En Morn (Un matin)
1947
Informations détaillées
Artiste |
Kurt Schwitters
(1887, Allemagne - 1948, Royaume-uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du nord) |
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Titre principal | En Morn (Un matin) |
Date de création | 1947 |
Domaine | Dessin | Collage |
Technique | Collage de papiers découpés |
Dimensions | 32 x 26,5 cm |
Inscriptions | Signé, daté et titré : Kurt Schwitters 1947 / EN MORN |
Acquisition | Achat, 1995 |
Secteur de collection | Cabinet d'art graphique |
N° d'inventaire | AM 1995-204 |
Analyse
À sa libération du camp de prisonniers de l’île de Man, Schwitters s’installe à Londres, où il réside jusqu’en 1945, année où il se fixe dans le Lake District, à Ambleside : débute alors la période anglaise de sa production, qui est d’une profusion et d’une liberté jamais encore atteintes, sans que pour autant soient perdues l’unité et la cohérence de l’œuvre. Peignant des paysages ou des portraits et édifiant en même temps un quatrième Merzbau , Schwitters se permet tout, le plus traditionnel comme le plus novateur, le recyclage de styles antérieurs comme des trouvailles annonçant l’Arte povera ou le pop art. Datés tous deux de 1947, les collages Yellow Strip et En Morn sont la plus parfaite démonstration des avancées proposées après guerre. À première vue, tout les oppose, Yellow Strip verse ostensiblement dans l’abstraction la plus totale, En Morn livre des informations figurées et textuelles fortes. Pourtant, ils ont une composition similaire, qui s’articule suivant un axe vertical central : une bande jaune (« yellow strip ») qui donne son titre au premier, un fragment d’étiquette de fruits en conserve (les pêches [Gold]en Morn), dont les lettres forment l’intitulé du second. Dans les deux cas, la zone à gauche de cet axe est stable, celle à droite en revanche bascule. Les analogies formelles pourraient ainsi se poursuivre, bien que les visions diffèrent totalement. Dans l’architecture orthogonale de Yellow Strip se joue en silence l’équilibre du monde, sa construction retrouvée mais précaire. Dans le désordre imagé de En Morn est désignée, avec un certain désenchantement, la vanité des nouveaux objectifs de la société d’après-guerre. Le slogan, familier et grave, de la propagande alliée « These are the things we are fighting for » [Ce pourquoi nous combattons], qui figure, comme une sorte de légende, en bas du collage, renvoie en effet autant aux souvenirs encore brûlants de la guerre qu’aux nouveaux objets de consommation, forcément dérisoires : un papier est un emballage de chocolat à la menthe, une étiquette est celle d’un fruit en conserve, et la nouvelle icône dominante est celle d’une pin-up platinée et souriante. Au combat contre le fascisme et pour la paix succède en 1947 celui pour le « confort moderne », pour une société de bien-être et de divertissement inspirée du modèle américain, mais qui n’a pas encore de réalité en Angleterre, où l’heure est encore aux restrictions et aux tickets de rationnement. Ces deux réalités – la sienne, vécue personnellement, l’autre, celle du fantasme populaire –, Schwitters les confronte en une seule image : l’ironie amère de ce rapprochement annonce de manière très claire ce que seront, dès la fin des années 1940, les collages d’Eduardo Paolozzi et, dans les années 1950, ceux de Richard Hamilton et Peter Blake.
Isabelle Ewig
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008