Quatre mouvements pendulaires secs/graphite/citron /sel - à plat

Initialement formé aux techniques du cinéma, à l’école de la rue de Vaugirard, Jean-Pierre Bertrand entreprend une œuvre qui, par certains de ses aspects formels, appartient à l’art des années 1970, mais s’en distingue par le refus de tout système et par la radicale hétérogénéité de pratiques inclassables, visant à une « rédemption du sens ». Son œuvre de papier s’offre dans une transparence aveuglante, en outre affichée par la précision du titre : évidence de la feuille, des substances et des pigments qui entrent en alchimie réactive avec elle ; évidence de l’objet dans son cadre d’aluminium et de plexiglas. Quatre mouvements pendulaires secs/graphite/citron/sel – à plat est constitué de quatre panneaux de grand format, réalisés sur du papier journal, et dont l’installation sur le mur est réglée par l’artiste. Pour les deux panneaux de même format, chaque feuille a été coupée verticalement en deux parties, puis la moitié droite a été placée à gauche et vice versa. Les feuilles ont été enduites de sel et de citron – éléments naturels et symboliques –, puis retravaillées à la mine graphite, et enfin recouvertes de plexiglas, et enchâssées dans une cornière métallique. Contrairement à l’installation plus récente Citron en 54… (1999, MNAM), où il se sert du citron comme fruit et objet plastique, Bertrand n’utilise ici que le jus du citron, dont il enregistre la réaction, toujours différente, avec le sel et le papier : l’empreinte, la morsure de ces substances fournissent un premier graphisme « négatif », qu’exploite ensuite le crayon graphite. Une suite de mouvements secrets en quatre temps s’esquisse sur ces panneaux muraux, qui se présentent comme des tables chiffrées.

Expérimentant les matériaux pour eux-mêmes – papier recyclé, sel, citron, miel, pigments, médium flamand, tout autant que pellicule de film et papier photographique –, travaillant dans les formats les plus divers – du petit objet ou du dessin jusqu’à l’installation –, Bertrand multiplie les modalités, uniques, fugitives, des surfaces d’inscription (la page, le livre, le mur ou la mémoire), les parcours imaginaires, et les investissements symboliques. Il tente, en poète, de capter l’infime mouvement des choses, l’imperceptible écart entre visible et invisible, entre manifeste et latent.

Nadine Pouillon

Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008