Exposition / Musée
Beat Generation
22 juin - 3 oct. 2016
L'événement est terminé
Le Centre Pompidou présente « Beat Generation », une rétrospective inédite consacrée au mouvement littéraire et artistique né à la fin des années 1940 et étendant son influence jusqu’à la fin des années 1960.
C’est tout le Centre Pompidou qui se met à l’heure de la Beat Generation à travers une riche programmation d’événements conçue avec la Bpi et l’Ircam, en écho à l’exposition : lecture, concerts, rencontre, cycle de films, colloque, programmation au Studio 13/16, etc.
La Beat Generation est née à l’initiative de William Burroughs, Allen Ginsberg et Jack Kerouac qui se rencontrent à New York, à Columbia University en 1944. Le mouvement se déplace ensuite sur la côte ouest et gravite autour de la librairie de Lawrence Ferlinghetti à San Francisco, la maison d’édition City Lights et brièvement, autour de la Six Gallery où a lieu, le 7 octobre 1955, la célèbre lecture par Ginsberg de son poème Howl, qui donnera lieu à un retentissant procès pour obscénité et apportera aux poètes beat une célébrité paradoxale. Entre 1957 et 1963, Paris sera un des foyers essentiels de la Beat Generation : William Burroughs, Gregory Corso, Allen Ginsberg, Peter Orlovsky, Brion Gysin, etc. logent régulièrement au Beat Hotel, 9 rue Gît-Le-Coeur, haut lieu de la bohême du Paris d’après-guerre et un véritable laboratoire pour les expérimentations visuelles et sonores. C’est là en particulier que Brion Gysin, William Burroughs et Antony Balch développent la technique du « cut-up », que Burroughs écrit Naked Lunch, et que Brion Gysin invente sa Dreamachine.
Aux États-Unis au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale et aux premiers jours de la Guerre froide, l’émergence de cette Beat Generation « scandalisa » l’Amérique puritaine et maccarthyste et préfigura la libération culturelle, sexuelle et le mode de vie de la jeunesse des années 1960. D'abord perçus par la culture dominante comme des rebelles subversifs, les beats apparaissent aujourd’hui comme les acteurs d’un mouvement culturel parmi les plus importants du 20e siècle que le Centre Pompidou se propose de traverser, de New York à Los Angeles, de Paris à Tanger.
L’exposition du Centre Pompidou éclaire le mouvement beat dans un horizon élargi et protéiforme. Les pratiques artistiques de la Beat Generation - lectures, performances, concerts, films... - témoignent d’un décloisonnement des mediums et d’une volonté de collaboration qui met en question la notion de singularité artistique. À côté d’artistes plasticiens majeurs, en particulier issus de la scène artistique californienne (Wallace Berman, Bruce Conner, George Herms, Jay DeFeo, Jess…), une place importante est réservée à la dimension littéraire du mouvement, à la poésie parlée dans les relations qu’elle entretient avec le jazz, à la poésie noire américaine (LeRoi Jones, Bob Kaufman...).
La photographie, essentiellement des portraits, d’Allen Ginsberg et de William Burroughs mais aussi les ensembles de Robert Frank (Les Américains, From the bus…), de Fred McDarrah, de John Cohen, d’Harold Chapman, fait partie intégrante des médiums utilisés par la génération beat. Il en est de même pour le cinéma (Christopher MacLaine, Bruce Baillie, Stan Brakhage, Ron Rice...) dont la pratique a toujours accompagné les développements et l’histoire de ce mouvement.
Cette exposition exploite délibérément des modes de présentation des œuvres sonores et visuelles « low tech » (disques vinyles et tourne-disques, carrousels de diapositives, projecteurs 16 mm...). Elle illustre à quel point la Beat Generation, dans sa liberté d’expression, sa volonté de décloisonnement des disciplines et des cultures, son esthétique pauvre, extatique et contemplative, sa violence aussi, a conditionné les développements ultérieurs des contre-cultures contemporaines, dont elle apparaît comme l’origine et auxquelles elle permet de donner sens.
Quand
11h - 23h, tous les jeudis
11h - 21h, tous les lundis, mercredis, vendredis, samedis, dimanches
Nocturnes jusqu'à 23h tous les jeudis soirs
Où
Entretien avec Jean-Jacques Lebel, co-commissaire de l’exposition
Peut-on parler de « filiation » entre surréalistes et écrivains beat ?
On ne peut pas parler de filiation mais plutôt invoquer les affinités concrètes entre l’écriture automatique des surréalistes et la « spontaneous prose » ou la « spontaneous Bop prosody » de Kerouac. Quant à Carl Solomon – dédicataire de Howl, poème-manifeste de Ginsberg – il s’est identifié à Artaud après la tragique séance du théâtre du Vieux-Colombier où ce dernier, en 1947, a vécu en public une crise psychotique. Solomon en fut bouleversé au point de se faire interner dès son retour à New York en exigeant qu’on lui administre des électrochocs, comme Artaud. En 1943, alors qu’il n’avait que quinze ans, le poète Philip Lamantia, cofondateur du mouvement beat, écrivit à André Breton pour lui signifier son adhésion au surréalisme et lui envoyer des poèmes aussitôt publiés dans la revue surréaliste new-yorkaise View. Bob Kaufman et Ted Joans, beatniks afro-américains se sont réclamés du surréalisme. Certains textes de McClure, de Corso, de Ferlinghetti, ont une forte saveur surréaliste. Il s’agit de connexions rhizomiques, pas de démarquages. Les sources de la poésie beat ne sont pas exclusivement américaines, mais au contraire très variées, transculturelles et souvent asiatiques.
L’exposition présente l’étape parisienne des artistes beat, pouvez-vous nous éclairer sur ce moment de l’histoire du mouvement ?
L’essentiel de ce que les poètes beat sont venus chercher à Paris est résumé dans la photo de Ginsberg assis sur son lit au Beat Hotel, rue Gît-le-Cœur, sous une reproduction du portrait de Rimbaud par Fantin-Latour et l’affiche d’une exposition Cézanne. Le Rimbaud d’Une saison en enfer fut pour eux un « phare », au sens baudelairien. Quant à Cézanne, Ginsberg explique qu’il a voulu transposer dans sa prosodie la méthode spatio-analytique du peintre. Burroughs a parachevé ses « scrapbooks » et écrit plusieurs livres au Beat Hotel. Gysin y a inventé le cut-up et sa dreamachine. Ferlinghetti a passé sa thèse sur Prévert à la Sorbonne. Corso a écrit des textes majeurs à Paris et à Amsterdam. Il est temps de lever l’interdit que certains exégètes universitaires américains chauvins ont fait peser sur Paris et l’Europe. La présente exposition complète et amplifie celle que j’ai organisée en 2013-2014 au Centre Pompidou-Metz et dans quatre autres musées européens. Nous remettons les pendules à l’heure à la façon de Desnos : « Poème, je ne vous demande pas l’heure qu’il est, Je vous la donne. »
Vous avez été l’un des acteurs du mouvement et un trait d’union avec les États-Unis ? Comment y avez-vous pris part ?
En tant que traducteur d’abord - Ginsberg m’ayant mis à contribution dès notre rencontre en 1957 - puis en tant qu’organisateur de lectures publiques et ami de Corso, de Ferlinghetti, de McClure, d’Orlovsky et de Ginsberg lui-même. Dès 1958, j’ai présenté Ginsberg, Corso, Burroughs et Gysin à mes proches : Duchamp, Man Ray, Péret… Mon Anthologie de la poésie de la Beat Generation est parue en 1965, grâce à Maurice Nadeau, et c’est en ayant la surprise de lire sur les murs de Paris en mai 1968 de longues citations de mes traductions de Howl, taguées anonymement, que j’ai pris conscience de l’énorme impact que cette poésie avait eu. Elle s’est envolée de la page imprimée pour se transformer en acte dans le champ social. « La poésie doit être faite par tous. Non par un » écrivait Lautréamont. Ce rêve était devenu réalité, enfin !
Jean-Jacques Lebel
Source :
in Code Couleur, n°25, mai-août 2016, p. 45
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