Aller au contenu principal

La visite amoureuse de... Caroline de Maigret

Avec sa frange et son allure chic mais pas snob, elle est l'une des figures incontournables de la mode parisienne — elle a posé pour Steven Meisel ou Peter Lindbergh. Au Centre Pompidou, Caroline de Maigret y vient en habituée, ne manquant aucun vernissage. Après sa récente visite de la rétrospective consacrée à Suzanne Valadon, elle partage ses coups de cœur.

± 4 min

Avec son chic très Saint-Germain-des-Prés savamment infusé de rock made in Pigalle, elle incarne depuis une bonne décennie cette « Parisienne » désinvolte et intello que le monde nous envie. Très suivie sur les réseaux, image des plus grandes marques de mode, Caroline de Maigret est aussi productrice de musique (elle a cofondé le label Bonus Track Records) et autrice de best-sellers en anglais (How To Be Parisian, co-écrit avec Anne Berest, Sophie Mas et Audrey Diwan, et Older, But Better, But Older, éd. Doubleday). Ce printemps, elle ajoutera une corde à son arc avec la sortie d'un premier disque, co-composé avec le musicien et chanteur Alexandre Diani. Passionnée d'art, cette grande éclectique chérit autant Mark Rothko qu'Alice Neel. Habituée du Centre Pompidou, elle est passée par l'exposition « Suzanne Valadon ». Impressions.

« J’ai vraiment découvert Suzanne Valadon le jour du vernissage. Bien sûr, je connaissais certaines de ses œuvres emblématiques – notamment la fameuse Chambre Bleue, cette toile résolument moderne qui met en scène une femme fumant dans son intérieur, en pyjama, le regard ailleurs… J’ai tout de suite aimé ses portraits de femmes, très différents de tout ce qui se faisait à son époque. Par exemple, ce tableau intitulé Les Deux Sœurs : deux filles assises, chaussettes tombantes, qui vous mettent au défi. Elles ont un regard très fort : on sent qu’elles sont maîtresses de leur propre désir – incroyablement moderne aussi.

 

J’aime beaucoup ce trait de crayon de Valadon, très appuyé, très noir, que l’on retrouve à la fois dans ses dessins et ses toiles. 

Caroline de Maigret

 

J’aime beaucoup ce trait de crayon de Valadon, très appuyé, très noir, que l’on retrouve à la fois dans ses dessins et ses toiles. Ce qui me frappe, c’est que lorsqu’elle représente les femmes dans leur univers domestique, on sent une sensation d’enfermement : les corps sont fatigués, dans des poses naturelles, pas forcément séduisantes… Cela me rappelle les tableaux de l’Américaine Alice Neel, dont j’ai vu la rétrospective à Beaubourg il y a trois ans. Je pense à cet autoportrait nu de Valadon, avec les seins lourds, alors qu’elle est déjà âgée : très puissant. Ou à la toile Adam et Ève, sur laquelle elle se représente nue en Ève, aux côtés de son mari le peintre Maurice Utter en Adam. Cette toile, peinte en 1909, était à l’origine le premier grand nu masculin de face peint par une artiste femme… avant que Valadon ne soit contrainte de recouvrir le sexe d’Adam de chastes feuilles de vigne.

 

Chez Valadon, on sent tout de suite cette volonté de réel, cette envie de rompre avec une certaine forme d’idéalisation du corps féminin. Son intime n’est jamais sexualisé, tout comme ses nus – un vrai « female gaze », comme on dit en anglais.

Caroline de Maigret

 

Le portrait de famille, où elle s’est représentée avec sa mère, son fils le peintre Maurice Utrillo et son mari est tout aussi fascinant. Je trouve qu’on y ressent le climat psychologique familial lourd (le fils de Valadon, qui a sombré dans l’alcool, sera frappé de démence, ndlr)… Détail intéressant, elle est la seule qui regarde directement le regardeur dans les yeux. 

Chez Valadon, on sent tout de suite cette volonté de réel, cette envie de rompre avec une certaine forme d’idéalisation du corps féminin. Son intime n’est jamais sexualisé, tout comme ses nus – un vrai « female gaze », comme on dit en anglais. Je ne crois pas que ce soit, pour elle, quelque chose de volontairement politique : cela a plus à voir avec une profonde envie de liberté. C’était une femme incroyablement émancipée, qui faisait fi des conventions – elle a divorcé puis épousé un homme de vingt ans son cadet. Avant de devenir artiste, elle commence comme modèle pour des peintres comme Toulouse-Lautrec ou Renoir, pour subvenir à ses besoins. Elle les observe, apprend de leurs techniques. Poser comme modèle peut être passionnant, j’ai moi aussi énormément appris des photographes auprès desquels j’ai travaillé. Poser, c’est aussi un acte créatif. » ◼