Volume suspendu
1968
Volume suspendu
1968
«Je me suis demandé ce qui arriverait si je pouvais me mettre à l'intérieur de la vibration.»
L'artiste vénézuélien Jesus Rafael Soto collabore avec Carlos Villanueva au programme de synthèse des arts de la Cité universitaire de Caracas puis au pavillon du Venezuela de l'Exposition universelle de Montréal. Grande figure du mouvement cinétique, l'artiste explore les effets optiques et vibratoires. En 1967, lors de son exposition à la galerie Denise René à Paris, Soto montre pour la première fois une «œuvre dans l'espace», qui forme ce qu'il appelle alors un volume suspendu «où l'œil s'affole et se perd».
Domaine | Oeuvre en 3 dimensions |
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Technique | Bois et tiges d'aluminium peints, métal |
Dimensions | Dimensions variables |
Acquisition | Dation, 2011 |
N° d'inventaire | AM 2012-110 |
Informations détaillées
Artiste |
Jesús Rafael Soto
(1923, Venezuela - 2005, France) |
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Titre principal | Volume suspendu |
Date de création | 1968 |
Domaine | Oeuvre en 3 dimensions |
Description | L'oeuvre se compose de 3 éléments : un volume de tiges bleues suspendues, un volume de tiges noires suspendues et un panneau mural peint à l'acrylique et rayé au tire-ligne |
Technique | Bois et tiges d'aluminium peints, métal |
Dimensions | Dimensions variables |
Inscriptions | S.D.R. : de la peinture : SOTO / 1968 |
Notes | Chaque volume suspendu est composé de 63 tiges réparties horizontalement de la manière suivante : 3 rangées de 11 tiges en alternance avec 3 rangées de 10 tiges |
Acquisition | Dation, 2011 |
Secteur de collection | Arts Plastiques - Contemporain |
N° d'inventaire | AM 2012-110 |
Analyse
En avril 1967, lors de son exposition personnelle à la galerie Denise René, Soto montre pour la première fois une « œuvre dans l’espace », tout à fait inédite dans sa production. Il s’agit d’un ensemble de tiges d’aluminium qui, accrochées à une croix grecque suspendue au plafond, descendent jusqu’au sol et forment ce que l’artiste appelle alors un « Volume suspendu ».
L’œuvre, haute de plus de deux mètres et large d’un mètre, est installée au beau milieu de la galerie, incitant les visiteurs à la traverser. Ce « Pénétrable » avant la lettre – c’est Jean Clay qui baptisera ainsi ce type d’œuvre en 1967, dans le no3 de la revue Robho – résulte d’une longue évolution, que Soto relate en 2001 dans ses conversations avec Ariel Jiménez : « Ce fut un processus très long qui est peut-être venu – je le dis maintenant – de la fascination pour tout ce qui se produisait entre les feuilles de Plexiglas de mes premières œuvres. J’avais toujours envie de rentrer à l’intérieur. Plus tard, quand j’ai commencé à travailler avec les tiges en métal superposées devant l’arrière fond strié, je me suis demandé ce qui arriverait si je pouvais me mettre à l’intérieur de la vibration […]. C’est ce que j’ai fait à la Biennale de Venise de 1966, même si [l’œuvre] n’était pas véritablement pénétrable. J’ai pris un coin [de la salle du pavillon du Venezuela] et je l’ai couvert de tiges, en essayant d’envelopper le spectateur. Ainsi, en 1966-1967, l’idée du Pénétrable a graduellement émergé, mais c’est en multipliant les tiges jusqu’à ce qu’elles couvrent entièrement l’espace et deviennent une œuvre autonome1. »
Cette évolution vers le Pénétrable est tout à fait perceptible dans le Volume suspendu de 1968, lequel, photographié avec, à l’intérieur, l’artiste et l’un de ses enfants, a d’ailleurs servi d’illustration à l’article de Jean Clay. Constitué de trois éléments – un volume de tiges bleues suspendues, un autre de tiges noires, et un fond strié fixé au mur –, c’est un travail que Soto n’a jamais montré dans une exposition, mais dont il a certainement mûri le concept peu à peu, comme en témoigne le croquis de janvier 1968.
Tel quel, Volume suspendu assure donc la transition entre la série des Vibrations à fond striés et celle des Pénétrables proprement dite, en associant deux sortes de vibrations : d’une part, celles que l’on perçoit de l’extérieur, lorsque l’on observe les tiges qui vibrent devant le fond strié fixé au mur, d’autre part, celles que l’on découvre quand on pénètre soi-même à l’intérieur et que l’on devient partie prenante de l’ensemble.
Pour l’artiste, cette évolution est essentielle. En effet, comme le dit Jean Clay dans le catalogue de l’exposition de 1967, « c’est désormais dans notre espace, celui même où nous circulons, où nous vivons, qu’il [Soto] interpose ses pièges arachnéens, où l’œil s’affole et se perd […]. Elle [l’œuvre] mord sur le réel, elle empiète sur notre sentiment de l’espace, elle met en question notre idiosyncrasie […]. » Et il ajoute, citant Soto : « Autrefois, l’artiste se sentait comme un témoin extérieur au monde, dont il recomposait les fragments à sa manière – du dehors – les harmonies, en créant des rapports de formes et de couleurs sur la toile.
Au contraire, de nos jours, nous nous sentons dans le monde comme un poisson dans l’eau. Nous ne sommes plus des observateurs, mais des parties constituantes du réel. L’homme n’est plus ici et le monde là. Il est dans le plein, et c’est ce plein que je voudrais faire sentir avec mes œuvres enveloppantes. Il ne s’agit pas de rendre les gens fous, de les assommer d’effets optiques ; il s’agit de leur faire comprendre que nous baignons dans la trinité espace-temps-matière2. »
Comme l’œuvre présentée en 1967 à la galerie Denise René – préfigurant celle qui sera installée la même année à l’Exposition universelle de Montréal – le Volume suspendu de 1968 a une postérité considérable, puisqu’il préfigure deux types d’œuvres. D’une part, il annonce les Pénétrables, au sens strict, que Soto réalisera dès 1969 à grande échelle (notamment à Amsterdam, puis à Paris, sur les 400 m2 de la terrasse du Palais de Tokyo). D’autre part, il précède les très nombreux Volumes suspendus que l’artiste développera à partir des années 1970. Ceux-ci, tantôt adaptés aux espaces restreints des salles d’expositions ou des demeures privées, tantôt conçus dans des dimensions monumentales pour des bâtiments existants, seront intitulés « Volumes virtuels » par l’artiste et adopteront d’abord des formes cubiques ou parallélépipédiques (Caracas, 1972 ; Toronto, 1977), puis, de plus en plus souvent, sphériques (à partir de 1983), semi-sphériques, ovoïdes (Centre Pompidou, Paris, 1987), mais ils resteront hors de toute atteinte corporelle, réservés à la contemplation visuelle du spectateur.
Ce n’est pas le cas du Cube pénétrable, réalisé en 1996 pour la rétrospective « Soto » organisée par Daniel Abadie à la Galerie nationale du Jeu de paume en 1997. Celui-ci, comme le Volume suspendu de 1968, combine les caractéristiques du Volume virtuel et celles du Pénétrable. Il revient en effet au spectateur de percevoir de l’extérieur le cube rouge formé optiquement par les tiges rassemblées en son centre, avant de le détruire en s’introduisant dans l’œuvre.
Synthèse des recherches de l’artiste, ce Cube pénétrable introduit le visiteur dans un univers spatial et chromatique où perception visuelle et perception corporelle interfèrent. Ainsi qu’il le déclare à Daniel Abadie en 1999 : « Ce que je veux montrer, c’est, par les moyens de la peinture, la force énergétique de l’espace ; il s’agit pour moi, en quelque sorte, de l’apprivoiser. Si ma peinture est devenue pluridimensionnelle, c’est parce que le mouvement n’existe pas en deux dimensions. […] L’idée de Volume virtuel, qui m’occupe beaucoup, est aussi en soi quelque chose de philosophique, comme tout ce qui est virtuel, puisqu’elle supprime le lien direct à l’objet. En ce sens, il s’agit de quelque chose d’irréel et non seulement d’une nouvelle réalité3. »
Jean-Paul Ameline
Notes :
1. Ariel Jiménez, Conversaciones con Jesús Soto/Conversations with Jesús Soto, Caracas, Fundación Cisneros, 2005, p. 174. [Notre traduction].
2. Jean Clay, « De l’art optique à l’art cinétique », Soto, cat. expo., galerie Denise René, 1967, n.p.
3. « Éloge de la vibration. Interview de Jesús Rafael Soto par Daniel Abadie », Jesús Rafael Soto, cat. expo., Bruxelles, Banque Bruxelles Lambert, 1999, p. 10-11.
Source :
Extrait du catalogue Soto, Collection du Centre Pompidou - Musée national d'art moderne, Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2013
Bibliographie
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