Débat / Rencontre
Mémoires vives
24 mai 2004 - 18 avril 2005
L'événement est terminé
Qu'est-ce que la mémoire ?
Plus qu'une faculté humaine parmi d'autres, elle est celle qui rend toutes les autres possibles.
Aussi pourrait-on dire qu'en l'homme, tout est mémoire : du corps vécu par chacun dans la singularité de ses perceptions et des traces laissées en lui par l'expérience, jusqu'aux élaborations symboliques les plus complexes, qui font la spécificité de l'espèce humaine : le langage, l'éthique, les mythes, les civilisations, les pratiques culturelles, artistiques, enfin tout ce qui marque et distingue l'humanité en tant que telle.
Qu'est-ce que la mémoire ?
Plus qu'une faculté humaine parmi d'autres, elle est celle qui rend toutes les autres possibles.
Aussi pourrait-on dire qu'en l'homme, tout est mémoire : du corps vécu par chacun dans la singularité de ses perceptions et des traces laissées en lui par l'expérience, jusqu'aux élaborations symboliques les plus complexes, qui font la spécificité de l'espèce humaine : le langage, l'éthique, les mythes, les civilisations, les pratiques culturelles, artistiques, enfin tout ce qui marque et distingue l'humanité en tant que telle.
La mémoire, c'est le lien, permettant à chacun de se construire en intégrant - ou rejetant - ce qui dans le fatras chaotique de l'expérience, des sensations, du rapport au réel, lui permettra d'avancer, mais aussi celui qui relie chaque homme à tous les autres, qui assure la transmission : transmission des savoir-faire, mais surtout des valeurs qui les sous-tendent. Elle est enfin ce pont qui relie les morts aux vivants.
La mémoire a en quelque sorte évolué au même rythme que l'homme, sans qu'il soit possible de dire si c'est la mémoire qui fait l'homme ou l'inverse : l'un ne se conçoit tout simplement pas sans l'autre. Ainsi, l'augmentation du volume du cerveau est à mettre en rapport avec une capacité d'apprendre hors du commun, par comparaison avec celle des autres espèces dotées d'un cortex, permettant le développement et le perfectionnement de fonctions spécifiques à l'homme : le langage, la pensée, la conscience de soi. Dès lors, l'humanité a pu se manifester par le biais de pratiques symboliques qui lui sont propres : l'invention de l'art en témoigne, tout comme, d'une autre manière, l'apparition du culte des morts.
Produire des traces, c'est aussi objectiver l'intime du souvenir, ce qui signifie que la mémoire s'externalise, par nature, opérant en permanence un travail de retranscription, de traduction, de déplacement, de métaphore.
De ce travail permanent de retranscription, l'écriture est une des manifestations les plus caractéristiques. Son invention, qui fait entrer l'humanité dans l'Histoire, témoigne bien, d'une part, d'un processus d'extériorisation : la production de traces ne s'envisage pas sans le développement de « prothèses » techniques, et l'écriture en est une ; elle manifeste d'autre part cette distance, cette coupure qui toujours existe entre la chose vécue et sa représentation : l'homme n'est jamais dans une pure présence à lui-même, au monde ou aux autres, en sorte que la mémoire, qui permet l'élaboration d'une conscience de soi, est aussi celle qui la fait vaciller (Je est un autre, disait Rimbaud), instille en chacun un sentiment d'étrangeté à soi-même qui peut aller de l'indétermination au malaise profond.
L'écriture manifeste cette résistance, ou encore cette différence évoquées par J.Derrida.
On le comprend donc, les problématiques relatives à la mémoire ne peuvent se résumer à la simple question du stockage d'informations supposées « brutes » : la transmission constitue son objet en même temps qu'elle le propage. La mémoire est donc aussi un lieu où opèrent des stratégies, des tensions, des tactiques, tant sur le plan individuel (ce que la psychanalyse met en lumière) que sur le plan collectif. On en mesure alors les enjeux culturels, éthiques, politiques, sociaux.
Les questions posées par la mémoire sont, on le voit donc, innombrables et nous tenterons au cours de ce cycle d'en éclairer certaines, tout en sachant que bien d'autres resteront, sinon dans l'ombre, du moins en suspens.
À la croisée du passé, du présent et du futur, au confluent des expériences les plus intimes d'un individu et de la collectivité à laquelle il appartient, au carrefour de la conscience et de l'inconscient : la mémoire. Jamais constituée, toujours en devenir, elle est ce lieu imaginaire, réel et symbolique où l'humanité tout entière, incarnée par chacun de nous produit des traces.
Nous en explorerons les parois, les échos et les fonctionnements subtils, déconcertants, troublants ou émouvants, tout comme le firent ces quatre enfants qui, à la lueur d'une lampe de fortune, égarés dans les entrailles de la terre, quelque part en Dordogne, un jour de 1940, tandis qu'à la surface grondait le feu des armes (en ce conflit qui fut aussi marqué par une volonté affichée d'anéantissement de la mémoire) découvrirent, émerveillés, les parois de Lascaux.
Anne-Sophie Chazaud.
Quand
tous les jours sauf mardis