Le roi de rien I

En 1993, Jean-Michel Alberola entame une nouvelle série d’œuvres autour du thème du « roi de rien ». Le premier tableau de cet ensemble, Le Roi de rien I , restera inachevé durant dix ans, période au terme de laquelle l’artiste le terminera. Ce tableau est ainsi à la fois la peinture inaugurale et l’une des œuvres ultimes d’un corpus qui, pour être restreint, n’en est pas moins central dans la problématique de l’artiste. Taraudé depuis toujours par la question du « rien », l’œuvre d’Alberola aborde directement ce thème en égrenant les représentations de « rien », de « rien de rien » ou du « roi de rien ». Le rien, comme objet de la peinture, est avant tout la projection sur la surface de la toile d’une subjectivité qui se confronte au monde dans un registre dramatique. Le rien n’est pas une disparition, c’est une lutte qui met l’art aux prises avec son démon : la représentation du monde. Ce « roi de rien », dont le spectateur ne saisit que l’esquisse d’une tête et la précision incongrue d’un pied, fait directement référence au « chef-d’œuvre inconnu » que décrivait Balzac. En dépeignant un au-delà de la représentation, Alberola atteint un en-deçà du monde. Les questions éthiques, celle de la figurabilité d’un corps humain dont le statut moral a été démembré par les crimes contre l’humanité, celle des fondements de l’art dans une société qui a perdu son lien à l’origine, celle de la valeur économique comme base de l’échange, y sont abordées par l’artiste sur un mode allégorique.

Catherine Grenier

Source :
Extrait du catalogue Collection art contemporain - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Sophie Duplaix, Paris, Centre Pompidou, 2007