Sans titre

Épine dorsale de l’œuvre de Christian Bonnefoi, la série des « Babel » se compose de dix ensembles : de « Babel 1 “de la sphère” », 1978, à « Babel 10 “des Prophètes” », 1994. Dès les premiers « Babel », le tableau s’impose comme une énigme. Il est le lieu où support, surface, formes et couleurs sont entièrement liés. Dans Sans titre (1979), de l’ensemble « Babel 3 “N.Y.C” », Bonnefoi a recours à un dispositif complexe d’application, de transfert, de décollement. Il commence par badigeonner de blanc ou de gris la surface du tableau qu’il va investir de lignes griffonnées au fusain. Puis il recouvre cette étendue de tarlatane transparente, sur laquelle il trace de larges plages au pinceau, ce dernier étant enduit d’une colle qui traverse le voile de coton et le fixe au pigment. L’artiste ôte ensuite, totalement ou partiellement, la toile transparente. Le pigment se trouve détaché de son support original ; les graffitis « émergent d’une profondeur fictive » et « viennent se prendre aux mailles du tissu comme à leur dernier intersecteur ». L’opération, qui ressemble à un pochoir à l’envers, est réitérée plusieurs fois, avec rebadigeonnage total ou partiel de la surface. L’usage de la tarlatane, associée à la colle, rend ici visible l’entre-deux du support et de la surface. Elle vient rassembler les données qui permettent, selon l’expression de l’artiste, « la division de la division », c’est-à-dire la division du plan en épaisseur. Pour chaque Babel , Bonnefoi se met en situation de ne pouvoir diriger complètement l’image qu’il va produire. Ce « délestage du contrôle visuel » est fondamental dans sa pratique car ce qui fait figure ne doit pas être la trace directe du geste du peintre.

Caroline Edde

Source :
Extrait du catalogue Collection art contemporain - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Sophie Duplaix, Paris, Centre Pompidou, 2007