. Ce fut le début d’une longue collaboration et d’un apprentissage. En 1963, à l’âge de 22 ans, j’ai fondé Les Films du Losange pour donner une structure à un projet de long métrage en couleurs : Paris vu par. Ce film-manifeste d’une jeune maison de production s’est retrouvé pour sa première projection dans la nouvelle salle Chaillot de la Cinémathèque française, avec une introduction d’Henri Langlois qui m’a bouleversé, et qui m’a motivé jusqu’à ce que je fasse dans la même salle la première projection de mon premier film.
Vous avez tourné documentaires et fictions à travers le monde. Le cinéma, c’est l’aventure ?
BS - Chaque film est une aventure et on peut toujours multiplier les obstacles et les risques. Mais le cinéma, c’est aussi la découverte : d’un univers, d’une passion, le plus souvent de l’Autre, en tentant toujours de suivre à la lettre l’injonction la plus difficile : « Tu ne jugeras pas ».
Vous vous êtes beaucoup intéressé à la complexité du mal. Est-ce toujours le cas ?
BS - Oui, je considère par exemple mon dernier film, Le Vénérable W., comme le troisième volet d’une trilogie documentaire sur le mal et Le Mystère von Bülow est l’un de mes films de fiction préférés. Je me souviens d’une conversation avec l’écrivain de théâtre et scénariste anglais Patrick Marber : il me demandait quels étaient, selon moi, les sujets qu’il fallait traiter aujourd’hui. Sans hésiter, j’avais répondu « le Mal ». Il m’a suggéré que, depuis Shakespeare, le terrain avait peut-être été passablement bien couvert. Sans doute. Mais si on s’en approche au point de se retrouver dans une intimité inconfortable, on ressent un danger qui en dit peut-être un peu plus sur cette fameuse banalité. Il faut apprendre à détecter la normalité, la bonne humeur, les mensonges, la douceur et parfois l’intelligence derrière laquelle se cache le mal.
Source :
in Code Couleur, n°27, janvier-avril 2017, pp. 40-41
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