Cinéma / Vidéo
Victor Erice / Abbas Kiarostami
Le goût du coing et le goût de la cerise
22 sept. 2007 - 7 janv. 2008
L'événement est terminé
Abbas Kiarostami et Víctor Erice sont nés à une semaine d'intervalle, en juin 1940, l'un en Iran, l'autre en Espagne. Kiarostami est passé par les beaux-arts, le dessin et le film publicitaire avant de faire son apprentissage du cinéma en réalisant des films pédagogiques pour une institution éducative nationale, le Kanoon. Erice est passé par la voie plus classique d'une école de cinéma, par une cinéphilie méditative et par l'écriture sur le cinéma qu'il a toujours considérée comme un travail de création sous une autre forme.
Abbas Kiarostami et Víctor Erice ont tous les deux connu un changement de régime radical au cours de leur vie d'hommes et de cinéastes. Pour Víctor Erice, la fin du franquisme et l'avènement d'un régime démocratique en Espagne. Pour Abbas Kiarostami, la chute de l'Ancien régime du Shah et la révolution islamique iranienne. Du point de vue d'une autre histoire, non nationale, ils ont clairement conscience d'appartenir à la même génération de cinéma, celle «d'une époque où le cinéma s'est mis au service des moyens et non les moyens au service du cinéma » comme le dit Kiarostami. Víctor Erice, lui, parle d'inflation audiovisuelle et de pollution des images. Tous les deux vont donc repartir du geste originel du cinéma : la saisie, la captation du monde et des hommes qui l'habitent. Tous les deux, aussi, vont refuser la logique de l'antériorité et de la toute-puissance économique du scénario. Ils vont aller à la rencontre du réel, des décors, des paysages, de leurs non-acteurs, avec un projet d'histoire ouvert à ce que le tournage va leur proposer. Mais tous les deux, dans le même temps, vont refuser un plat naturalisme où la forme se dissout dansde vains effets de réel. « Le plan est la conscience du cinéma », dit Víctor Erice. Chez Kiarostami aussi la conscience de la forme est une arme de résistance essentielle; il a la conviction que la forme part de l'idée mais qu'elle est plus importante qu'elle : « Ce qui reste d'une oeuvre, c'est la forme plus que le sujet. La forme protège l'idée car c'est elle qui lui permet d'affronter le temps ». Et pour l'un comme pour l'autre, se revendiquer comme cinéaste du plan, c'est revendiquer la patiente saisie du temps, à travers les mailles du plan, comme essentielle à leur poétique. Tout ceci pourrait relever d'un simple retour salutaire au « rossellinisme », après le naufrage audiovisuel de notre époque, mais aussi bien Erice que Kiarostami sont des cinéastes à la pointe du contemporain, là où le cinéma d'aujourd'hui rejoint les interrogations des autres artistes, en particulier celles des plasticiens, là où le dispositif cinéma et le dispositif installation se rejoignent dans une conception en même temps linéaire et tabulaire. Dès L'Esprit de la ruche, Víctor Erice a construit son film sur ces deux logiques : celle du récit qui avance et celle du mythe qui fait du surplace et procède par boucles. Abbas Kiarostami est passé maître dans l'art de la répétition en boucle des motifs. Tous deux se rejoignent dans une postulation moderne sérielle de leur art et dans le choix de laisser au spectateur la liberté de goûter à sa façon les variations musicales plutôt que de l'emporter dans une fuite en avant du récit dont il ne pourrait être que le sujet passif. Si tous deux, enfin, sont repartis de l'enfance dans leurs premiers films, ce n'est pas de façon anecdotique, comme on choisit un motif plaisant. L'enfance est la base même de leur création, que les enfants soient présents ou non dans leurs films. Ils en ont fait une origine avant d'en faire un sujet. L'état d'enfance, dans leurs films, c'est la découverte du monde comme une énigme dont la clé est à la fois contenue et cachée dans le visible, bref, c'est le cinéma comme révélateur de l'énigme de soi et du rapport intime et premier au monde qui nous a constitué en sujet singulier. Cette rétrospective est sans doute à ce jour la plus complète jamais réalisée sur ces deux cinéastes. Elle permet de voir la quasi-totalité des films que Kiarostami a réalisés au Kanoon et qui lui ont permis, à l'abri de toute économie de marché, de faire son patient apprentissage de cinéaste. Ces petits films, rarement montrés, sont essentiels pour qui veut suivre le chemin de création du cinéaste et comprendre à quel point les convictions éthiques et esthétiques qui allaient être les siennes par la suite étaient déjà bien établies dans ces années d'autoformation. Le Rapport est aussi un film rare, longtemps invisible, de l'époque « films citadins » du cinéaste. Devoirs du soir est un film essentiel, d'une puissance analytique rare pour comprendre comment se transmettent, à travers les rituels familiaux et scolaires, les valeurs sociales dans la société iranienne. On pourra aussi découvrir l'épisode réalisé par Kiarostami pour le film collectif Tickets ; les deux autres ayant été confiés à Ermanno Olmi et à Ken Loach. Cette rétrospective est aussi l'occasion de découvrir ses films de forme très brève (Un oeuf, Naissance de la lumière, et Where is my Romeo? présenté au dernier festival de Cannes), genre dans lequel excelle Kiarostami qui écrit par ailleurs des poèmes très proches du haïku japonais. Où l'on découvre que l'on peut prendre tout son temps pour faire exister le temps en trois minutes de film. Cette programmation donne l'occasion de s'approcher de l'homme et du cinéaste Kiarostami à travers des portraits et des documentaires qui lui ont été consacrés, où l'on a parfois l'impression qu'il se sert de la caméra des autres pour faire en douceur et en contrebande son autoportrait. Le jeu de main-chaude entre Jean-Pierre Limosin et lui est particulièrement vertigineux dans le Cinéma de notre temps dont il est le sujet. Son propre fils Bahman Kiarostami a réalisé deux de ces films. La rétrospective consacrée à Víctor Erice permet de revoir ses trois longs métrages mythiques. S'il a tourné à peu près un long métrage tous les dix ans, chacun d'eux porte en lui le travail de mûrissement et de méditation accompli par l'homme et le cinéaste pendant la dizaine d'années qui a précédé sa naissance. On y découvre un moyen métrage de ses années d'apprentissage (Los días perdidos) réalisé à l'École de cinéma de Madrid et son premier film, un épisode de trente-cinq minutes du film Los desafíos. On y verra aussi son dernier film, produit à l'occasion de cette exposition, la Morte Rouge, où il fait un retour sur sa première rencontre d'enfant avec le cinéma. Víctor Erice n'est pas seulement cinéaste, il est aussi une conscience du cinéma de son pays et du cinéma en général. Plusieurs documents filmés lui donnent l'occasion de parler de son travail avec la lucidité et la précision qui sont les siennes quand il s'agit d'analyser sa place dans le devenir du cinéma, ainsi que sa conception de l'acte de création au cinéma. Alain Bergala, commissaire de l'exposition Víctor Erice/ Abbas Kiarostami : correspondances. Nous remercions tout particulièrement Víctor Erice/ Abbas Kiarostami / Jordi Balló / Alain Bergala / Isabel Escudero/ Nasrine Médard de Chardon/César Romero / le Centre de Cultura Contemporània de Barcelone (CCCB) / Dreamlab Films / la Filmoteca española / l'Institut Kanoon, Iran / MK2 / le Museo Nazionale del Cinema di Torino / Nautilus Films Nous remercions également AMIP multimedia / les Archives françaises du film du CNC / Mahmoud Behraznia /Brussels Ave/ Canal + Espagne / Carlotta Films / le Centre culturel iranien, Paris / Cinéma Public Films / la Cinemateca Portuguesa / la Cinémathèque Française / Cinétévé/ Coli Films /CQFD/ Marie Delporte/ Dreamachine/ la Farabi Foundation, Iran/ Nicole Fernandez Ferrer / le Festival de Cannes / Les Films du Paradoxe/ Films sans frontières / le Forum des Images / la Grande Ourse communication / l'ICAA, Madrid / l'Institut Lumière/ Gilles Jacob/ Bahman Kiarostami / Massoumeh Lahidji / Light Cone / Linterna Magica / Margo Films / Hideyuki Miyaoka / Paolo Moretti / le National Film Archive of Iran (NFAI) / le National Film Center / National Museum of Modern Art, Tokyo/ la Nikkatsu Corporation / Manoel de Oliveira/ Jos Oliver / Pierre Grise Distribution / p.o.m. films /Rossella Rinaldi / Rosebud Films / Softitrage Com / Jean-Marie Straub/Tamasa Distribution / Manijeh Torfeh-Perrot / Video Mercury /Pascal-Alex Vincent
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