Sans titre

Éric Poitevin mène depuis le début des années 1990 un travail photographique enraciné dans son environnement quotidien. Des portraits d’anciens combattants de la Première Guerre mondiale aux paysages, son œuvre tire son inspiration d’une réalité très concrète et d’une certaine expérience du temps, celles d’une Meuse rurale où il vit et travaille. Par-delà la diversité des genres abordés – natures mortes (chevreuils, os à moelle, crânes), portraits (religieuses et cardinaux de la Curie romaine, vétérans de la Grande Guerre), paysages (forêts, sous-bois, marécages, broussailles, arbres cadrés en contre-plongée), nus –, la pratique photographique de Poitevin semble guidée par la recherche de ce que lui-même définit comme une « charge de temps et d’expérience ». La présence muette des êtres et des choses y est souvent habitée par l’absence et la disparition prochaine, celles de sujets marqués par la mort et l’effacement. Les forêts automnales, comme ici, ou dévastées par la tempête rappellent la fragilité des choses sans toutefois pouvoir être assimilées à de pures vanités : vidées de tout punctum , fréquemment dépourvues de repères spatiaux, elles acquièrent une charge nouvelle souvent abstraite, comme en suspens, face à laquelle le regard du spectateur glisse et s’égare. Dans leur présence physique forte et pourtant intemporelle, dans leur dépouillement silencieux, les images de Poitevin proposent un nouvel « alphabet » du monde, comme la recherche d’un regard sans mémoire, posé sur les choses et les êtres.

Quentin Bajac

Source :
Extrait du catalogue Collection art contemporain - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Sophie Duplaix, Paris, Centre Pompidou, 2007