Bertrand Bonello : « Je fais des films pour ne pas tuer des gens »
Bertrand Bonello n'aime pas les questions métaphysiques. Il préfère les problèmes concrets aux interrogations abstraites, les enjeux techniques aux généralités existentielles, le comment au pourquoi ; c'est ce qu'il répète à longueur d'interviews, au grand dam des journalistes qui cherchent les clefs de son œuvre. L'artiste est metteur en scène, pas philosophe, et encore moins commentateur. À chacun son travail. Pourtant, en 2014, le Centre Pompidou qui lui consacre une grande retrospective, lui propose de réaliser un court métrage. Il doit répondre, en image, à la question suivante « Où en êtes-vous, Bertrand Bonello ? » – question hautement philosophique s'il en est. Et étrangement, l'exercice l'intéresse, le passionne même. Il raconte son parcours, le plus simplement du monde. Comment il s'est imposé comme un auteur de cinéma à part, l'un des plus clivants de sa génération. Les liens qui existent, entre son plus grand succès (le magnifique Saint Laurent avec Gaspard Ulliel), un film de commande, et son plus gros échec commercial (le mélancolique De la guerre avec Mathieu Amalric), un long métrage personnel. Ou encore pourquoi, selon lui, la mise en scène prime sur tout le reste. Depuis le temps a passé. Sept ans précisément. L'artiste a réalisé Nocturama et Zombi Child, deux films d'une noirceur infinie. Mais ce court métrage Où en êtes vous, Bertrand Bonello ? demeure toujours pertinent et indispensable. Au fil d'un long entretien il revient sur la genèse de cette création, explique son rapport avec le Centre Pompidou et détaille ses projets en cours.
Quelle place occupe cet autoportrait dans votre œuvre ?
Bertrand Bonello – Une place essentielle, au moins aussi importante que celle de mes longs métrages. Entre chaque film, j'essaie de réaliser au moins un court métrage. Au cinéma, vous faites des courts pour vous entraîner, au début, et puis quand votre carrière décolle, vous arrêtez… C'est dommage. En littérature, les nouvelles sont des formes nobles. Hemingway disait d'ailleurs : « Si j'écris un roman, c'est que j'ai raté une nouvelle. » Je ne suis pas loin de penser la même chose. Le format court est difficile, mais quand il est réussi sa beauté est plus fulgurante. La plupart des courts que j'ai mis en scène sont des commandes ; de l'opéra de Paris, de la ville de Gennevilliers… En 2014, c'était pour le Centre Pompidou qui inaugurait une nouvelle collection « Où en êtes vous ? » sous l'impulsion de Sylvie Pras, responsable des Cinémas. Une façon de faire le point…
Vous avez l'habitude de vous poser des questions métaphysiques comme celle-ci ?
BB – Le moins possible. Je suis plutôt du genre à me poser des questions très concrètes. Comment faut-il tourner un film ? Mais c'était le jeu, et j'ai accepté. J'ai trouvé une forme qui me convenait. J'ai imaginé que je devais répondre aux questions de ma fille, qui avait 11 ans à l'époque, pour lui expliquer mon cinéma ; ce qui m'a forcé à faire simple et concret. Et ça m'a plu. Récemment, d'ailleurs, la fondation Prada à Milan m'a donné carte blanche et j'ai décidé de faire la suite. Aujourd'hui ma fille a 17 ans. Je lui parle autrement. Les réponses sont différentes.
Une question revient souvent : « Qu'ai-je fait de l’innocence de mes débuts ? ». Faut-il y voir une forme de nostalgie ?
BB – Non. On progresse grâce à l'expérience, heureusement. Mais il est vrai, en même temps, que celle-ci peut pétrifier. On connaît les astuces, on se répète… Et l'on finit par perdre l'innocence de son regard. Mais comme cette question me travaille beaucoup, je n'ai de cesse de retrouver cette innocence, d'une manière ou d'une autre…
En vous essayant au cinéma de genre, cher à votre adolescence, pour Zombi Child, votre dernier film…
BB – Par exemple... Ou en tournant dans un lieu que je ne connais pas. Haïti en l'occurence.
Qu'est-ce qui vous surprend quand vous êtes confronté à la question de la rétrospective, comme ce fut le cas pour le Centre Pompidou en 2014 ?
BB – Les analyses transversales s'imposent. Les journalistes cherchent des liens entre les films, trouvent des thèmes communs, décryptent une certaine vision du monde… C'est un peu effrayant parfois.
Quel rapport entretenez-vous avec le Centre Pompidou ?
BB – C'est un espace de liberté en plein Paris. La réalisation de ce court métrage, la rétrospective et l'installation, Remix, furent une expérience géniale. C'était l'occasion de réfléchir autrement sur mon travail.
Qu'est-ce qui vous surprend dans votre travail quand vous devenez spectateur ?
BB – Tous mes films créent un monde en dehors du monde, un peu comme une utopie, puis ce monde se fissure et finit par disparaître. J'aime filmer la fin des choses, qu'il s'agisse d'une époque, d'un amour conjugal, de l'adolescence… Cette question là m'émeut beaucoup au cinéma.
Tous mes films créent un monde en dehors du monde, un peu comme une utopie, puis ce monde se fissure et finit par disparaître. J'aime filmer la fin des choses, qu'il s'agisse d'une époque, d'un amour conjugal, de l'adolescence… Cette question là m'émeut beaucoup au cinéma.
Bertrand Bonello
Elle est aussi très angoissante…
BB – Pas de mon point de vue. Quand on arrive à représenter une peur, à l'écran en l'occurence, celle-ci devient d'emblée moins effrayante.
Ensuite, vous cherchez des formes différentes. De la guerre, était un film d'auteur ; Zombi Child un film d'horreur ; Saint Laurent, un biopic détourné, un film de commande...
BB – Et pourtant c'est sûrement mon film le plus personnel.
Comment l'expliquez-vous ?
BB – Parce qu'étrangement toutes les contraintes ont fait progresser le film. Il y a eu les désaccords avec Pierre Bergé et surtout l'arrivée d'un autre film sur le même sujet au même moment (Yves Saint Laurent, de Jalil Lespert). Les producteurs m'ont laissé réaliser le film tel que je voulais le faire, ce qui m'a permis de me détacher des codes du biopic.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
BB – Deux longs métrages, dont l'un est entré en financement. Il s'agit d'un mélodrame se déroulant à trois époques différentes, en 1910, 2014 et 2044. J'écris une série pour Canal + également. Il sera question des beaux-arts avec un traitement fantastique.
Les confinements et couvre-feux n'ont pas eu d'effets négatifs sur votre créativité…
BB – Non. Les auteurs sont des gens confinés par nature. L'écriture m'a permis de me structurer pour ne pas m'effondrer dans cette période déstabilisante.
Les auteurs sont des gens confinés par nature. L'écriture m'a permis de me structurer pour ne pas m'effondrer dans cette période déstabilisante.
Bertrand Bonello
À quoi ressemble votre discipline de travail ?
BB – J'écris entre 9 et 14 h, je déjeune, et le reste de l'après-midi je prends des notes ou je fais des recherches ; je passe beaucoup de temps à faire des recherches quand j'écris…
Dans Où en êtes-vous, Bertrand Bonello ?, vous dites : « Je fais des films pour ne pas tuer des gens ». Que voulez-vous dire par là ?
BB – En créant, vous vous libérez de pulsions très fortes. Peut-être que Dario Argento serait passé à l'acte s'il n'avait pas réalisé autant de gialli…
Il est donc temps que cette pandémie cesse, pour que les metteurs en scène se remettent au travail. Comment voyez-vous l'avenir du cinéma avec la Covid ?
BB – Je ne pense pas, contrairement à ce que j'entends souvent, que les gens aient développé de nouvelles habitudes, comme voir tous les films sur des plate-formes. Je suis convaincu que lorsque les mesures de restrictions seront levées, les salles de cinéma seront à nouveau pleines. Par contre, il est évident qu'un certain cinéma, celui qu'on appelle « le cinéma du milieu » comme le mien (c'est-à-dire le cinéma d'auteur avec des moyens) sera en danger ; les financiers voudront prendre encore moins de risques. Il va falloir ruser, trouver de nouvelles idées… Ce qui est assez excitant au fond ! ◼
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