Aller au contenu principal

Entre art et sculpture, Tim Leclabart, designer du souvenir

Tim Leclabart, 35 ans, fait partie de la nouvelle garde de designers vertueux. Ses projets valorisent les chutes, utilisent des matérieux naturels et recyclés. Récompensé à plusieurs reprises, celui qui défend un design narratif autour de la mémoire et de l'expérience est également un fan de Constantin Brancusi et un créateur de mobilier pour enfants. Pour la Pop' Arty, il propose une œuvre collaborative géante empruntant à ses différents univers. Rencontre avec un designer audacieux.

± 5 min

Le vent et la pluie frappent vigoureusement la baie vitrée de l’espace U du niveau 6 au Centre Pompidou. Le ciel, lourd, arbore un profond gris anthracite. La rudesse des éléments, en ce mardi d’avril, jour de fermeture hebdomadaire du Centre Pompidou, masque parfois la voix timide du jeune designer, Tim Leclabart.

 

Pour moi, le Centre Pompidou, c'est un Ovni. Il y a plein d'artistes qui m'ont inspiré. Tadao Ando, Ettore Sottsass, David Hockney, Constantin Brancusi et son atelier…

Tim Leclabart

 

« Dyslexique rêveur », se confie-t-il. Celui qui a tant fréquenté les orthophonistes n’aurait pas dû étudier « mais, dans ma famille, je devais au moins avoir un bac général ». Il ira bien au-delà. Lettres modernes, histoire de l’art et du cinéma à la Sorbonne, avant de passer à du plus concret : commerce de l’art à l’Icart (école du management de la culture et du marché de l’art), puis master de curating de design contemporain à Londres. Comme si, pour cet éternel curieux, il fallait découvrir tous les champs de la création. « Je ne savais pas vraiment vers où aller. Ma seule certitude ; je voulais bosser dans la création. » Il s’essaye à la peinture, à la vidéo, à la photo, comme en dilettante, il assure le commissariat d’exposition pour des amis peintres, qu’il conseille également, et enchaîne les stages ; un peu de communication, de régie, quelques photos – mais l’essentiel n’est pas là.

Ces premières expériences sont un déclic ; dans telles galeries, il découvre le design historique moderne, Gae Aulenti, Georges Nakashima, Pierre Paulin, Charlotte Perriand, Jean Prouvé, Jean Royère, ou encore Martin Szekely… « C’est comme ça que se forme ma petite expérience historique du design. Avec quelques pièces clefs. » Dans telle autre, c’est le design brésilien qui s’ouvre à lui. L’apprenti ira même passer deux ans au Brésil, dont une partie aux côtés du designer Zanini de Zanine, connu pour son travail de récupération. Il y découvrira également l’épure et le modernisme d’un Oscar Niemeyer. « Là, je repense à la densité de toutes ces expériences ; matières, matériaux, savoirs. À ce qu’est le design, à ce que sont les arts déco. » Il n’en faut pas plus.

En 2018, il fonde le studio Tim Leclabart, dont la première réalisation est la table basse Curved, à mi-chemin de l’art et du design. Si sa base en noyer et son cœur en verre laqué s’inspirent du designer brésilien Joaquim Tenreiro, elle est aussi un hommage formel à la résidence Casa das Canoas de Niemeyer. « Il n’y a pas de règles établies ni de processus pour ma création. Tout ça s’inscrit dans du design souvenir. Soit en relation avec une histoire personnelle comme un voyage, en résonance avec un moment important de ma vie, soit l’envie de mettre en avant un savoir-faire. » Exactement ce qu’il fait pour son fauteuil canné, non sans évoquer Pierre Jeanneret, qui entre au mobilier national en 2022.

 

Il n’y a pas de règles établies ni de processus pour ma création. Tout ça s’inscrit dans du design souvenir.

Tim Leclabart

 

Toujours suivant sa voie si singulière, il autoproduit sa chaise Boo dans le cadre des Rising Talents Awards du salon Maison & Objet 2023. Ludique, colorée, empruntant aux codes du mouvement Memphis et aux années 1980, som nom lui vient de sa fille, Jane ; « Je voulais un objet un peu simple. Des couleurs vives, des formes élémentaires. Puis j’ai mis deux yeux dans le dossier pour faire un personnage. J’ai réalisé un prototype, et ma fille m’a dit : “On dirait un petit fantôme, Boo !”. »

Cet aspect totémique, on le retrouve bien entendu dans sa série de sculptures lumineuses en résine colorée sur socle. Nul doute, Constantin Brancusi n’est pas très loin ; « Ce qui m’a toujours marqué chez lui, c’est la valorisation des socles ; ce sont des œuvres à part entière. Le travail de la pierre, de la découpe, la confrontation des matériaux, et l’épure. » Son guéridon Sagittarius A, en forme de sablier, n’y déroge pas. La partie supérieure, au noir dense, est faite de chêne brûlé, teinté et vernis, tandis que la partie basse est en marbre rose du Portugal. C’est d’un trou noir dont il est l’évocation. « Tous les objets de cette collection ont été faits en pierre, en bois, pierres de lave ou chutes de matériaux. Que des matériaux naturels, ou upcyclés. Conquérir l’espace parce que notre planète est foutue… Je voulais une collection d’objets autour du renouveau de la conquête spatiale. » Ironie du sort ? Le jeune designer se tient à l’endroit même où a été tournée l’une des scènes de Moonraker, voilà presque cinquante ans. ◼