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Yves Saint Laurent mis à nu par Jeanloup Sieff

C'est le portrait le plus célèbre d'Yves Saint Laurent. Réalisé par le maître du noir et blanc Jeanloup Sieff en 1971, ce cliché est entré dans la collection du Centre Pompidou dès 1983. Intemporel et transgressif, il montre le couturier dans le plus simple appareil. Un coup de génie devenu objet pop, qui a inspiré de nombreux suiveurs. Décryptage, à l'heure où s'ouvre l'exposition « Yves Saint Laurent aux musées ».

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Lorsque, ce jour de 1971, Jeanloup Sieff accueille Yves Saint Laurent dans son studio de la rue Ampère, dans le 17e arrondissement de Paris, il ne sait pas encore que le couturier à décidé de se mettre à nu devant son objectif. Si le photographe, célèbre pour ses subtils noirs et blancs, a rendez-vous avec Saint Laurent, c'est parce que celui-ci veut poser lui-même pour la campagne de son tout premier parfum masculin pour homme une nouveauté à l'époque. Prévoyant, le créateur est même venu avec une bouteille factice, qu'il avait prévu d'utiliser pour cacher l'inmontrable. Sieff saisit alors son Hasselblad, et commence à photographier le roi de la couture, pieds nus, en col roulé et pantalon noirs, lunettes d'écaille sur le nez... Dans la biographie qu'elle consacre à Yves Saint Laurent (Yves Saint Laurent, 1993), la journaliste Laurence Benaïm rapporte les propos de Sieff, évoquant lors de cette prise de vue « un mélange de provocation et un certain malaise… ». Au bout d'une heure, Saint Laurent, habituellement pudique, tombe le haut et le bas, pour ne garder que les lunettes. 

 

Je suis prêt à tout pour me vendre.

Yves Saint Laurent

 

À 36 ans, « Yves » n'en est pas à son premier coup de provoc'. Sa dernière collection, baptisée « Libération » et présentée en janvier de la même année, avait fait hurler : il y revisitait le vestiaire des femmes sous l'Occupation, entre fourrures obscènes et bas Nylon : les heures noires de la France. « Je suis prêt à tout pour me vendre », aime à répéter le prince de la mode (en 1978, Saint Laurent trouvera une nouvelle fois le scandale avec le lancement d'Opium, son parfum pour femme au nom plus qu'évocateur, ndlr). Las ! La publicité de son jus pour homme, dont le slogan est « Depuis trois ans, cette eau de toilette est la mienne. Aujourd'hui, elle peut être la vôtre », est refusée par plusieurs journaux, dont le conservateur Jours de France. Il se murmure aussi que les petites mains de la maison sont choquées de voir leur patron tout nu. L'image sera publiée dans Vogue, la bible de la mode, en novembre 1971. Dans Le Figaro en janvier 1972, Bernard Pivot s'amuse de ce qu'on nomme à l'époque « l'affaire du PDG nu » : « L'irritation ne provient-elle pas avant tout de l'audace d'Yves Saint Laurent ? Qu'un inconnu fasse de l'exhibitionnisme pour gagner sa vie, c'est plus désolant que révoltant. Qu'une personnalité n'hésite pas à faire du strip-tease pour vendre un produit, il y a comme une provocation cynique... » (op.cit.). La nudité masculine reste en effet un tabou à l'époque, même si les temps changent : en 1972, un certain Michel Polnareff montrera ainsi ses fesses sur des affiches restées célèbres. Saint Laurent, que son compagnon Pierre Bergé allait faire chercher au petit matin après ses nuits d'errance dans les lieux de rencontres homosexuelles sur les quais, sait jouer de cet imaginaire gay transgressif (il était même fiché par la police). 

 

Cette image est la première apparition de Saint Laurent dans la collection du Musée.

Christian Briend

 

Christian Briend, commissaire de l'exposition « Yves Saint Laurent aux musées » pour le Centre Pompidou a choisi ce portrait quasi christique pour inaugurer le parcours dans la collection : « Cette image est la première apparition de Saint Laurent dans la collection du Musée, et c'est aussi la première photographie de cette même collection montrant un couturier. Par la suite, elle va s'enrichir, et aujourd'hui nous avons des portraits de Coco Chanel, Cristóbal Balenciaga ou Elsa Schiaparelli. Détail amusant, nous avons un autre couturier nu, il s'agit de Jean-Charles Worth, photographié par Man Ray. »

 

Aujourd'hui encore, cette image iconique, montrant un autre modèle de masculinité, n'a rien  perdu de sa force. Preuve de son génie ? Elle est abondamment pillée par la publicité et la mode. Ainsi, il y a quelques années, Frédéric Beigbeder (qui affiche une légère ressemblance avec le créateur de mode), se faisait photographier dans la même pose. Et en 2002, la maison Yves Saint Laurent, sous la houlette du directeur artistique Tom Ford, reprenait le flambeau là où le couturier l'avait laissé. Pour le parfum M7, la campagne, photographiée par le Suédois Sølve Sundsbø, montrait sans ambages un homme entièrement nu, et de face. Scandale ! Censure ! Yves Saint Laurent aurait adoré. ◼