Etude pour "L'Ange" n° 8

Le rôle du dessin dans l’œuvre du sculpteur Julio González a longtemps été sous-évalué, en dépit de sa variété et de son abondance (des milliers de feuilles réalisées entre 1900 et 1942 ont été répertoriées par Josette Gibert en 1975, et le premier volume des dessins établi par Tomás Llorens en recense 717 pour la seule période 1900-1918). Les travaux catalographiques considérables des spécialistes de son œuvre (Merkert, Rowell, Llorens) mettent logiquement l’accent sur l’œuvre sculpté, et plus particulièrement sur les pièces en fer des années 1930, qui en constituent la part la plus originale. De plus, l’absence de datation par l’artiste, ou les dates portées de façon posthume par sa fille, Roberta González, ont parfois compliqué la compréhension des rapports entre le dessin et la sculpture. Au début de la carrière de l’artiste, menée à Paris dès 1900, le dessin (nus et scènes paysannes) est autonome ou dans la mouvance de la peinture. La dialectique entre les dessins et les premiers reliefs métalliques découpés s’affirme à la fin des années 1920, dans un rapport de proximité formelle où le dessin ne semble pas précéder la sculpture, mais analyser, avec ses moyens propres, les lignes de force des césures, la mise en place des plans et les jeux de lumière et d’ombres noués entre eux.

Les dessins des années 1930 prolongent ce principe de parallélisme stylistique, tout en lui ajoutant, notamment dans des études comme celle de la Femme au miroir du 12 juillet 1937 (ce fer, conservé à l’Ivam, à Valence, est considéré comme son chef-d’œuvre), l’apport de la couleur, qui transforme la sculpture en un projet (inaccompli) de sculpture-peinture conceptuellement issue du surréalisme et du biomorphisme, mais chromatiquement dérivée des dernières réalisations cubistes de Picasso. Les dessins de cette époque sont rarement isolés mais forment des séries de variations, parfois numérotées, sur un thème. Les onze croquis préparatoires de la collection du Musée répertoriés par Gibert en 1975, réalisés pour son œuvre majeure de 1935, L’Ange, l’Insecte, la Danseuse (fer forgé soudé, MNAM) constituent un bon exemple de l’élaboration formelle et de la complexité iconographique de González, stimulé par la « leçon » de Picasso, dont il est le praticien entre 1927 et 1933. On retrouve dans ces séquences rapprochées (probablement détachées d’un même carnet), qui forment une sorte de film d’animation de la sculpture, à la fois toute la finesse du travail de soudure des pièces métalliques (dressées, selon le souhait de González, comme « un dessin dans l’espace »), et toute la richesse iconographique qui donne à cette figure hybride, convulsée et inquiétante, la force hallucinée de certaines sculptures contemporaines de Giacometti.

Brigitte Leal

Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008