Portrait de Greta Prozor
1916
Portrait de Greta Prozor
1916
Domaine | Dessin |
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Technique | Crayon gras sur papier |
Dimensions | 56 x 37,3 cm |
Acquisition | Achat, 1984 |
N° d'inventaire | AM 1984-46 |
Informations détaillées
Artiste |
Henri Matisse
(1869, France - 1954, France) |
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Titre principal | Portrait de Greta Prozor |
Date de création | 1916 |
Domaine | Dessin |
Technique | Crayon gras sur papier |
Dimensions | 56 x 37,3 cm |
Inscriptions | S.T.B.DR. : Greta Prosor/Henri Matisse |
Acquisition | Achat, 1984 |
Secteur de collection | Cabinet d'art graphique |
N° d'inventaire | AM 1984-46 |
Analyse
La toile Portrait de Greta Prozor (1916) du MNAM constitue l'une des œuvres majeures de la période 1915-1916. Une série de dessins préparatoires, dont le MNAM conserve trois feuilles, témoigne du processus de production du tableau. Une photographie de Greta Prozor (prise en compagnie de Renoir et Matisse en 1918 nous présente la jeune actrice dans une attitude grave — le buste droit, les mains nouées, le cou dégagé par un col triangulaire — qui évoque la pose retenue dans la toile et certains états du dessin.
Le Portrait de Greta Prozor (n° 59, recto) est la mise en place rapide de quelques traits caractéristiques du visage du modèle dans un idiome figuratif minimal qui se rattache aux lithographies des années 1914 (en particulier Loulou au chapeau fleuri) et annonce les masques au pinceau des années cinquante. Le dessin est construit sur une suite d'angles emboîtés ou inversés — raie séparant la double masse de la chevelure, pointe du menton, décolleté — isolant un signe « triangle » qui rendrait compte de la personnalité aiguë du modèle1. Le verso de cette feuille (n° 59, verso) conserve l'empreinte d'un dessin au crayon noir où une composition angulaire dénote également l'expression de vivacité. Avec le Portrait de Greta Prozor (n° 60) le parti définitif du tableau est établi : le modèle est représenté portant un chapeau dont s'échappe une mèche rebelle. La main sur laquelle repose le visage est coupée au poignet par une manche longue et ajustée, celle qui figure dans la toile.
Le dessin Portrait de Greta Prozor (n° 61), qui possède le même format que le précédent, affirme un style graphique très différent. Matisse inverse la mise en page, opte pour un trois-quarts droit, abandonne la pose familière pour un raidissement du modèle dont le regard jusqu'ici détourné se fixe avec attention dans un face à face tendu avec l'observateur. Le bord du chapeau, la ligne de l'épaule définissent deux fortes horizontales stabilisant la trame carrée et centrée du visage où s'inscrivent les lignes droites et les arêtes des traits. Réduit à l'épure, le dessin procède néanmoins d'une sédimentation graphique dont les strates restent visibles. Une pointe-sèche de 1916 représente Greta Prozor sous le même angle et porte également l'intensité du dessin sur l'œil gauche par un trait chargé en encre. Cette pointe-sèche pourrait être intermédiaire entre les deux dessins précédents. En effet le passage par la gravure qui inverse au moment de l'impression le sens des dessins de gauche à droite conduisit souvent Matisse à conserver cette nouvelle vision de son sujet. Cette volonté de l'artiste peut se comprendre à travers une remarque qu'il fit à André Marchand sur son appréciation de l'œuvre de Cézanne : « (...) les tableaux de Cézanne ont une construction particulière ; à l'envers, dans une glace par exemple, les toiles de Cézanne perdent souvent l'équilibre »2. Nous reviendrons sur les expériences de réversibilité de la composition entreprises par Matisse au moyen de la technique de la gravure ou du thème du miroir, pour contrôler, d'une part, les possibles lectures de l'œuvre et explorer, d'autre part, les potentialités plastiques de ces visions accidentelles.
L'Étude pour Greta Prozor, 1916 pousse le traitement graphique jusqu'à un point extrême de géométrisation. On peut encore y lire l'écriture palimpseste des dessins effacés où figuraient les indices réalistes dont, seule, a été conservée la mèche de cheveux. Présente dans toutes les versions du portrait, cette mèche coupée court résiste ici, comme dans Tête blanche et rose (1914) résistait le ruban noir au pendentif de Marguerite. Par ailleurs on peut remarquer qu'une même composition relie ce dernier dessin et le tableau achevé. Les lignes de construction du visage et du buste sont en effet identiques à celles qui délimitent et édifient le personnage assis dans le fauteuil. La tête, dans le dessin, produit comme par extension la grille qui soutient dans la peinture le buste, le dossier et la tête : même verticale légèrement rabattue à gauche, même horizontale soulevée calant le haut de la composition, même relation entre le front, la fuite de la joue, la courbe de la mèche qu'entre le bord droit du dossier, la ligne rentrée du buste, la courbe du bras. Ainsi se trouve transféré, comme par report, un ordre réglant les rapports entre l'expressivité du visage et celle du corps tout entier. Matisse expose dans Les Notes d'un peintre sur son dessin, ce fonctionnement par propagation : « L'intérêt émotif qu'elles [les modèles] m'inspirent ne se voit pas spécialement sur la représentation de leur corps, mais souvent par des lignes ou des valeurs spéciales qui sont répandues sur toute la toile ou sur le papier et en forment son orchestration, son architecture. »3 L'analogie structurelle qui est ici en jeu définit de nouveaux rapports productifs entre partie et tout, entre dessin et peinture. Il n'y a pas simplement reprise par la peinture d'une solution plastique élaborée par le travail du dessin mais l'application au tableau du « concept constructif » du dessin qui se voit assigner la fonction de gabarit ou de module pour la peinture.
Anne Baldessari
Notes :
1. Dominique Fourcade, (« 65 dessins de Matisse », Cahiers du MNAM, op. cit., p. 10) considère que ce dessin pourrait être une étude pour le Portrait de Yvonne Landsberg (1914). En rapprochant les autres feuilles préparatoires de ce portrait, on observe que le dessin n'en présente pas les mêmes caractéristiques, en particulier dans le traitement du nez, des yeux et du menton. Par contre, si on le compare aux études du Portrait de Greta Prozor, bien qu'il figure le modèle sans chapeau ni col haut, on verra que le dessin des traits du visage en est quasiment identique.
2. Cité par Dominique Fourcade, in Henri Matisse, Écrits et propos sur l'art, édition établie par Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972, p. 84, note 19.
3. Notes d'un peintre sur son dessin, ibid, pp. 162-163.
Source :
Extrait du catalogue Œuvres de Matisse, catalogue établi par Isabelle Monod-Fontaine, Anne Baldassari et Claude Laugier, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 1989
Bibliographie
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Matisse, la collection du Centre Georges Pompidou, Musée national d''art moderne : Lyon, Musée des Beaux-Arts, 2 avril-28 juin 1998. - Paris : éd. Centre Pompidou (sous la dir. de Claude Laugier, Isabelle Monod-Fontaine et Philippe Durey) (cit. et reprod. coul. p. 32) . N° isbn 2-85850-946-8
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Henri Matisse. Le laboratoire intérieur : Lyon, Musée des Beaux-Arts de Lyon, 6 décembre 2016-6 mars 2017 [dossier de presse] (Cat. n°95, cit. p.120; reprod. coul. p. 138, légende p. 138)
Henri Matisse. Le laboratoire intérieur : Lyon, Musée des Beaux-Arts, 2 décembre 2016-6 mars 2017.- Paris/Lyon : Hazan/Musée des Beaux-arts, 2016 (cat. n°95, cit. p.120, cit et reprod. coul. p. 138) . N° isbn 978-2-7541-0976-5
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Henri Matisse : The Colour of Ideas. Masterpieces from the Centre Pompidou, Paris : Budapest, Museum of Fine Arts, 30 juin-16 octobre 2022. - Paris / Budapest : Centre Pompidou / Museum of Fine Arts, 2022 (sous la dir. d''Aurélie Verdier et David Fehér) (cat. n° 38 cit. p. 153 et reprod. coul. p. 160) . N° isbn 978-615-5987-85-4
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