La Poupée
[1935 - 1936]
La Poupée
[1935 - 1936]
Domaine | Objet |
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Technique | Bois peint, papier mâché collé et peint, cheveux, chaussures, chaussettes |
Dimensions | 61 x 170 x 51 cm |
Acquisition | Don de l'artiste à l'Etat, 1972 |
N° d'inventaire | AM 1976-927 |
En salle :
Informations détaillées
Artiste |
Hans Bellmer
(1902, Allemagne - 1975, France) |
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Titre principal | La Poupée |
Date de création | [1935 - 1936] |
Lieu de réalisation | Objet articulé (avec éléments de 1933-1934), additions et réfections en 1945 et 1970-1971 |
Domaine | Objet |
Technique | Bois peint, papier mâché collé et peint, cheveux, chaussures, chaussettes |
Dimensions | 61 x 170 x 51 cm |
Acquisition | Don de l'artiste à l'Etat, 1972 |
Secteur de collection | Arts Plastiques - Moderne |
N° d'inventaire | AM 1976-927 |
Analyse
Objet fétiche, placé au cœur d’une œuvre éminemment transgressive, essentiellement photographique et dessinée, la fameuse Poupée grandeur nature de Hans Bellmer n’est pas loin d’être devenue une icône, ouvrant la voie à une réflexion très actuelle sur l’intégrité corporelle et l’identité sexuelle. De son temps, elle a œuvré comme une bombe, pulvérisant les catégories convenues : ni objet ni sculpture, elle se constitue en organisme hybride, polymorphe, et en instrument manipulable et transformable à l’infini. Et si elle peut être considérée comme un ultime avatar des mannequins, automates et robots produits en grande série dans l’Allemagne dévastée du tournant de la Grande Guerre, elle dépasse l’esprit de dérision et de satire sociale qui commandait cette vogue d’esprit dadaïste : à usage privé, répondant à une pulsion subjective (une nostalgie de l’enfance et de ses jeux, un abandon définitif à l’imagination érotique), elle est, au-delà de l’esprit de révolte contre l’ordre nazi qui l’a commandée, avant tout œuvre de mélancolie et d’« inquiétante étrangeté », mêlant pulsion du désir et pulsion de mort, merveilleux et cruauté, quotidienneté et invraisemblance, comme le faisait la poupée Olimpia du conte d’Hoffmann (L’Homme au sable, 1817) qui marqua tant Bellmer. Les surréalistes – Paul Eluard, André Breton, Henri Parisot et Georges Hugnet – ne s’y sont pas trompés, en appelant à eux, au vu de quelques photographies en noir et blanc de La Poupée en cours de fabrication, cet artiste berlinois obscur qui venait de publier, à compte d’auteur à Karlsruhe, un recueil confidentiel et miniature intitulé Die Puppe. Ces photos, reproduites dans Minotaure en 1935 (sous le titre Poupée. Variations sur le montage d’une mineure articulée) et dans Cahiers d’art en 1936, présentes dans nombre d’expositions de groupe, sont les premières « prises de vue ». Ces images sont comme autant de « tableaux vivants » mettant en scène les infinies variations d’un corps improbable, et que Bellmer va bientôt colorier à l’aniline et au pinceau (voir au Musée les trois épreuves coloriées de 1949-1963 de la donation Daniel Cordier, AM 1989-219-221) pour en « hystériser » encore l’artifice et la séduction. Répondant aux nouveaux impératifs ambivalents de la « beauté convulsive » : « érotique-voilée, explosante-fixe, magique-circonstantielle », cette beauté est toute de contradictions actives. Artefact poétique, La Poupée en appelle à l’imaginaire inconscient le plus secret.
Au-delà de son appartenance pleine au surréalisme (Paul Eluard lui consacre, en 1938, quatorze poèmes qui seront édités, avec les photographies coloriées, dans Les Jeux de la Poupée, en 1949), l’étrange objet progressivement articulé se prête, grâce à ce rouage parfait qu’est la « boule de ventre », à tous les possibles corporels – se dédoublant, se scindant, s’ouvrant, se fermant. Il nourrit le propos singulier, tout à la fois expérimental et théorique, de l’« anatomie du désir », qui va être au centre de la recherche visionnaire d’un Bellmer humaniste-ingénieur. Une incroyable géographie interne du corps, compris comme une vaste anagramme d’inversions et de réversions, de remembrements et de démembrements, de coalescences et de contractions, de proliférations sans fin, est donnée à voir. La quête que l’artiste poursuit à partir de et avec La Poupée, est celle, vertigineuse, obsessionnelle, sadienne, d’une image par où « revitaliser » le désir et créer de nouveaux phantasmes. C’est un « monstrueux dictionnaire » des ambivalences corporelles qui est, avec elle, initié.
Agnès de la Beaumelle
Source :
Extrait du catalogue Collection art moderne - La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne , sous la direction de Brigitte Leal, Paris, Centre Pompidou, 2007