Regard sur la Folie
suivi de La Fête prisonnière
09 nov. 2008
L'événement est terminé
Les Matinales
France / 1967 / 16mm / noir et blanc / 47 min
Réalisation : Jacques Krier
Jacques Krier (1926-2008), formé à l’Idhec, a choisi la télévision pour ses
possibilités documentaires. Après A la découverte des Français, une série
initiée à l’ORTF par Jean-Claude Bergeret qui lui fait rencontrer paysans,
pêcheurs et enseignants, et l’aventure de Cinq colonnes à la une, il livre pour
la série d’Eliane Victor Les femmes… aussi un documentaire diffusé en novembre
1967. Ce regard sur les laissées pour compte des Trente glorieuses est un bijou
impur du direct dont le 16mm nocturne et sans éclairage artificiel rappelle les
plans de métro envoûtants d’Alphaville. Il faut dire que les femmes de ménage
dont Krier suit le quotidien se lèvent avant potron-minet : le commentaire off
situe son sujet dans un intervalle entre 5 et 7, « après les pétards, avant les
travailleurs ».
Les « ouvrières nettoyeuses » (l’expression a son importance, extirpant le
ménage de la sphère domestique) sont avant tout des marcheuses, telle la veuve
de 76 ans qui fait 4 kilomètres à pied en deux heures trente de Montmartre à
l’avenue Matignon, ou la balayeuse « à boîte » de 73 ans qui répète le même
parcours dans la salle des pas perdus de Saint-Lazare.
En chemin, le documentaire social attrape des propos inouïs sur la liberté
paradoxale d’une précarité préférée à l’usine : celle d’une femme qui s’invente
freelance avant l’heure ou d’une autre qui choisit de nettoyer dans un grand
magasin plutôt que chez les bourgeois « pour ne pas sentir leur instruction ».
Pacification des classes visant à montrer que les exploitées ne sont pas si
malheureuses malgré les 2,83 francs de l’heure? Entêtement de l’humain, plutôt,
à prévaloir sur l’idéologie. Les « matinales » prennent leur liberté où elles
la trouvent, et quand retentit au fond d’un couloir de bureau pas encore foulé
par le sous-chef inspecteur des travaux finis, le chant d’une femme de ménage
espagnole, on jurerait que la nuit leur appartient.
Méthode I
France / 1963 / 16mm / noir et blanc / 28 min
Réalisation : Mario Ruspoli
La Radio-télévision française a beaucoup à apprendre du cinéma : c’est la
prémisse de cette Méthode I, making of avant l’heure destiné à faire prendre le
train du cinéma direct aux techniciens de la RTF avec l’aide de Mario Ruspoli.
Instructeur pour l’occasion en cet été 1962, celui-ci choisit comme terrain
d’essai la Lozère, où il vient de tourner ses deux précédents documentaires,
Les Inconnus de la terre et Regard sur la folie. Les techniciens qui
l’accompagnent deviendront les plus grands opérateurs et ingénieurs du son du
cinéma français : Pierre Lhomme, qui vient de tourner Le Joli Mai avec Chris
Marker, collabore par la suite avec Bresson et Eustache, Etienne Becker, qui a
aussi débuté sur Le Joli Mai, tournera pour Rivette et Malle, et Antoine
Bonfanti, future « oreille » de Resnais et Godard, a enregistré La Jetée de
Marker. Le but de la démonstration ? « Libérer la caméra, pouvoir la jeter dans
l’espace humain, dans la vie ». Plus ludique qu’un film éducatif, Méthode I
présente le « groupe synchrone léger » comme un trio de Martiens entièrement
guidé par le son. Le cinéma direct a commencé tenu en laisse: le son synchrone
tient à un fil entre le magnétophone et la caméra Coutant-Mathot, mais, tempère
Ruspoli, ce cordon obligatoire rend plus cohérent le mouvement d’ensemble –
entraînement physique et esprit d’équipe, voilà posées les bases, pas seulement
techniques, d’un documentaire qui a « donné son trépied au musée archéologique
».
© Argos films
Regard sur la folie suivi de La Fête prisonnière
France / 1961 / 35mm / noir et blanc / 53 min
Réalisation : Mario Ruspoli
A la fois artisan sensible et théoricien du mouvement qu’il proposa d’appeler «
cinéma direct » plutôt que « cinéma-vérité 1 », Mario Ruspoli tourne une
seconde fois en Lozère après son profil paysan Les Inconnus de la terre (1961),
toujours avec le brillant opérateur canadien Michel Brault, équipé d’une caméra
16mm Coutant et d’un magnétophone synchrone. Portant le premier regard non
condescendant sur les patients d’un hôpital psychiatrique avant Raymond
Depardon, Fred Wiseman, Marco Bellocchio ou Nicolas Philibert, Ruspoli ne
s’astreint nullement à un purisme du direct : Michel Bouquet lit un commentaire
en voix off, une jeune femme, parfois filmée, pose quelques questions («
Qu’est-ce qui ne va pas ? »), et le son est souvent monté sur des images non
synchrones.
Ce dispositif techniquement et théoriquement léger parvient à capter à la fois
la solitude des lieux, notamment lors d’un long travelling sur les alcôves du
dortoir, et l’écoute réelle des médecins, parmi lesquels un psychiatre réfugié
du franquisme. Mais à la différence du docteur qui écoute patiemment la
logorrhée d’une vieille femme, Blanche, en restant près de son lit, Ruspoli a
le pouvoir de dissocier images et son, de rapatrier la parole d’un patient
enregistrée au début « dans » le travelling du dortoir : « Ils sont dans un
hôpital psychiatrique », dit l’homme, « parce qu’ils ont perdu peut-être toute
leur mémoire ». Ce lien fait au montage entre travelling et cheminement
mémoriel évoque inévitablement L’Année dernière à Marienbad, voire Nuit et
Brouillard (dont le monteur Henri Colpi était conseiller artistique sur Regard
sur la folie). Car Ruspoli filme aussi la folie comme pensée confrontée à un
vide qui la structure et la creuse, à la manière du geste d’une femme alitée
filant dans l’air, sans laine ni quenouille. Même un geste « fou » filmé en
plongée de très loin (l’agitation d’un adolescent dans la cour) est monté sur
les paroles de Blanche, non dénuées d’une implacable logique verbale. Le
commentaire off définit au début la folie comme « la séparation anormale des
éléments de la pensée » – ces séries de contrepoints entre son-image, hérésies
pour la doxa du direct, confirment la justesse de cette analyse.
1Dans son rapport de 1963 Le groupe synchrone cinématographique léger destiné à
l’Unesco.
Quand
À partir de 17h