Danger/Dancer
1917 - 1920
Danger/Dancer
1917 - 1920
A une lettre près, cette peinture sur verre joue sur la sonorité en
anglais entre « Dancer » [Danseuse] et « Danger ».Un spectacle mettant en scène une danseuse espagnole inspire à Man Ray cette représentation peinte à l'aérographe. Proche de la grande mécanique érotique conçue par Marcel Duchamp avec La Mariée mise à nu par ses célibataires (1915-1923), ce « petit verre »(lui aussi brisé par accident, en 1968) fut exposé par Katherine S. Dreier dans les galeries de la Société Anonyme à New York en 1920, puis l'année suivante en contexte dada à la Librairie Six à Paris, pour être enfin acquise par André Breton qui la conserva sa vie durant.
Domaine | Oeuvre en 3 dimensions |
---|---|
Technique | Peinture à l'aérographe sur verre dans un encadrement en bois |
Dimensions | 60,8 x 35,2 x 2 cm |
Acquisition | Don de Mmes Aube Breton-Elléouët et Oona Elléouët, 2003 |
N° d'inventaire | AM 2003-581 |
En salle :
Musée - Niveau 5 - Salle 20 : Francis Picabia / Anna Sommer
Informations détaillées
Artiste |
Man Ray (Emmanuel Radnitzky, dit)
(1890, États-Unis - 1976, France) |
---|---|
Titre principal | Danger/Dancer |
Ancien titre | L'Impossibilité |
Date de création | 1917 - 1920 |
Domaine | Oeuvre en 3 dimensions |
Technique | Peinture à l'aérographe sur verre dans un encadrement en bois |
Dimensions | 60,8 x 35,2 x 2 cm |
Inscriptions | S.D.INDIC.B.G. : [gravé dans la peinture] man Ray n. y. 20 |
Notes | Oeuvre brisée en 1968 |
Acquisition | Don de Mmes Aube Breton-Elléouët et Oona Elléouët, 2003 |
Secteur de collection | Arts Plastiques - Moderne |
N° d'inventaire | AM 2003-581 |
Analyse
Peint à l‘aérographe sur une plaque de verre solidement encadrée par une armature de métal, Danger/Dancer n’a pas attendu de connaître le même sort que son fameux alter ego, Le Grand Verre de Marcel Duchamp (comme lui brisé en mille endroits et qui montre désormais les cicatrices de l’accident), pour connaître la célébrité : il fut exposé en 1920 dans la galerie de la Société Anonyme, qu’avec Walter Arensberg et Marcel Duchamp Man Ray fonde à Philadelphie ; il figure à la première exposition parisienne de l’artiste, Librairie Six, en décembre 1921 (où il est titré L’Impossibilité et daté 1917-1920), puis à l‘exposition « Tableaux de Man Ray et Objets des îles », Galerie surréaliste, 26 mars-10 avril 1926, ensuite à l’« Exposition internationale du Surréalisme », galerie des Beaux Arts, en janvier-février 1938, etc. C’est dire l’importance, immédiatement reconnue de l’œuvre, qui fut achetée par André Breton et resta jusqu’à la fin de sa vie dans son atelier-bureau de la rue Fontaine.
À accrocher au mur, comme toute peinture encadrée (par une chaîne mise en place par Man Ray et qui a disparu), ou à poser sur une table (comme il l’est actuellement), tel un objet quotidien (Man Ray le cite parmi ses « objets d’affection »), ou encore à suspendre contre la lumière de la ville, telle une fenêtre (c’est ainsi que l’œuvre est photographiée dans son atelier new-yorkais, et qu’elle apparaît encore dans son atelier de la rue Campagne-Première, en 1933), ou telle une plaque photographique que l’on souhaiterait voir à la lumière du jour ? L’œuvre manifeste un don d’ubiquité qui fait toute son originalité, et que relevait déjà André Breton dans « Le Surréalisme et la peinture » ( La Révolution surréaliste , 1926) lorsqu’il notait qu’elle se situait « aux confins de la photographie, de la peinture et de l’objet ».
Le procédé industriel de l’aérographie lui donnait, dira Man Ray, l’impression de peindre directement avec le cerveau, de mettre ainsi fin à l’usage de la main (sa première peinture à l’aérographe, en 1919, s’intitule Suicide ) : la rapidité d’inspiration et d’exécution est alors primordiale. Il est significatif de constater que les rouages peints en négatif sur le verre sont exactement ceux d’un dessin intitulé Perpetual Motion , daté de 1918 et exposé, en 1919, à la Daniel Gallery de New York : tirage sur papier sensible d’un cliché verre ou transposition sur verre d’un dessin ? Quoi qu’il en soit, comme Picabia (qui, avec une roue mécanique, avait proposé en 1913 un Portrait d’une jeune fille américaine ), l’ancien dessinateur industriel qu’était Man Ray est fasciné par les objets mécaniques, moins peut-être pour leur symbolique érotique que pour leur pouvoir de motion / emotion : à propos de Danger/Dancer , il déclarera s’être inspiré « des girations d’une danseuse espagnole vue dans une revue musicale ». Déjà en 1916, il interprète la danse d’un funambule en un diagramme abstrait ( The Rope Dancer , 1916, New York, MoMA) ; et de fait en 1926, il présente Danger/Dancer accompagné d’une mandoline espagnole.
Mais c’est essentiellement le dialogue étroit avec Marcel Duchamp – que Man Ray avait vu travailler dans l’atelier de New York à une grande plaque de verre posée sur des tréteaux, et qui avait déjà conçu, en 1917, le verre peint de Glissière , qui enfin, en 1920, travaille à Rotative plaques verre (AM 1979-411), cette machine de verre optique circulaire « dangereuse » puisqu’elle faillit décapiter Man Ray lorsqu’il voulut la photographier – qu’atteste Danger/Dancer . Simple allusion, non spéculative, aux recherches de son ami, jeu d’échange complice avec celui qui conçoit au même moment la fenêtre obscure de Fresh Widow (AM 1986-297) ? Cette suspension peinte par Man Ray est bien en tout cas, et en termes efficaces, une peinture en suspension.
Agnès de la Beaumelle
Source :
Extrait du catalogue Collection art moderne - La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne , sous la direction de Brigitte Leal, Paris, Centre Pompidou, 2007