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Gaston, un rebelle en espadrilles

Subversif, militant, beatnik, écolo. Apparu pour la première fois le 28 février 1957 dans les pages de Spirou, le personnage en espadrilles créé par Franquin devient très vite l’un des personnages majeurs du journal. En plus de neuf cents planches, Gaston Lagaffe a accédé au rang de classique de la BD. Retour sur le destin exceptionnel de notre « héros sans emploi » préféré, auquel le Centre Pompidou consacrait une exposition à la Bibliothèque publique d'information en 2017.

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En février 2017, Gaston Lagaffe célébrait soixante années de bévues et de maladresses. La Bibliothèque publique d’information (Bpi) consacrait alors une exposition à ce personnage emblématique de la bande dessinée franco-belge ; planches et éditions originales, correspondance, photographies invitiaient à redécouvrir un Gaston proche de nous. Qui aurait cru que cet éternel adolescent atteindrait un jour l’âge de la retraite ? Certainement pas celles et ceux qui, à ses débuts en 1957, prédisaient à Franquin un échec assuré avec ce personnage surgi de nulle part, sans fonction, anti-héros par nature. Et pourtant… fin 2023 paraissait le tome 22 de ses déboires, confié au scénariste et dessinateur québécois Delaf.

Le plus célèbre des gaffeurs est né du talent d’André Franquin (1924-1997), arrosé par la folie douce d’Yvan Delporte, rédacteur en chef du journal Spirou. Franquin était la très grande vedette de ce magazine qui connaissait alors les débuts de son âge d’or. C’est dire l’audience que reçut Gaston la première fois qu’il pointa le bout de son nœud papillon à l’entrée de la rédaction. Celui qu’on surnomme de nos jours « le héros sans emploi » avait déjà une fonction : combler de façon ludique les vides laissés par les aléas de la mise en page. Et, de gaffe en gaffe, il prit du galon, de l’ampleur, dans les pages du journal et dans l’esprit de son créateur. Franquin qui, dans les premières années, dessinait à quatre mains avec Jidéhem, se prit au jeu de l’identification pour développer un personnage à contrepied des héros de la BD franco-belge ou des personnages de comics et cartoons des lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Jugé marginal dès ses premiers pas, Gaston remettait nonchalamment en question la notion même de hiérarchie ou de contrainte.

 

Jugé marginal dès ses premiers pas, Gaston remettait nonchalamment en question la notion même de hiérarchie ou de contrainte.

 

En 1968, alors que la jeunesse criait « Il est interdit d’interdire ! », Gaston continuait de résister aux militaires, aux patrons et aux bourgeois de tous poils. Au point que les éditions Dupuis reçurent, quelques jours avant les émeutes parisiennes, un courrier des autorités leur demandant de contenir les élans anti-flics de Franquin. Rien n’arrêta Gaston ni son créateur dans ce cheminement doucement subversif. L’un et l’autre ne faisaient plus qu’un depuis longtemps, et à mesure que l’homme s’horrifiait devant les scandales humanitaires qui sévissaient dans les années 1970, Gaston hurlait sa colère, son besoin de paix et de rêve. Et, tandis que la société restait sourde à ses suppliques, Franquin se laissait aller à des idées noires, de plus en plus noires, et Gaston devenait grave, de plus en plus grave. Le dessinateur mit alors son crayon au service de Greenpeace, de l’Unicef, d’Amnesty International, pour lesquelles Gaston s’engagea. Face à la violence du monde, il lui restait cela à faire : militer. ◼