Feuille de musique et guitare
[1912]
Feuille de musique et guitare
[1912]
Domaine | Dessin | Papier collé |
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Technique | Fusain et papiers découpés, collés ou épinglés sur papier |
Dimensions | 41,5 x 48 cm |
Acquisition | Legs de M. Georges Salles, 1967 |
N° d'inventaire | AM 3555 D |
Informations détaillées
Artiste |
Pablo Picasso
(1881, Espagne - 1973, France) |
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Titre principal | Feuille de musique et guitare |
Autre titre | Partition et guitare |
Date de création | [1912] |
Lieu de réalisation | Paris, automne 1912 |
Domaine | Dessin | Papier collé |
Technique | Fusain et papiers découpés, collés ou épinglés sur papier |
Dimensions | 41,5 x 48 cm |
Inscriptions | Signé et daté en bas à droite : Picasso 10. Au revers, en bas à gauche, "48" et un autre chiffre illisible ; au centre, "ne pas coller" |
Acquisition | Legs de M. Georges Salles, 1967 |
Secteur de collection | Cabinet d'art graphique |
N° d'inventaire | AM 3555 D |
Analyse
Au printemps 1912, Picasso réintroduit, dans ses peintures, de la réalité sous forme de collage : dans Nature morte à la chaise cannée (musée Picasso, Paris) un morceau de toile cirée imitant le cannage d’une chaise fait une brutale intrusion dans le tissu arachnéen, aux modulations de gris et de beige, du cubisme analytique. Braque et Picasso multiplient alors les innovations : recours systématique aux lettres tracées au pochoir ; essais d’assemblage en papier, pour Braque, et passage à la sculpture pour Picasso (maquette de Guitare, en carton, corde et ficelle, musée Picasso, Paris) ; enfin, invention du papier collé, qui revient à Braque, au seuil de l’automne 1912 et à la fin d’un été de travail en commun à Sorgues. Picasso va immédiatement s’emparer de cette technique et, simultanément, l’explorer dans toutes sortes de directions. Bien loin de s’en tenir, comme Braque l’a fait au début, à des rehauts de papier faux bois, il va jouer des discordances de matériaux différents (texture optique du papier journal couvert de mots, papiers peints à fleurettes kitsch, papiers unis bleus, paquets de tabac, bouts de cordelières ou boîtes d’allumettes), comme autant de niveaux de langage, de voix plus ou moins distanciées ou décalées. Picasso réalise en tout environ 130 papiers collés entre 1912 et 1914, deux fois plus que Braque ; comme le souligne Brigitte Leal dans Picasso. Papiers collés (1998), la synthèse la plus complète à ce jour sur ce dossier, les expériences de Picasso évoluent sinueusement, dès le départ, entre un hermétisme radical, l’élaboration d’un système polysémique complexe, et une recherche décorative plus séduisante et plus joueuse.
L’ensemble des papiers collés conservés au Musée est remarquable, grâce, surtout, à la donation de Marie Cuttoli et Henri Laugier en 1963. Il comprend de beaux exemples de chacun des principaux moments du travail de Picasso dans ce domaine, essentiel pour la compréhension du cubisme, mais aussi pour la suite de son œuvre, qui en portera la marque quasiment jusqu’au bout. En effet, Picasso ne fait pas seulement du papier collé – prolongé par des constructions et des assemblages, qui auront une immense influence sur la sculpture du XXe siècle – un incomparable instrument de liberté formelle : il le dote d’une richesse sémantique (interrogée, depuis, par de nombreux historiens d’art) apparemment inépuisable.
Feuille de musique et guitare, qu’on peut dater de la fin de l’automne 1912 (Daix-Rosselet 520), appartient à une première série : Picasso y prend d’emblée le contrepied de Braque. Ici l’armature dessinée n’est plus visible, elle a été entièrement recouverte par de grands morceaux de papier, certains colorés vivement, d’autres découpés dans une partition. L’impact de la Guitare construite en carton (musée Picasso, Paris) y est flagrant, comme sur le reste de la série : des photographies de l’atelier de la fin 1912 la montrent accrochée au milieu des mises en place dessinées de ses papiers collés en cours (dont le nôtre), comme pour mieux éprouver la possibilité de « mettre à plat » l’assemblage, de le démonter et le remonter, de construire une autre guitare au moyen de la seule superposition de différents papiers – surmontée au final par le petit rectangle épinglé figurant les cordes de l’instrument. Ces épingles de fixation, souvent laissées en place (ainsi, par exemple, sur quatre papiers collés de la seule collection du musée Picasso), ajoutent leur poids de réalité brute, et une touche de feinte négligence, à l’édifice sophistiqué du papier collé.
Pendant le même hiver, Picasso réalise une autre série : des Têtes d’homme au chapeau ponctuées de morceaux de papier journal – lequel devient son matériau de prédilection, en raison de son ambivalence, sans doute, tout à la fois texture quadrillée et grisâtre, optiquement neutre, mais tout de même porteuse de sens possibles et partiels, ne serait-ce que la date assignée au journal quotidien. La version du Musée (Daix-Rosselet 533) porte ainsi les mots « aujourd’hui 2 décembre », qui permettent de confirmer sa datation (après le début décembre 1912), en la reliant aux autres feuilles de la série, dont elle est l’une des plus complexes : Picasso y organise, sur une mise en place précisément dessinée, l’assemblage de trois sortes de papiers, donc de couleurs, auxquelles s’ajoutent encore celles des plages peintes à l’huile. Au contraire, Tête à la pipe (Daix-Rosselet 593), réalisé quelques mois plus tard à Céret (en mai-juin, selon les éléments fournis par l’analyse du carnet de Céret conservé au musée Picasso), ne comprend que quelques traits de fusain, et deux minces bandes de papier sommairement découpées. Une architecture minimale, pour décrire un visage réduit à presque rien : quelques signes, les plus simples possibles, dérivés peut-être des sculptures Fang et Bambara que Picasso avait commencé à collectionner. Comme la toile intitulée Tête de jeune fille (1913, MNAM), ce visage combine des idéogrammes, un nez-flèche, un œil-oreille, une pipe-bouche.
Dans les mêmes semaines, pendant le séjour à Céret (d’où la difficulté de clarifier une « évolution » dans les différentes générations de papiers collés désignés par Pierre Daix, en 1979, dans Le Cubisme de Picasso. 1907-1916, ouvrage fondateur rédigé avec Joan Rosselet), Picasso entreprend une série de natures mortes très différentes.
La Bouteille de vieux marc (Daix-Rosselet 600) appartient à cette petite série, cons-truite autour des mêmes éléments : l’utilisation d’un papier peint très décoratif – un motif presque matissien – et une accentuation des ombres. La référence à la réalité y est bien plus lisible que dans les exemples précédents. Le morceau de papier journal, découpé autour du titre et collé en biais (on connaît sa date : 15 mars 1913), imite de façon assez convaincante un journal plié sur le guéridon. La bouteille, désignée par les motsétiquettes « Vieux marc », s’arrondit avec suffisamment de réalisme pour qu’on lise sans difficulté le motif. Le galon du papier peint, ici découpé (dans d’autres versions, il reste attenant aux motifs surchargés), prolonge l’épaisseur d’ombre donnée aux bords du guéridon ovale. Seule plaisanterie visuelle dans cette composition, le petit morceau de papier peint découpé et flottant – en négatif, c’est le pied du verre ; juste au-dessus, en positif, c’est son contenu de vieux marc…
Plus radicalement encore, Bouteille de Bass et carte de visite (Daix-Rosselet 660) est construit, comme d’autres papiers collés datables du printemps 1914, autour de deux éléments « tout faits » : un paquet de tabac avec sa bande imprimée, soigneusement découpé et reconstitué, et une carte de visite élégamment cornée, au nom d’André Level, grand collectionneur et fondateur du groupe d’amateurs « La Peau de l’Ours ». Il faut ajouter à ces multiples effets de trompe-l’œil (qui avaient sans nul doute séduit Paul Eluard, acquéreur de l’œuvre aux ventes Kahnweiler) la signature, et ses lettres calligraphiées à l’anglaise avec une fausse application.
Isabelle Monod-Fontaine
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008