Arabesque
[1944 - 1947]
Arabesque
[1944 - 1947]
Domaine | Dessin |
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Technique | Encre sur papier APM (machine à écrire) |
Dimensions | 27 x 21 cm |
Acquisition | Don de Mme Marie Matisse, 1984 |
N° d'inventaire | AM 1984-74 |
Informations détaillées
Artiste |
Henri Matisse
(1869, France - 1954, France) |
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Titre principal | Arabesque |
Date de création | [1944 - 1947] |
Domaine | Dessin |
Technique | Encre sur papier APM (machine à écrire) |
Dimensions | 27 x 21 cm |
Acquisition | Don de Mme Marie Matisse, 1984 |
Secteur de collection | Cabinet d'art graphique |
N° d'inventaire | AM 1984-74 |
Analyse
Les dessins Arabesque, Feuille très découpée en arabesque et Feuille de lagon constituent trois étapes de la progression logico-graphique qui mena Matisse de ses recherches sur les signes aux papiers découpés. On peut les situer approximativement dans la période 1944-1947, durant laquelle, par le fait de la guerre et de la maladie, les projets de l'artiste se superposent dans le temps, s'enrichissent mutuellement, opèrent des connexions nouvelles entre motifs, procédures et théorie. Ces projets concernent essentiellement « l'illustration » des ouvrages Florilège des Amours de Ronsard1, Les Fleurs du mal de Baudelaire2, Marianna Alcaforado : Lettres portugaises3 et Jazz4 Elaborés dans ce contexte, les trois dessins du MNAM appliquent l'invention « signalétique » des formes au cadre matériel qu'impose le livre en terme de support, de format, de technique.
Ces dessins, trois variations sur la forme de la feuille, relèvent d'une thématique fondatrice de l'œuvre de Matisse : l'arabesque. En effet, pour lui, cette figure graphique est le lien visible qui unit l'héritage de Delacroix et de Ingres, permettant la synthèse entre ligne et couleur5. Elle est ce qui dans la peinture de Cézanne le séduit : « la puissance, le chant de l'arabesque en liaison avec la couleur, la fixité de la forme »6. Elle est l'outil qui l'aide à sortir du système néo-impressionniste pour formuler ce qui sera la base du fauvisme : «...je composais dès lors avec mon dessin de façon à entrer directement dans l'arabesque avec la couleur »7. Elle est aussi le moyen qu'il utilise pour maîtriser les contraintes de la composition murale de La Danse : « Là encore, elle traduit avec un signe l'ensemble des choses, elle ne fait qu'une phrase de toutes les phrases »8.
Le dessin Arabesque se donne d'abord comme le jeu purement graphique de la plume sur le papier, un jeu dont nous pouvons suivre des yeux le tracé, les ruptures et les raccords, qui s'évase dans la feuille selon le principe d'une boucle faite en dedans, puis en dehors, de ce qui finit par former une surface close, topologiquement organisée. Ce tracé n'a-t-il qu'une visée décorative, ornementation discrète accompagnant la poésie ? Matisse considérait cet aspect comme nécessaire à l'expressivité de la composition mais l'arabesque apparaît également comme un degré supérieur du travail d'abstractisation des signes végétaux — feuilles ou fleurs — à l'œuvre dans les dessins analysés précédemment, Branche de néflier ou Feuille de chêne9. La grande maquette du Florilège des Amours de Ronsard met en évidence les liaisons graphiques entre le motif floral (lequel présente également des boucles ponctuant les pétales) et le visage féminin saisi au moment de l'agrégation des lignes qu'une inflexion aléatoire de la main pourrait composer soit en corolle, soit en visage. La figure en exergue de la maquette illustre ce même processus, en condensant un profil féminin et l'arabesque, ici, libérée de la symétrie. Le propos de Matisse, interprétant les amours de Ronsard comme un « florilège », ne serait-il pas une tentative de lecture et d'inscription florale du texte, que résumerait l'équivalence fleur-femme ? On peut trouver une autre manifestation de ce dispositif de condensation des signifiants dans l'illustration des Fleurs du mal où les « trente-cinq têtes d'expression » dessinées par Matisse, se trouvant à la suite d'un accident reproduites en photolithographie, furent accompagnées par des ornements, arabesques abstraites, paraphes et culs-de- lampe, combinant signature et décor pour renforcer la qualité perdue de ces reproductions10.
Avec la Feuille très découpée en arabesque, l'origine végétale devient insistante et prend un caractère étrange. Graphiquement, le dessin obéit à la règle d'une ligne ininterrompue, convexe puis concave, formant un motif stellaire. L'arabesque perd ce caractère classique tenant à la symétrie, au lié du tracé, à l'équilibre de la composition, pour évoquer désormais des coraux, des madrépores, des éponges, des végétaux à ramifications extravagantes. Cette « étrangeté » du dessin semble trouver sa source dans la découverte que Matisse décrit comme étant celle du vide : « Toutefois j'avais déjà remarqué que dans les travaux des Orientaux le dessin des vides laissés autour des feuilles comptait autant que le dessin même des feuilles »11. Et il ajoute, en 1948, dans ses notes pour Jazz : « Je sens les rapports entre les choses de mon ravissement. Pendant que je dessine l'olivier que je vois de mon lit... Lorsque l'inspiration s'est écartée de l'objet, observer les vides qui sont entre les branches. Observation n'ayant pas de rapport immédiat, direct avec l'objet. Ainsi on échappe à l'image habituelle de l'objet dessiné, au cliché 'olivier'. En même temps on s'identifie avec l'objet...»12. La Feuille très découpée en arabesque est-elle un dessin du vide entre les feuilles, un dessin en creux, le négatif d'un motif floral ? Elle pose la question de cet écart, intervalle et espace, qui pour Matisse donne aux objets leur aire : « Je ne peins pas les choses, je ne peins que les différences entre les choses »13.
L'étrangeté de l'arabesque se rattache avec Feuille de lagon à une autre source de l'expérience matissienne, celle du monde végétal originaire, original, de l'autre hémisphère. Une lettre de l'artiste à Aragon décrit les conditions de ce retour imaginaire vers Tahiti, à l'occasion de son installation à Vence, villa Le Rêve : « Belle villa, je veux dire pas en nougat, sans chiqué. Murs épais et portes vitrées et fenêtres allant jusqu'au plafond — donc lumière abondante — cette villa fut construite dans le style colonial anglais par un amiral de même provenance. Une belle terrasse avec une balustrade abondamment doublée de lierre romain panaché et de beaux géraniums de couleur chaude que je ne connaissais pas — de beaux panaches de palmiers remplissent mes fenêtres — le tout me paraît si loin de Nice, ce grand voyage que j'ai fait en moins d'une heure, que je place dans ce milieu tous mes souvenirs de Tahiti. Ce matin, quand je me promenais devant chez moi en voyant toutes ces jeunes filles, femmes et hommes courir à bicyclette vers le marché, je me croyais à Tahiti à l'heure du marché. Lorsque la brise m'amène une odeur de bois ou d'herbes brûlées, je sens le bois des Iles — et puis, je suis un éléphant...»14. À Vence, en 1943, les coraux, les « oiseaux mirobolants », les lagons — « Lagons, ne seriez-vous pas une des sept merveilles du Paradis des peintres ? »15 — et les cocotiers viennent réinvestir l'imaginaire de Matisse. Leur motif, leur couleur, combinés à la découverte du vide, produisent le principe des papiers découpés, ces gouaches dessinées au ciseau qui détachent le positif du négatif comme la feuille de l'arbre et surmontent enfin la fracture épistémologique de la forme et du fond, de la ligne et de la couleur. Le dessin Feuille de lagon constitue le signe plastique le plus récurrent de l'œuvre des papiers découpés. Comme on peut le voir sur la photographie, il s'inscrit comme la forme-type des multiples compositions épinglées au mur de l'atelier. Arabesque contrariée renvoyant tantôt au végétal tantôt à l'anthropomorphique, Feuille de lagon limite le jeu graphique à une succession de courbes et de contre-courbes. Seule l'asymétrie du motif vient orienter la perception du signe, le rattachant à cette logique du « Portrait » que Matisse semble appliquer ici à une forme ambivalente, emblématique — à la fois feuille et boxeur : « Chaque figure a son rythme particulier — son asymétrie particulière — et c'est ce rythme qui crée la ressemblance »16
Anne Baldessari
Notes :
1. Florilège des Amours de Ronsard fut commencé en 1941, achevé en 1943, mais sa publication n'eut lieu qu'en 1948.
2. Les Fleurs du mal de Baudelaire furent commencées en 1943, achevées en 1944 et publiées en 1947.
3. Marianna Alcaforado : Lettres Portugaises fut commencé en 1943, achevé en 1945 et publié en 1946
4. Jazz réunit des papiers découpés et des pochoirs réalisés à partir de 1943, l'ouvrage parut en 1947.
5. Henri Matisse, Écrits et propos sur l'art, édition établie par Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972, p. 128, note 93 (Propos rapportés par Tériade, 1936).
6. Ibid., p. 134, note 103 (Gaston Diehl, Henri Matisse, Paris, Éditions Pierre Tisné, 1954).
7. Ibid., p. 93, note 40 (Gaston Diehl, Henri Matisse, Paris, Éditions Pierre Tisné, 1954).
8. Ibid., p. 142, note 6 (André Verdet, Prestiges de Alatisse, Paris, Éditions Emile-Paul, 1952).
9. Dominique Fourcade, Cahiers du MNAM, n° 13, 1984, p. 16 (sur le rapprochement avec les illustrations pour Artine de René Char).
10. Cf. Henri Matisse, Écrits et propos sur l'art, édition établie par Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972, pp. 227-228 (lettre de Henri Matisse à Charles Camoin, 6 septembre 1944). cf. aussi Louis Aragon « Matisse ou les semblances fixées (1945- 1946) » et « Matisse et Baudelaire » (1946) in Louis Aragon, Henri Matisse. Roman, Paris, Gallimard (vol. 1), 1971 ; cf. également Claude Duthuit, Henri Matisse - catalogue raisonné des ouvrages illustrés, Paris, édité par l'auteur (avec la collaboration de Françoise Garnaud, préface de Jean Guichard-Meili, 1987), pp. 128 à 131.
11. Henri Matisse, Écrits et propos sur l'art, édition établie par Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972, p. 168 (lettre à André Rouveyre sur le dessin de l'arbre).
12. Ibid., p. 168, note 17 (Georges Duthuit, Le Feu des signes, Genève, Éditions d'art Albert Skira, 1962).
13. Ibid., (Louis Aragon, Henri Matisse. Roman, Paris, Gallimard (vol. 1), 1971).
14. Louis Aragon, Henri Matisse. Roman, Paris, Gallimard (vol. 1), 1971, p. 187
15. Henri Matisse dans Jazz, Éditions Verve., 1947, p. 128 et fac-similé dans Jazz, New York, G. Braziler, 1985.
16. Henri Matisse, Écrits et propos sur l'art, édition établie par Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972, p. 177 (Portraits, 1954).
Source :
Extrait du catalogue Œuvres de Matisse, catalogue établi par Isabelle Monod-Fontaine, Anne Baldassari et Claude Laugier, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 1989
Bibliographie
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Jonas Storsve, Guy Tosatto.- Au fil du trait : de Matisse à Basquiat : Collection du Centre Georges Pompidou : Musée national d’art moderne : Cabinet d’art graphique : Nîmes, Carré d''art, Musée d''art contemporain de Nîmes, 26 juin-27 septembre 1998.- éditions du Centre Pompidou, éditions du Musée d''art contemporain de Nîmes, 1998 (cit. et reprod. coul. p. 28, cit. p. 156) . N° isbn 2-85850-960-3
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Ornament and Abstraction : the Dialogue between non-Western, modern and contemporary Art : Bâle, Fondation Beyeler, 2001 (cat. n° 114, cit. p. 94, repr. p. 95) . N° isbn 3-905632-15-2
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Matisse arabesque : Rome, Scuderie del Quirinale, 4 mars-21 juin 2015.- Milan, Skira, 2015 (Cat. n° 139, cit. et reprod. p. 156-157) . N° isbn 978-88-572-2841-9
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Matisse : Life and Spirit. Masterpieces from the Centre Pompidou, Paris : Sydney, Art Gallery of New South Wales, 20 novembre 2021- 13 mars 2022. - Sydney : Art Gallery of New South Wales, Paris : Centre Pompidou, 2021 (sous la dir. d''Aurélie Verdier, Justin Paton et Jackie Dunn) (cat. n° 69 reprod. coul. p. 170) . N° isbn 9781741741537
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