Tout Kiarostami !
Au printemps 2021, le Centre Pompidou présente l’intégralité du travail cinématographique d’Abbas Kiarostami entièrement restauré, en parallèle d’une exposition inédite, « Où est l’ami Kiarostami ? », mettant en lumière des extraits de ses chefs-d’œuvre, ainsi que des séries de photographies, des vidéos, des documents et des poèmes, montrés pour la première fois. Disparu à l’été 2016, le cinéaste iranien Abbas Kiarostami laisse une œuvre sublime et poétique composée de plus de quarante films, ainsi qu’un riche ensemble de photographies et de poèmes. Rencontre avec Massoumeh Lahidji, interprète iranienne et proche collaboratrice du cinéaste, qui a supervisé cette rétrospective événement.
Quelle est la place du cinéaste Abbas Kiarostami dans le cinéma international aujourd’hui ?
Massoumeh Lahidji — Grâce à la reconnaissance mondiale de Où est la maison de mon ami ?, en 1987, Abbas Kiarostami a ouvert une fenêtre sur une cinématographie riche et ancienne en Iran. Il est ainsi devenu à l’étranger l’emblème de ce cinéma, alors qu’en réalité, son style et son univers, tout en étant profondément marqués par la culture et le paysage iraniens, sont très personnels. Cette reconnaissance a connu son apogée avec la Palme d’or remportée par Le Goût de la cerise, en 1997. Mais immédiatement, Kiarostami a déjoué le confort qu’aurait pu lui accorder cette stature pour se lancer dans des expérimentations, profitant de la liberté que lui conférait l’outil numérique. C’est alors, en tant qu’artiste à l’univers singulier, profondément indépendant et éternel expérimentateur qu’il s’est imposé comme un modèle d’inspiration pour de nombreux jeunes cinéastes, qui ont notamment pu travailler à ses côtés lors des ateliers qu’il s’est employé à offrir aux quatre coins du monde jusqu’à son dernier souffle.
Comme tous les Iraniens, Abbas Kiarostami a baigné dans la poésie classique persane et son langage, son regard, en sont empreints.
Massoumeh Lahidji
Quel rapport cet artiste total entretenait-il avec la poésie ?
ML — Comme tous les Iraniens, Abbas Kiarostami a baigné dans la poésie classique persane et son langage, son regard, en sont empreints. C’est en cela que son cinéma, sa photographie, l’ensemble de sa production, tout en ayant une évidente portée universelle, sont le fruit de cette tradition ancestrale. La célébration de la nature, la sagesse existentielle exprimée par des images simples, la place laissée au regard du spectateur dans l’élaboration du sens, tout cela fait de Kiarostami un descendant direct des plus grands poètes mystiques persans. En parallèle à cette œuvre plastique, il a écrit sa vie durant de courts poèmes, souvent très visuels. Et il a mené un travail colossal de sélection de formes brèves dans l’imposant corpus du trésor national que constitue la poésie classique iranienne, dans sa démarche d’épure et de transmission, pour que la jeunesse de son pays et du monde puisse s’en emparer.
L’exposition présentée au Centre Pompidou est inédite, quel est son propos ?
ML — Cette exposition vise précisément à faire le lien entre tous les aspects de cette œuvre protéiforme. Le graphisme de ses débuts, le cinéma qui a fait sa gloire, la photographie qu’il chérissait, les installations vidéo, les objets numériques non-identifiés, la poésie : tout cela émane d’un même génie poétique et artistique. Mais la façon d’être d’Abbas Kiarostami relevait aussi de l’art : bricoleur inlassable, enfant espiègle, mystique moderne, voyageur sans frontières dans le monde comme dans les arts, c’est l’âme de l’homme extraordinaire qui a incarné la beauté de l’Iran en cette période sombre de son histoire que les visiteurs de cette exposition peuvent approcher. ■
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© DR
Organisation
Sylvie Pras
Cheffe du service des cinémas, département culture et création
Amélie Galli
Chargée de programmation, service des cinémas, département culture et création
Florian Ebner
Chef du cabinet de la photographie, Musée national d'art moderne
Massoumeh Lahidji
Commissaire indépendante