Dessin collectif
1940
Informations détaillées
Artistes | Wifredo Lam (Wifredo Oscar de la Concepción Lam y Castilla, dit), André Breton, Autre(s) collaborateur(s) |
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Titre principal | Dessin collectif |
Ancien titre | Jeu de Marseille |
Date de création | 1940 |
Domaine | Dessin | Collage |
Technique | Encre, crayon de couleur, illustrations de magazines découpées et collées sur papier |
Dimensions | 22,9 x 29,8 cm |
Inscriptions | Annotation au revers : Marseille 1940 / (collectif) / A.B. |
Acquisition | Achat, 1980 |
Secteur de collection | Cabinet d'art graphique |
N° d'inventaire | AM 1980-32 |
Analyse
Drame de la guerre civile en Espagne depuis bientôt quatre ans, assassinat de Trotski en 1939, occupation de la France par les troupes allemandes fin 1940, censure de plus en plus inquiétante des autorités vichyssoises : le groupe surréaliste parisien, divisé par les dissensions idéologiques – depuis, notamment, les procès de Moscou de 1936-1937 –, scindé depuis la rupture avec Eluard, est confronté à une grave crise de ses objectifs libertaires, que Breton a déjà tenté de ranimer avec la publication de son manifeste « Pour un art révolutionnaire indépendant », rédigé avec Trotski à Mexico en 1938, et la création de la Fiari. Dans cette débâcle générale, l’épisode de Marseille, qui, en 1940-1941, réunit artistes, intellectuels, juifs, communistes – Breton, Masson, Duchamp, Brauner, Lam, Domínguez, Hérold, Tzara, Itkine, Péret, Char, Mabille, Serge, Lévi-Strauss –, ainsi que des ressortissants allemands (Bellmer, Ernst) rescapés du camp des Milles, autour de la villa Air-Bel, où siège le Centre américain de secours aux intellectuels organisé par Varian Fry, constitue le dernier moment un peu chaleureux avant la dispersion et l’exil des uns et des autres vers Cuba, Mexico, la Guadeloupe ou New York. La pratique du jeu collectif, qui reste un enjeu fort de la démarche surréaliste, devient un dérivatif puissant à la morosité générale, à l’attente du départ. S’y éprouve, sous la conduite de Breton, l’entente des membres du groupe : à cet égard, plus qu’à tout autre moment de leurs réunions rituelles, la série de dessins réalisés alors en commun (cadavres exquis, cartes dites du « Jeu de Marseille », inspiré du tarot, dessins collectifs, illustrations pour Fata Morgana , de Breton) peut être comprise comme un témoignage de leur solidarité, une « carte du tendre » où s’affichent en toute spontanéité les liens qui animent ce nouveau « rendez-vous des amis », évidemment plus sombre que celui peint par Max Ernst en 1923. Mais dans ces jeux s’expriment leur foi dans les forces vives de la poésie, et leur espoir, toujours, d’une émancipation totale de l’esprit.
La juxtaposition quadrillée des différentes contributions, comme autant de cartes à jouer (dont certaines exécutées à l’aveugle), présente un caractère composite et disparate : alternent dessins aux crayons de couleur, encres, peintures, collages de reproductions imprimées, montages d’éléments hétérogènes. Chacun, artiste ou non, y va de sa fantasmagorie, sans hiérarchie, avec une liberté de proposition qui annonce, parfois, celle de la réclame ou de l’image pop. À côté de tracés maladroits d’anonymes, certains éléments plus aboutis sont immédiatement identifiables : masque afro-cubain de Lam, créature céphalopode de Brauner, volutes maniérées de Bellmer, figures cristallines d’Hérold, etc. Pour l’essentiel, les images dessinées, le plus souvent anthropomorphes, en appellent au primitif, à l’étrange, au sauvage, à l’érotisme, à l’humour noir, au grotesque : beaucoup semblent des avatars de l’Ubu d’Alfred Jarry, plus que jamais d’actualité. La figuration emblématique d’André Masson, qui s’est récemment rapproché de Breton, marque de son sceau ces images d’un imaginaire métamorphique violent (plantes carnivores, têtes mandragores, meubles monstres).
Cette ultime réalisation avant la dispersion du groupe surréaliste a la nostalgie d’un dernier acte collectif. Bientôt le souffle américain (déjà pressenti par Breton avec les nouveaux « espoirs » incarnés par Matta et Onslow-Ford) ouvrira définitivement la voie – individuelle – à cet « automatisme absolu » et à cette « quatrième dimension » mythique qu’il appelait de ses vœux, en 1939, dans « Les tendances les plus récentes du surréalisme ».
Agnès de la Beaumelle
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008