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Focus sur... « La Chambre bleue » de Suzanne Valadon

Peint en 1923 par Suzanne Valadon (1865-1938), le tableau La Chambre bleue reprend les codes de l'odalisque orientaliste pour mieux les subvertir. Ici, une femme dans son intérieur, non pas nue mais vêtue d'un pyjama, fumant nonchalamment, comme émancipée du regard masculin. Un portrait de femme résolument moderne, embématique du style libre de Valadon.

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La légende veut que ce soit le peintre Henri de Toulouse-Lautrec qui ait dit à Marie-Clémentine Valade, sa jeune modèle : « Toi qui poses nue pour des vieux, tu devrais t’appeler Suzanne ! » Ce sera son nom d'artiste. Issue d'une famille modeste, Suzanne Valadon (1865-1938) est d'abord modèle avant de devenir pleinement artiste. Vivant de petits boulots à Montmartre, comme couturière ou trapéziste, elle pose pour des artistes comme Pierre Puvis de Chavanne, Auguste Renoir ou Toulouse-Lautrec (qui l’a peinte dans La Gueule de bois en 1888). C'est en les regardant travailler qu'elle se serait initiée à la peinture. Remarquant son talent, Edgar Degas la prend comme élève et lui enseigne la gravure.

 

La figure de Suzanne Valadon illustre la position de la femme artiste à la charnière entre les deux siècles. Résolument libre, elle n’adhèrera à aucun courant — si ce n’est peut-être le sien. Reconnue de son vivant, elle est la première femme admise à exposer au Salon de la Société nationale des beaux-arts en 1894, et est nommée en 1920 comme sociétaire du Salon d’automne.

 

En 1923, lorsqu'elle réalise La Chambre bleue, Suzanne Valadon est déjà une artiste reconnue par ses pairs, vivant de son travail. Cette petite toile, aux camaïeus de bleus, s’inscrit dans une série de portraits féminins réalisés à une époque où l'artiste explore le rapport entre identité personnelle et espace privé. 

 

Avec La Chambre Bleue, Valadon bouleverse les codes habituels des représentations féminines de l'époque, et notamment le motif orientaliste de l'odalisque — cette femme quasi nue offerte au regard masculin, peint entre autres par Ingres ou Matisse.

 

Avec La Chambre Bleue, Valadon bouleverse les codes habituels des représentations féminines de l'époque, et notamment le motif orientaliste de l'odalisque — cette femme quasi nue offerte au regard masculin, peint entre autres par Jean-Auguste-Dominique Ingres ou Henri Matisse. Contrairement aux nus sensuels ou aux scènes idéalisées, cette femme est représentée dans un moment de vie ordinaire. Habillée d'un simple pantalon d'intérieur, fonctionnel et confortable, elle n’est pas là pour plaire ou être admirée, mais pour elle-même, absorbée par sa lecture. Sa posture, décontractée et nonchalante, suggère une affirmation de soi. Son corps est lourd, loin des canons de beauté de l'époque. La cigarette rajoute à la transgression. 

 

Suzanne Valadon s'est souvent servie de ses modèles féminins pour explorer des thèmes liés à sa propre vie, à ses émotions et à son identité. Elle a également peint plusieurs autoportraits au cours de sa carrière, montrant qu'elle n’hésitait pas à s’interroger sur sa propre place en tant que femme et artiste. Si La Chambre bleue n’est pas officiellement un autoportrait, on peut y voir une projection de ses idées, de son expérience de femme affranchie des attentes sociales, et peut-être une évocation subtile de sa propre vie intérieure. ◼