Le peintre et son modèle
04 juillet 1970
Le peintre et son modèle
04 juillet 1970
Domaine | Dessin |
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Technique | Crayon Conté sur carton |
Dimensions | 25 x 34 cm |
Acquisition | Donation Louise et Michel Leiris, 1984 |
N° d'inventaire | AM 1984-665 (1) |
Fait partie de l'ensemble |
Le peintre et son modèle Ensemble (Ensemble dissociable) |
Informations détaillées
Artiste |
Pablo Picasso
(1881, Espagne - 1973, France) | |
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Titre principal | Le peintre et son modèle | |
Date de création | 04 juillet 1970 | |
Fait partie de l'ensemble | Le peintre et son modèle Ensemble (Ensemble dissociable) Ensemble de 8 dessins 1970 | |
Domaine | Dessin | |
Technique | Crayon Conté sur carton | |
Dimensions | 25 x 34 cm | |
Inscriptions | Daté, numéroté et signé en bas à gauche : 4.7.70.I Picasso | |
Acquisition | Donation Louise et Michel Leiris, 1984 | |
Secteur de collection | Cabinet d'art graphique | |
N° d'inventaire | AM 1984-665 (1) |
Analyse
Les dix dernières années de création de Picasso coïncident avec un ultime épanouissement de son œuvre, marqué par une profusion d’images peintes, dessinées ou gravées, et par le recours aux paraphrases d’après les maîtres. Cette production intense est immédiatement montrée par la galerie de Louise (dite « Zette ») Leiris, la belle-fille de Kahnweiler, à qui ces deux dessins sont dédiés. Y sont présentés d’abord la série des « 347 gravures », en 1968-1969, puis, en 1970 et 1973, les derniers ensembles de dessins, au moment où Yvonne et Christian Zervos, entre mai et septembre 1970, dévoilent l’intégralité des derniers tableaux au palais des Papes d’Avignon.
En plein triomphe de l’abstraction et de l’art conceptuel, cette floraison de portraits peints fut souvent mal reçue et considérée comme dépassée, ou limitée « à une sorte de trituration du code de la peinture » (C. Lévi-Strauss, Arts, n° 60, 1966). Les deux dessins de 1969 (Zervos XXI, nos 30 et 280) représentent une figure emblématique du monde théâtral du dernier Picasso, qui surgit en masse en décembre 1966 dans son œuvre, avant d’être déployée en série sur les murs d’Avignon : celle du mousquetaire, auquel le peintre s’assimile avec ironie. Si elle remonte à son goût pour la mascarade et le théâtre espagnol, abondamment illustrés dans les dernières gravures, cette apparition en 1966 résulte directement de sa passion pour Rembrandt, selon le témoignage de Jacqueline Picasso rapporté par André Malraux dans La Tête d’obsidienne, en 1976. Les peintures reprennent des modèles précis : les capitaines de La Ronde de nuit (1642, Amsterdam, Rijksmuseum), l’Autoportrait avec Saskia (1636, Dresde, Staatliche, Kunstsammlungen, Gemäldegalerie Älte Meister), le Portrait de Jan Pellicorne et de son fils Caspar (1635-1637, Londres, The Wallace Collection), avec leurs attributs virils et leurs costumes d’époque – chapeaux à plumes, longues chevelures et barbichettes, fraises, ruchés et pourpoints, pipes et épées, qui sont transfigurés par des couleurs éclatantes et une technique flamboyante accentuant leur caractère baroque. Les dessins, indépendants des peintures sur toile ou carton ondulé, privilégient les portraits en gros plan, dont la frontalité iconique est accentuée par des cadrages serrés. Le graphisme extrêmement libre de Buste d’homme au chapeau, 1969, outré, exacerbé, est fondé sur des superpositions de techniques : les bâtons de fusain, de pastel ou de craie labourent les formes de traits épais, démultipliés en boucles ou en arêtes de poisson ; l’huile et la gouache sont écrasées en taches qui amplifient l’aspect grotesque et caricatural de ces figures de « tarots », selon le terme de Malraux, et les métamorphosent en faces de carnaval, en grimaces tragiques.
Homme à la pipe dans un fauteuil et nature morte forme un triptyque avec deux autres dessins, Homme au casque et nature morte (26 juin 1969, crayon sur papier, Zervos, XXI, 281), tracé à main levée, dont la transparence évoque celle des gravures à l’eau-forte contemporaines, et Homme au verre assis (dessin en couleurs à l’encre, 25 juin 1969, Zervos, XXI, 282), qui est le plus proche, par sa technique de lavis d’encre, de la feuille du Musée. Les trois dessins sont fondés sur un schéma narratif et allégorique identique : celui de l’exaltation des plaisirs et des sens, incarnée par la nature morte, la pipe et la face rubiconde de jouisseur du modèle, qui renvoie à la tradition des portraits de fumeurs et des vanités du Siècle d’Or hollandais.
Le thème du peintre et son modèle – un des sujets fondamentaux de la peinture occidentale – domine l’œuvre de Picasso depuis son illustration du Chef-d’œuvre inconnu de Balzac, en 1926, qui témoigne des affres de la création et de l’idéal artistiques. Dans l’hiver 1963-1964, il entreprend une nouvelle série de peintures sur le sujet, qui est présentée dans l’exposition de la galerie Leiris « Picasso. Peintures 1962-1963 » en 1964. À cette occasion, Michel Leiris énonce dans le catalogue le constat suivant : « Que l’artiste au travail […] soit devenu, non pas son thème unique, mais du moins le plus fréquent, montre toute l’importance que l’acte même de peindre revêt aux yeux de Picasso. » La suite des huit dessins de 1970, entrée au Musée avec les deux peintures éponymes de 1963 (AM 1984-640, AM 1984-656), montre l’aboutissement du sujet, qu’il a approfondi à travers ses paraphrases d’après les maîtres, notamment dans ses séries de peintures des Ménines, d’après Velásquez, en 1957, des Déjeuner sur l’herbe, d’après Manet, en 1961, et des gravures de Raphaël et la Fornarina, en 1968.
Le caractère stéréotypé de la composition de la série, qui campe le face-à-face du peintre et de son modèle, à la fois séparés et réunis par l’écran de la toile et du chevalet – symbole du corps à corps de l’artiste avec la création –, est atténué par l’acuité des processus formels. Les huit dessins (Zervos, XXII, 187-194) se lisent à la fois comme un tout homogène et multiple qui, comme l’avait suggéré Leiris, « épuise toutes les possibilités de dire quelque chose » et propulse le prototype initial vers une série de métamorphoses emblématiques. S’y déroulent les différents avatars de l’image du peintre : l’athlète nu aux cheveux coupés court de la jeunesse, le sculpteur barbu, à l’antique, de La Suite Vollard, le vieillard au maillot rayé de marin des derniers autoportraits. Le nu couché épouse les rondeurs et le profil sculptural de Marie-Thérèse, puis se transforme en hommage à la beauté hiératique de Jacqueline. L’ironie et l’humour désacralisent la mise en scène : le divin peintre est décrit comme un tâcheron appliqué, la tablette du chevalet est transformée en phallus, énergies créatrice et érotique sont confondues.
Comparant le thème du peintre et son modèle, chez Picasso, avec l’histoire de l’atelier comme « allégorie réelle », Pierre Georgel note que « Picasso, dans ses variations de ses vingt dernières années, feint de retourner sa verve comique contre sa propre personne et sa propre activité : ce petit gnome, qui se multiplie sous tant de masques face à l’immuable et passive beauté du modèle, c’est lui qui mène le jeu de cette comédie toujours nouvelle, le démiurge tout-puissant dont le nom symbolise, dans la mythologie du xxe siècle, le prestige inouï de l’artiste » (La peinture dans la peinture, cat. exp., Dijon, musée des Beaux-Arts, 1982).
Brigitte Leal
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008
Événements
Bibliographie
Donation Louise et Michel Leiris. Collection Kahnweiler-Leiris : Paris, Musée national d''art moderne, Centre Pompidou, 22 novembre 1984-28 janvier 1985. - Paris : éd. Centre Georges Pompidou, 1984 (sous la dir. d''Isabelle Monod-Fontaine, Agnès Angliviel de La Beaumelle et Claude Laugier) (Cat. n° 182) . N° isbn 978-2-85850-267-6
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LEAL (Brigitte), PIOT (Christine), BERNADAC (Marie-Laure). - Picasso, la monographie 1881-1973. - Paris : Edition de la Martinière, 2000 (cat. n° 1135, reprod. coul. p. 462 et cit. p. 528)
Le mouvement des images : Collections du Centre Pompidou, Musée national d''art moderne-Centre de création industrielle : Paris, Centre Pompidou - 4 avril 2006-29 janvier 2007 (reprod. coul. p. 61) . N° isbn 2-84426-295-3
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DAGEN (Philippe). - Picasso. - Paris : Hazan, 2008 (reprod. coul. p. 430) . N° isbn 978-2-7541-0157-8
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Collection Art graphique : [Catalogue de] La collection du Centre Pompidou, Musée national d''art moderne - Centre de création industrielle. - Paris : éd. Centre Pompidou, 2008 (sous la dir. d''Agnès de la Beaumelle) (cit. et reprod. coul. p. 374-377) . N° isbn 978-2-84426-371-1
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Chefs-d''oeuvre ? : Metz, Centre Pompidou-Metz, 12 mai 2010-29 août 2011. - Metz : éd. du Centre Pompidou-Metz, 2010 (sous la dir. de Laurent Le Bon) (cit. p. 230 et reprod. coul. p. 231) . N° isbn 978-2-35983-004-0
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Leiris & Co : Metz, Centre Pompidou-Metz, 3 avril-14 septembre 2015 .- Paris/Metz : Gallimard/Centre Pompidou-Metz (sous la dir. d''Agnès de la Beaumelle, Marie-Laure Bernadac et Denis Hollier) (cat. n° 799 reprod. coul. p. 271) . N° isbn 978-2-35983-035-4
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Matisse et Picasso, La comédie du modèle : Nice, Musée Matisse, 23 juin-29 septembre 2018. - Paris : Liénart éditions, 2018 (sous la dir. de Claudine Grammont) (cat n° 37 cit. p. 18 et reprod. coul. p. 71) . N° isbn 978-2-35906-243-4
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Daniel-Henry Kahnweiler. Marchand et éditeur : Barcelone, Museu Picasso, 1er décembre 2022-19 mars 2023. - Barcelone : Museu Picasso, 2022 (reprod. coul. p. 230) . N° isbn 978-84-126419-3-6
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Chefs-d''oeuvre du Centre Pompidou. - Paris : Editions du Centre Pompidou, 2023 (cit. p. 230 et reprod. coul. p. 231) . N° isbn 978-2-84426-954-6
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