Arrachage

De l’inventeur scandaleux des Compressions – qui conduisent Pierre Restany à inclure César dans le groupe des Nouveaux Réalistes en octobre 1960 –, de celui des assemblages avec insertions de carrosserie (Bas-relief, 1961, MNAM), on ne pouvait s’attendre à une pratique du dessin, ni de l’adepte inconditionnel du déchet métallique industriel, à un intérêt pour le très classique papier. Et pourtant, mettant à profit, comme il en a l’habitude, les circonstances (des travaux dans sa maison-atelier de la rue du Docteur-Blanche), c’est bien toute une série de « dessins » sur papier qu’il élabore pendant les six mois de l’hiver 1961-1962, et qu’il considère comme suffisamment novatrice pour se décider à la présenter en 1962 à la galerie Apollinaire à Milan, puis à la Biennale de São Paulo en 1965. La procédure – le grand papier de la collection en témoigne clairement – relève en effet d’un seul acte, radicalement simple, comme il fallait s’y attendre : César recouvre d’encre la surface de la feuille sur laquelle il applique des bandes de papier collant qu’il arrache aussitôt, et dont les traces – toutes de même largeur – apparaissent dans des teintes de noirs plus ou moins denses. Les variations du résultat d’un « dessin » à l’autre ne proviennent que du mode d’application des bandes de papier collées : ici, quatre zones horizontales organisent l’image.

Pierre Restany, dans sa préface au catalogue de l’exposition de Milan, insiste sur la signification réelle et sur l’intérêt de ces travaux : « Par ce procédé du décollage, César demeure dans l’univers technique du sculpteur. Il ne dessine pas à proprement parler : il modèle pour ainsi dire son espace en touches rapides, immédiates et définitives. Chaque collage et arrachage successif correspond dans le détail de l’élaboration aux critères d’instantanéité de la soudure d’un élément métallique, qui vient s’ajouter aux autres et s’incorporer à l’ensemble. » La série des papiers déchirés peut ainsi être comprise comme le prolongement des reliefs réalisés auparavant – des « plaques » de métal verticales rectangulaires et relativement fines, soudées entre elles, et qui sont présentées sur une sorte de « pieu » (Hommage à Nicolas de Staël, 1958 ; Hommage à Douglas Cooper, 1960 ; etc.) : même composition accumulative et répétitive (traces des arrachements des bandes de papiers collés), à effet presque pictural, même méthode d’ajout et de retrait, même puissance haptique de ces plaques de matières (papier, encre) qui s’offrent frontalement.

Alice Fleury

Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008