Focus sur... « Le Dernier musée », de Brion Gysin
Un temps proche du groupe surréaliste parisien puis figure majeure de la Beat Generation, inventeur, parmi bien d’autres choses, du « cut-up » avec William Burroughs, Brion Gysin (1916-1986) est l’auteur d’une œuvre protéiforme, marquée par une grande diversité des genres et des formes, dans des domaines aussi variés que la peinture, le dessin, le son, la littérature, le collage et la photographie. De son enfance entre le Canada et l’Angleterre, à sa vie parisienne dans les années 1930, new-yorkaise dans la décennie suivante, puis tangeroise dans les années 1950, il a composé une œuvre au croisement d’influences multiples.
Une période particulièrement féconde s’ouvre pour l’artiste à son retour à Paris en 1958. Gysin s’installe près de Notre-Dame, dans l’hôtel du 9 rue Gît-Le-Cœur, bientôt connu sous le nom de « Beat Hotel ». C’est à cette époque qu’il met au point, avec Burroughs la technique littéraire du cut-up, qui consiste à découper des textes de provenances diverses et à ré-assembler ces fragments afin de donner forme un nouvel ensemble textuel. Cette opération de subversion du texte traduit avant tout, chez Gysin, une volonté de « détruire les liens supposément naturels du langage, qui ne sont finalement que des expressions du Pouvoir, l’arme favorite du contrôle sinon même l’essence du contrôle. »
En 1973, Brion Gysin emménage au 135 rue Saint-Martin, dans l’un des immeubles qui fait face au Centre Pompidou, alors en construction. De sa fenêtre, il observe l’édifice prendre forme et se prend de passion pour la structure en exosquelette, si caractéristique, du bâtiment.
Toujours est-il que cette méthode nouvelle infuse durablement l’œuvre de Gysin et de son entourage à partir des années 1960. Ces jeux de variations et de permutations trouvent un support visuel particulièrement efficace dans la forme quadrillée, qui constitue le point d’ancrage des obsessions formelles de Gysin. Les grilles sont partout, chez l’artiste, qui va même jusqu’à trafiquer un rouleau de peinture en caoutchouc en incisant ce motif de manière à pouvoir le reproduire à l’infini.
En 1973, Brion Gysin emménage au 135 rue Saint-Martin, dans l’un des immeubles qui fait face au Centre Pompidou, alors en construction. De sa fenêtre, il observe l’édifice prendre forme et se prend de passion pour la structure en exosquelette, si caractéristique, du bâtiment. Très rapidement, Gysin y voit un écho direct à ses propres compositions et trouve en cette architecture radicale une source d’inspiration singulièrement riche.
« Lorsque je découvris le projet du Centre Georges Pompidou en 1973, j’eus une impression de déjà-vu qui me donna la chair de poule. Il ressemblait tellement à mes premiers dessins en couleur réalisés au rouleau que j’ai abandonné mon attitude faussement zen pour m’exclamer enfin : "C’est le Last Museum, qu’est-ce que ça pourrait être d’autre ? Et qui pourrait l’avoir dessiné à part moi !" »
Lorsque je découvris le projet du Centre Georges Pompidou en 1973, j’eus une impression de déjà-vu qui me donna la chair de poule. Il ressemblait tellement à mes premiers dessins en couleur réalisés au rouleau.
Brion Gysin
Son appareil en main, qu’il équipe d’un objectif 200 mm, Brion Gysin photographie compulsivement le bâtiment qui lui fait face, n’hésitant pas à déambuler autour afin de le saisir sous toutes ses coutures. À la manière d’un cut-up, Gysin trouve ici le moyen de reconfigurer visuellement son environnement direct, d’abord au moyen de collages photographiques de ses images. Mais il prend bientôt conscience des potentialités offertes par la planche-contact, ce tirage figurant l’ensemble des vues d’une pellicule, traditionnellement destinée à n’être qu’un outil de travail pour les photographes.
En 1977, il déclare : « il m’a fallu des années pour réaliser que la bobine de film de mon appareil photo était un rouleau », et réalise sa série d’agrandissements de planches-contacts The Last Museum [Le Dernier Musée], entrée dans les les collections du Musée national d’art moderne en 1982. Tout en demeurant identifiables, le Centre Pompidou, sa « Chenille » et ses célèbres tuyaux multicolores y apparaissent transfigurés en de remarquables rythmes graphiques qui frôlent parfois l’abstraction sous l’effet des plongées et contre-plongées que leur inflige l’artiste. Outre des images, Gysin enregistre aussi les cacophoniques bruits émanant des travaux, qu'il couche sur bandes et retravaille (sa pièce sonore Bruits du Beaubourg, ndlr).
Tout en demeurant identifiables, le Centre Pompidou, sa « Chenille » et ses célèbres tuyaux multicolores y apparaissent transfigurés en de remarquables rythmes graphiques qui frôlent parfois l’abstraction sous l’effet des plongées et contre-plongées que leur inflige l’artiste.
La série de dix clichés The Last Museum [Le Dernier Musée], actuellement présentée dans l’exposition « Chaosmose », s’inscrit dans une riche lignée d’œuvres réalisées en hommage au Centre Pompidou. À l’instar des performances filmées de Gordon Matta-Clark ou des herbiers de Paul-Armand Gette (Un chantier (lieu-dit Beaubourg), 1975-1976), également conservés dans la collection du Musée, le Last Museum de Brion Gysin outrepasse le simple relevé documentaire pour porter un regard enjoué sur l’architecture et l’histoire de ce bâtiment si atypique. ◼
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© Ville de Paris
© Centre Pompidou, Mnam/Cci/Dist. GrandPalaisRmn