Portrait d'une danseuse
printemps 1928
Portrait d'une danseuse
printemps 1928
Jacques Dupin, spécialiste de l'œuvre de Miró, voit dans cette œuvre « un sommet du laconisme, d'un humour et d'une grâce insurpassables ».
Une simple épingle piquée dans un bouchon de liège et ornée d'une plume suffit à évoquer la tête, le corps élancé et les jupons d'une danseuse. Cherchant alors d'autres voies que la peinture, Joan Miró se tourne vers des collages et assemblages de matériaux volontairement austères et prosaïques. Acquise par André Breton, cette œuvre, qui séduit par son élégance et sa poésie, est la plus dépouillée d'une série de quatre danseuses.
Domaine | Peinture |
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Technique | Bouchon de liège, plume et épingle à chapeau sur carton peint |
Dimensions | 100 x 80 cm |
Acquisition | Don de Mme Aube Breton Elléouët, 2003 |
N° d'inventaire | AM 2003-258 |
Informations détaillées
Artiste |
Joan Miró
(1893, Espagne - 1983, Espagne) |
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Titre principal | Portrait d'une danseuse |
Titre attribué | Danseuse espagnole |
Date de création | printemps 1928 |
Domaine | Peinture |
Description | Bouchon de liège, plume de paon et épingle à chapeau fixés sur carton peint sous verre |
Technique | Bouchon de liège, plume et épingle à chapeau sur carton peint |
Dimensions | 100 x 80 cm |
Inscriptions | S.D.B.G. : Miró. / 1928. |
Acquisition | Don de Mme Aube Breton Elléouët, 2003 |
Secteur de collection | Arts Plastiques - Moderne |
N° d'inventaire | AM 2003-258 |
Analyse
Cette dernière et magnifique acquisition du Musée, venue de la collection d’André Breton où elle entra, avant avril 1929, pour ne plus quitter l’atelier du poète, rue Fontaine, fait partie d’une petite série de quatre assemblages sur ce thème, qui s’inscrit entre la dernière grande série des « Paysages imaginaires » de l’été et de l’automne 1927, à Montroig, et celle des « Intérieurs hollandais », conçue à son retour du voyage en Hollande, en mai 1928 : c’est dire le caractère d’exception de cet ensemble austère – ce sont en effet (pour la première fois dans la production de Miró) des « peintures » à partir de matériaux ingrats trouvés –, qui marque une rupture radicale avec la pratique d’une peinture « historiée », intensément colorée, et dénonce déjà, comme Miró le déclarera à L’Intransigeant , le 8 mai 1928, sa volonté d’« assassiner la peinture » : c’est-à-dire de casser le bon goût, de rompre avec les conventions habituelles de la peinture, de déjouer toute permanence, « cette charogne ». Plus qu’une réponse dépitée aux réserves ambiguës faites à son encontre par Breton, qui, dans Le Surréalisme et la peinture , paru en mars 1928, reproche à Miró de « s’abandonner, pour peindre, et seulement pour peindre, à ce pur automatisme », il faut y voir la marque de la méthode créatrice du peintre, de sa démarche en zigzag, en une suite de recherches contraires se nourrissant les unes des autres.
Des panneaux recouverts de papiers de verre ou tout simplement de Ripolin industriel blanc « brillant », comme ici, et sur lesquels sont collés, ou épinglés, ou cloués de façon précaire, des objets de rebut (caoutchouc, équerre, ficelle, bouchon, plume, cheveux, ongles, etc.), approximativement déchirés ou disposés : ces étranges assemblages qui font « portrait », et portraits de cette danseuse espagnole à l’image si populaire, dont déjà dans la grande peinture Danseuse espagnole de 1924 (anc. coll. René Gaffé), Miró avait dressé l’effigie mécanique très sexualisée, relèvent d’une poétique inédite, celle du jeu des analogies (l’équerre ou l’épingle à chapeau pour le sexe féminin, le bouchon pour le sexe masculin, la plume pour l’œil, la main, etc.) qu’est le jeu d’enfant, dont l’artiste revendique la gravité, l’humour et la cruauté. Ils relèvent tout autant d’une conception plastique totalement originale, loin des constructions cubistes (ainsi la Guitare , 1926, de Picasso) et des collages surréalistes : un aboutissement sera donné avec la grande série de collages de l’été 1929.
De la série des quatre, notre Portrait d’une danseuse , avec, planté au centre du rectangle blanc totalement vide, le trio très sexuel du bouchon, de l’épingle à chapeau et de la plume, est certainement la réalisation la plus épurée : comme le souligne Jacques Dupin, elle est un « sommet de laconisme », d’un « humour et d’une grâce insurpassables ». Sans doute André Breton, à la suite de Louis Aragon (lui aussi propriétaire d’une autre version), fut-il immédiatement saisi par son élégance et sa poésie. Là encore, une telle économie et concentration plastique ne sont pas le fruit du hasard, mais d’un calcul prémédité par Miró dans plusieurs dessins préparatoires (FJM 534-545, 571-578, 9927 à 9930). Ces nouveaux acquis, qui constituent un développement à la série monochrome, et presque abstraite, des « Fratellini » du printemps 1927, lui permettront, en revenant à la peinture, de concevoir la série austère des « Portraits imaginaires » de l’été 1929 : comme la danseuse espagnole, La Fornarina imposera à toute la surface de la toile l’éclat brillant de son œil en forme de plume.
Agnès de la Beaumelle
Source :
Extrait du catalogue Collection art moderne - La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne , sous la direction de Brigitte Leal, Paris, Centre Pompidou, 2007