La forêt pétrifiée
[1929]
La forêt pétrifiée
[1929]
Cet important frottage, réalisé par Ernst au revers d'une gravure d'interprétation du 19e siècle, est exposé à la galerie Jeanne Bucher cette même année 1929.
L'œuvre qui appartenait au fonds de la galerie parisienne pourrait y avoir été acquise par un collectionneur de Wuppertal, le propriétaire d'une usine de produits chimiques, Kurt Herberts, qui la détient en 1946. Transférée en France par le troisième convoi en octobre 1948, elle est retenue par la cinquième commission de la récupération artistique en octobre 1950 pour être confiée à la garde du musée national d'art moderne.
Domaine | Dessin |
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Technique | Frottage de mine graphite au revers d'une gravure du XIXe |
Dimensions | 74 x 98 cm |
Acquisition | Attribution par l'Office des Biens et Intérêts Privés, 1950 |
N° d'inventaire | R 10 D |
Informations détaillées
Artiste |
Max Ernst
(1891, Allemagne - 1976, France) |
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Titre principal | La forêt pétrifiée |
Date de création | [1929] |
Domaine | Dessin |
Technique | Frottage de mine graphite au revers d'une gravure du XIXe |
Dimensions | 74 x 98 cm |
Inscriptions | Signé en bas à droite : Max Ernst |
Acquisition | Attribution par l'Office des Biens et Intérêts Privés, 1950 |
Secteur de collection | Cabinet d'art graphique |
N° d'inventaire | R 10 D |
Analyse
Plus que l’invention, qui remonte fort loin, la trouvaille du procédé du frottage par Max Ernst – qu’il relatera dans Cahiers d’art n° 6-7, 1936 : « Le 10 août 1925, une insupportable obsession visuelle me fit découvrir les moyens techniques qui m’ont permis une très large mise en pratique de cette leçon de Léonard […], obsession qu’exerçait sur mon regard irrité le plancher dont mille lavages avaient accentué les rainures » , sur lesquelles il suffisait de frotter à la mine de plomb une feuille de papier pour en faire surgir les marques – répond pleinement aux objectifs du Manifeste du surréalisme de 1924 : pratique de l’automatisme, exacerbation des facultés visuelles. À la suite du poète, le peintre se fait voyant d’une Histoire naturelle (1926) qu’il laisse apparaître sur le papier, et bientôt sur la toile. Planchers, mais aussi toiles de sac, ficelles, bobines, grilles, toutes sortes de matières livrent des ombres – fleurs, oiseaux, arborescences, serpents, chevaux, jeunes filles – qui font de l’univers un tissu nocturne de correspondances secrètes. Le démon de l’interprétation est désormais à l’œuvre, comme dans le rêve : pour Max Ernst, c’est la mise au jour de l’inconscient, pareille à celle de la « vision de demi-sommeil », souvenir d’enfance dont il fera le récit dans La Révolution surréaliste (nº 6-7, oct. 1927) et dont la trouvaille du frottage semble être la résurgence réactivante « sur un panneau […] de faux acajou, et provoquant des associations de formes organiques (œil menaçant, long nez, grosse tête d’oiseau à épaisse chevelure noire, etc.) ». Ses frottages au crayon sur papier, ses frottages peints des années 1925-1929 (séries des 100 000 colombes , des Hordes , des Fleurs-Coquillages , des Forêts ) constituent une suite féconde de visions récurrentes, devenues emblématiques. L’oiseau à l’œil perçant de Colombe ? Nommé en 1928 « Loplop, le Supérieur des oiseaux », hermaphrodite, il est l’alter ego du peintre-voyant, son fantôme familier et hautain. La forêt ? Solaire, calcinée, pétrifiée, elle est le lieu inquiétant, mystérieux de toutes les métamorphoses et de tous les indices pour cet héritier des romantiques allemands. La chevelure ? Elle déroule sa corde enflammée, apanage des femmes-lianes entraînant l’homme dans des Hordes sauvages, se livrant à lui dans une Nuit d’amour . « À l’intérieur de la vue », pour reprendre le titre d’une œuvre de 1929 : pour qui entend « aller au-delà de la peinture », l’œil est comme un œuf – un monde intérieur en gestation, une vaste maternité au pouvoir de révélation infini.
Agnès de la Beaumelle
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008