Procession des existants
1983
Procession des existants
1983
Domaine | Dessin |
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Technique | Mine graphite sur papier |
Dimensions | 104 x 264 cm |
Acquisition | Achat, 1984 |
N° d'inventaire | AM 1984-250 |
Informations détaillées
Artiste |
Alfred Deux dit Fred Deux
(1924, France - 2015, France) |
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Titre principal | Procession des existants |
Date de création | 1983 |
Domaine | Dessin |
Description | 4 feuilles montées ensemble |
Technique | Mine graphite sur papier |
Dimensions | 104 x 264 cm |
Inscriptions | Daté et numéroté en bas à gauche de chaque feuille : 1983 / I, 1983 / II, 1983 / III, 1983 / IV |
Acquisition | Achat, 1984 |
Secteur de collection | Cabinet d'art graphique |
N° d'inventaire | AM 1984-250 |
Analyse
Artiste autodidacte, passé par l’usine dès l’enfance, Fred Deux a eu la révélation de l’art un jour de 1948 où, employé de librairie à Marseille, il a ouvert un catalogue Paul Klee. Révélation d’une vie possible. Révélation d’un absolu. Depuis, il travaille, c’est-à-dire dessine – et dessine uniquement, sans jamais se mettre à la peinture – chaque jour à sa table dans l’atelier, mais aussi écrit (un temps sous le nom de Jean Douassot, auteur d’une mythique Gana), et parle, conteur prodigieux créant la vie, sa vie, par un récit sans cesse réinventé. Alors qu’il a rejoint provisoirement, au début des années 1950, le surréalisme, celui qui se définit volontiers comme un « mystique sans religion » n’a eu de cesse, depuis, de s’éloigner de la lettre du mouvement pour mieux en célébrer l’esprit, librement.
La liberté, précisément, ne se déclare pas : elle se conquiert. Et l’usage de ces trois médiums que sont le dessin, l’écriture et la parole, comme autant de modalités d’un même jaillissement poétique, est sa façon de ne pas se laisser enfermer – sa façon de transcender les limites étroites du moi pour devenir un « récipient », selon son propre terme. Un tamis, à travers lequel ça passe : le monde tel qu’il se manifeste dès lors que nulle subjectivité ne l’entrave, et que ce mensonge que l’on nomme « réel » a volé en éclats.
C’est cela que poursuit Fred Deux depuis 1948. Lui qui, enfant, vivait dans le monde violent du sous-sol d’un immeuble bourgeois, qu’il partageait avec ses parents et sa grand-mère, lui pour qui la seule échappée à l’enfermement entre les murs bas de la cave s’incarnait dans les hauts murs de l’usine, n’a eu de cesse de faire de l’art le moyen d’une désaliénation. Dessiner ou se désencombrer de soi. L’ordre même des cycles qui rythment l’œuvre du dessinateur dit ce cheminement de l’individu vers le monde, de la narration vers la manifestation de l’universel. Période noire, Otages, Spermes noirs, Spermes colorés, Autoportraits, Temps magique, sont quelques-uns des moments qui scandent ce parcours d’épuisement du moi comme condition de l’ouverture à l’Autre.
Dessinateur, Fred Deux l’est par la tache comme par le trait, par la décalcomanie comme par les encres et les gouaches. Autant de moyens pour une même fin : fouiller, interroger, sonder au plus profond de son être pour que jaillisse un monde. Ici, le monstre n’est pas un écart, la mort ne tourne pas le dos à la vie. Car ce que dessine Fred Deux, autrement dit ce qu’il pointe par le dessin, c’est l’union organique du vivant. Déroulée en vision continue, parfois sous forme de livres uniques semblables à des psautiers (ainsi ceux donnés au Musée par la Scaler Foundation, Filtre des limbes, 1978, et La Malemort, 1980), l’odyssée graphique de l’artiste adopte la dimension du quadriptyque dans l’exceptionnelle Procession des existants de 1983, qui appartient à une série de onze dessins monumentaux exposés chez Jeanne Bucher la même année : « Des veines, une circulation [qui] se répand sur toute la surface » du papier, qui se fait grille impalpable, traversée d’ombre et de lumière, enfermant un monstrueux cortège d’êtres improbables. Le crayon trace un réseau de filigranes ténus de « lignes-boules, lignes-boucles, lignes-vaguelées, lignes-surface, lignes-trame, lignes-fibres, lignes-fluides, lignes-air, lignes nues » (B. Noël), qui sont les termes d’une obsession visuelle hors du commun.
Ainsi, le corps, omniprésent dans le monde de Fred Deux, y est-il toujours un corps-métaphore – qui n’est pas celui de l’artiste, mais un corps-monde, dont les organes sont la trace recueillie sur le papier d’un macrocosme qui excède toute représentation. « Je transcende que dalle », dit parfois l’artiste. Mais je dessine quand même, obstinément, quotidiennement, aurait-il pu ajouter. Car, « par le dessin je suis sorti de moi. […] J’ai approché mon œil. J’ai vu alors le trou béant de la vie, comme une plaie. » Être dessinateur, c’est cela : toucher la plaie, devenir la plaie, le trou béant par lequel s’écoule la vie. Devenir passeur de vie : non pas dessinateur de sa réalité extérieure, mais créateur de mythes. Celui par lequel surgissent des dessins-monde, des dessins dans lesquels la liberté de l’homme se reconquiert sans cesse, à chaque coup de crayon.
Pierre Wat
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008
Bibliographie
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