Hors les murs
Centre Pompidou mobile
La couleur
16 juin - 16 sept. 2012
L'événement est terminé
Troisième étape à Boulogne-sur-mer, avec le parcours thématique autour de la Couleur. Ce parcours invite à découvrir à travers quinze chefs-d'oeuvre, quatorze issus des collections du Centre Pompidou et un prêté par le FRAC Nord-Pas de Calais, comment les artistes du début du 20e siècle jusqu'à aujourd'hui ont exploré les infinies possibilités de jeux de la couleur. Des accords de bleus de Picasso aux rouges vibrants de Picabia, la couleur dévoile sa puissance émotionnelle et son énergie. Elle est pour les artistes du 20e et 21e siècle un inépuisable réservoir de sensations et de recherches. Depuis les couleurs primaires envahissant l'espace du tableau jusqu'aux couleurs lumières qui se déploient dans l'espace, en passant par les couleurs en mouvement : aujourd'hui, la couleur s'invite dans toutes les formes de la création. C'est cette richesse – un siècle d'inventions ! – que vous pouvez découvrir ici
Troisième étape à Boulogne-sur-Mer
Parcours thématique autour de la Couleur Ce parcours invite à découvrir à travers quinze chefs-d'œuvre, quatorze issus des collections du Centre Pompidou et un prêté par le FRAC Nord-Pas de Calais, comment les artistes du début du 20e siècle jusqu'à aujourd'hui ont exploré les infinies possibilités de jeux de la couleur. Des accords de bleus de Picasso aux rouges vibrants de Picabia, la couleur dévoile sa puissance émotionnelle et son énergie. Elle est pour les artistes du 20e et 21e siècle un inépuisable réservoir de sensations et de recherches. Depuis les couleurs primaires envahissant l'espace du tableau jusqu'aux couleurs lumières qui se déploient dans l'espace, en passant par les couleurs en mouvement : aujourd'hui, la couleur s'invite dans toutes les formes de la création. C'est cette richesse – un siècle d'inventions ! – que vous pouvez découvrir ici.
Informations pratiques : Centre Pompidou mobile Site de l’Eperon Gare maritime 62 200 Boulogne Entrée gratuite
Du 19 juin au 5 juillet et du 4 au 16 septembre, du mardi au vendredi : ouverture de 16 h 30 – 19 h. Du 6 juillet au 3 septembre, du mardi au vendredi : ouverture de 12h à 19h
Public individuel Week-ends et jours fériés : ouverture de 9h à 19h Samedi et 14 juillet : visite famille (parents et enfants de 5 à 10 ans) à 10h : sans réservation, 30 personnes maximum Dimanche et 15 août : visite guidée animée par un comédien à 10h : sans réservation, 30 personnes maximum
Groupes Sur réservation Des visites adaptées aux publics en situation de handicap seront également proposées Samedi 8 septembre à 11h : Visite « Ecouter, voir » Pour cette visite proposée aux personnes aveugles ou malvoyantes, le conférencier s’attachera à raconter le parcours, sa scénographie et proposera une « audio description» d’œuvres choisies. Informations pratiques : Durée de la visite : 1 heure, gratuit sur réservation, 15 personnes maximum
Fermé le lundi Dernière entrée une demi-heure avant l'heure de fermeture Renseignements : 03 21 32 38 92
Parcours thématique autour de la Couleur
I / Couleurs primaires, noir et blanc
Rouge, jaune, bleu : telles sont les trois couleurs primaires, les couleurs à partir desquelles, en peinture, il est possible de fabriquer toutes les autres. Pablo Picasso, František Kupka et Francis Picabia jouent tout à la fois de la puissance, de la présence de ces couleurs, mais aussi des multiples nuances, tons ou variations qu'elles autorisent, tel le camaïeu ou la gamme. Il s'agit pour eux d'exploiter le potentiel de la couleur, d'en révéler les richesses, de jouer avec les possibilités qu'elle offre pour produire des sensations ou bien des sentiments, pour nous confronter à sa force, à sa capacité d'émotion. Ainsi Picasso se sert-il du bleu pour exprimer sa tristesse. Jean Dubuffet, lui, joue avec le noir et le blanc. L'œil se concentre avant tout sur les formes. Couleurs ? Non couleurs ? Pour les physiciens, la lumière blanche réunit toutes les couleurs, tandis qu’une surface noire les absorbe toutes…
František Kupka, La Gamme jaune, 1907
Réalisé en 1907, ce tableau affirme la couleur en jouant sur différentes nuances de jaune. Dans les yeux, pas de pupille, mais du bleu froid. L’homme regarde à l’intérieur de lui-même. Sur ses genoux, un livre, on ne sait pas lequel. Kupka exprime un état d’âme. Cet homme ressemble beaucoup à l’un des plus grands poètes français du XIXe siècle admiré par Kupka : Charles Baudelaire. Ce tableau est d’ailleurs proche d’un portrait photographique du poète, réalisé par Nadar. En nommant cette œuvre La Gamme jaune, le peintre – comme nombre d’artistes au début du XXe siècle – s’inspire de la musique pour créer des sensations.
Né en 1871, Kupka meurt en 1957. Originaire de Bohême orientale, aujourd’hui en République tchèque, Kupka intègre en 1889 l’Académie des beaux-arts de Prague, puis celle de Vienne en 1892, et fréquente un atelier de peinture religieuse dont l’influence sera décisive. En 1906, à Paris, il rencontre Marcel Duchamp et son frère Raymond Duchamp-Villon, deux artistes majeurs, découvre le cubisme et oriente ses recherches à la croisée de la musique, des sciences et de la philosophie. Peu à peu, ses tableaux s'éloignent de la représentation de la réalité. À partir de 1911, il peint des bandes colorées sur fond monochrome. Pionnier de l’abstraction au même titre que Kandinsky, Mondrian ou Malevitch, il ne sera reconnu comme tel que dans les années 1950.
Francis Picabia, L’Arbre rouge, 1912
On pourrait penser, d’abord, à une forêt d’automne et à ses feuilles rougeoyantes. Mais il n’y a pas de douceur, ici, pas de mélancolie. Tout au contraire, le rouge vermillon contraste violemment avec les blancs, les gris et les noirs. La couleur est excessive, comme dans les tableaux peints par les peintres fauves quelques années auparavant. Pas de profondeur : pour Francis Picabia, il faut s’en tenir à deux dimensions, la largeur et la hauteur. Entre le géométrique et le naturel, les formes sont décomposées, simplifiées, presque abstraites. Les contrastes colorés, le placement des formes dans l’espace offrent aussiune sensation dynamique. On pense ici à ce qu’écrivait le peintre italien Carlo Carra en 1913 au sujet du rouge que selon lui la peinture moderne réclamait : « les rouges, rouououououges, très très rououououououges qui criiiiiient » (« I rossi, rooooosssssi roooooosssissssimi che griiiiiidano »).
D’origine espagnole, Francis Picabia naît en 1879 à Paris dans une famille très aisée. Il y meurt en 1953. Tour à tour tenté par plusieurs avantgardes, il collabore activement à leur diffusion, notamment à New York où il séjourne fréquemment dans les années 1910. Mais il tourne vite en dérision le sérieux de ces mouvements pour agir en provocateur, ou en humoriste. Au milieu des années 1920, devenu encore plus riche grâce à un héritage, il s’installe dans le sud de la France où il fait construire un château. Sa vie se partage désormais entre les mondanités, les yachts, les casinos et la peinture à laquelle il revient sans cesse. Dans l’entre-deux-guerres, il pratique une figuration très classique, empreinte de ce que l’historien d’art Didier Ottinger nomme un « kitsch flamboyant ». Une de ses phrases témoigne de son goût pour le mouvement constant : « Notre tête, dit-il, est ronde pour permettre à la pensée de changer de direction ».
Pablo Picasso, Femme en bleu, 1944
Un bleu, mais un bleu avec des tons différents. La femme est dessinée avec des lignes simples, tantôt courbes, tantôt géométriques. Le bleu, lui, vient unifier l’ensemble. Picasso alterne les points de vue. Face. Profil. À certains endroits, le visage paraît un masque. C'est que le peintre est influencé par les arts africains et océaniens découverts à Paris plusieurs décennies auparavant. Dans ces formes nouvelles pour les Européens, il trouve alors de quoi renouveler son travail. En peinture, le bleu est souvent lié à l’immatériel, à l’infini. Picasso, lui, s’en sert pour exprimer des sentiments. Dans ce tableau peint en 1944, comme dans ceux de la période bleue du début du siècle, la tristesse domine : celle que provoque la Seconde Guerre mondiale.
Né en 1881, Pablo Picasso meurt en 1973. Figure la plus célèbre de l’art moderne, il fut un touche à tout de génie, un inventeur inlassable. Peintre et sculpteur, il a aussi expérimenté le collage et l’assemblage. Originaire de Malaga, il vivra la majeure partie de sa vie en France. De 1901 à 1904, ses tableaux sont dominés par une tonalité bleue. C’est la fameuse période bleue. Lui succède une période rose, plus légère, puis le cubisme. Les toiles de cette période sont peintes dans des camaïeux de gris et de beige: l’œil ne doit pas être attiré par la couleur, mais se concentrer sur la forme. Plus tard, dans les années 1920, Picasso réintègre des couleurs vives, qui vont de pair avec des formes anguleuses. Par la couleur, Picasso invente, innove, mais traduit aussi ses états d’âme.
Jean Dubuffet, Papa gymnastique, 1972
Ici, le rythme est donné par la ligne noire dans son opposition au blanc. Dans un souci de simplicité, Jean Dubuffet réduit les couleurs. L’œuvre fait partie d’un ensemble constitué de 175 sculptures réalisées pour son spectacle nommé « Coucou Bazar », montré à New York, puis à Paris, en 1973. Certains personnages étaient déplacés par des comédiens cachés derrière. D'autres étaient mis en mouvement par des machines. Il y avait aussi des danseurs masqués, costumés. Ils se déplaçaient autour des statues, avec des gestes lents. Ce spectacle était, selon l’artiste, «comme un tableau qui cesserait d’être une image à regarder, mais qui prendrait réelle existence et nous accueillerait en son dedans ».
Né en 1901, Jean Dubuffet meurt en 1985. Il commence à exposer dans les années 1940, se fait remarquer par une série de portraits drôles et grinçants des peintres et des écrivains qu’il fréquente. Ce sont des toiles où la matière est épaisse. Jean Dubuffet s’intéresse aussi beaucoup à l’art des enfants et des aliénés qu’il contribue à faire reconnaître en les rassemblant sous le terme d’ « art brut ». En 1948, il fonde même la Compagnie de l'art brut, afin de constituer une collection, aujourd’hui visible à Lausanne. À partir de 1962, l'artiste entame le grand « cycle de l’Hourloupe », suivi d’autres ensembles où la couleur est de plus en plus présente. À la fin de sa vie, ce seront les « Sites », avec des cellules peuplées de personnages, puis les « Mires » au graphisme plus nerveux, qui envahiront les cimaises des musées avec d’immenses formats et toujours la même énergie débordante.
II/ Couleurs en jeu
La couleur est mobile, variable : elle change en fonction des autres couleurs, celles qui l'entourent, mais aussi des mouvements de la lumière ou des déplacements de celui qui regarde. La couleur nous est donc donnée comme illusion : ce que l’œil voit n’est pas forcément ce qui est. Comment les couleurs agissent-elles alors les unes par rapport aux autres ? Comment parviennent-elles à créer des visions nouvelles, parfois même l’impression de mouvement, comme si elles étaient vivantes ? C’est ce que certains artistes ont cherché à expérimenter à travers leurs œuvres. Ainsi, par l’utilisation des touches colorées, Georges Braque cherche à structurer son tableau, mais aussi à rendre visibles les vibrations lumineuses. Josef Albers, lui, crée l’illusion de profondeur par le jeu des couleurs. Quant à Yaacov Agam, il fait de son tableau une surface multiple, toujours changeante, devant laquelle il nous invite à bouger…
Georges Braque, L’Estaque, (LE port de la Ciotat), OCT.-NOV. 1906
En 1907, Georges Braque peint le port de la Ciotat. Pour saisir les couleurs, les lumières mouvantes, vibrantes, il procède par touches. Les dominantes rose et jaune se retrouvent en plusieurs points du tableau. Sur le sol. Dans les rochers. Dans l’eau de la mer au deuxième plan. Sur les façades des maisons au troisième plan. Ainsi, notre œil relie d’un seul coup le premier et le dernier plan, sans même qu’on en prenne conscience. Couleurs douces ou violentes ? Á Marseille, en automne, les lumières sont douces. Pourtant, ici, les couleurs apparaissent aussi comme excessives. Plus fortes que dans la nature. Georges Braque est influencé par les peintres fauves qui, en 1905, avaient libéré la couleur, l’avaient rendue autonome. « C’était une peinture très enthousiaste, dira-t-il plus tard, et elle convenait à mon âge, j’avais vingt-trois ans ».
Né à Argenteuil en 1882, Georges Braque meurt à Paris en 1963. Peintre, dessinateur et graveur, il aura aussi travaillé la sculpture. Il aura été un acteur essentiel de l’art du début du XXe siècle. En 1908, il rencontre Pablo Picasso, avec lequel il collabore dans les années qui suivent. Pour eux, la couleur n’est alors plus l’essentiel : ce qui compte, c’est le jeu avec les formes. Il s’agit aussi d’introduire du réel dans l’œuvre : chiffres, lettres et papiers collés envahissent la toile.
Yaacov Agam, Double métamorphose, 1968-69
Pour Yaacov Agam, l’image ne doit pas être une mais plusieurs, elle peut être transformée à chaque instant par le seul mouvement de celui qui regarde. D'abord, par des formes triangulaires parallèles, l’artiste crée une structure. Puis, par-dessus cette structure, il peint plusieurs thèmes. En se déplaçant devant, on peut voir ces thèmes se séparer, se recomposer. Ainsi, Agam joue avec les illusions optiques pour créer une image qui change en fonction de notre position, mais aussi de notre mouvement.
Né en Israël en 1928, Agam s’installe en France en 1951. Ses œuvres sont fondées sur trois principes : refus de la vision unique, figée, de l’œuvre ; prise en compte du rapport à l’espace ; utilisation des techniques industrielles modernes. En 1969, à la demande de Georges Pompidou, Agam aménage l’antichambre de l’Elysée. C’est le Salon Agam, visible dans les collections du Musée national d’art moderne. «Je travaille parfois avec deux cents couleurs sur la palette, dit-il : c’est d’une difficulté incroyable car, si une seule couleur saute, cela compromet l’ensemble ».
Josef Albers, Affectionate, Homage to the square, 1945
À partir des années 1950, et jusqu’à sa mort, en 1976, Josef Albers crée des milliers d'« hommages au carré ». Tous sont peints sur de l’isorel, un matériau dense, solide, qui se déforme peu. Au revers de chaque tableau, l’artiste écrit la recette des couleurs et les techniques utilisées. Dans un seul carré, plusieurs carrés. Les couleurs ne se touchent que le long des contours extérieurs de chaque carré. Aucune couleur n’en recouvre une autre. Nous avons la sensation que le rouge est derrière, dans une sorte de profondeur. C’est que, par le jeu savant du rapport entre les couleurs, l’artiste crée l’impression de perspective. « J’aime prendre une couleur très pauvre, dit-il, et la rendre riche, belle en travaillant sur celles qui l’entourent. Transformer le sable en or, voilà mon travail. »
Né en Allemagne en 1898, Josef Albers meurt en 1976 aux États-Unis. Étudiant au Bauhaus au début des années 1920, il suit les cours d’un grand théoricien moderne de la couleur : Johannes Itten. Dans cette école, créée en 1919 dans une ville allemande nommée Weimar, lui-même deviendra maître. C’est aussi un courant artistique important, qui touche à la fois la peinture, le design, les vêtements et l’architecture. On y pense, on y invente de nouvelles formes. En 1933, le Bauhaus est fermé par les nazis. L’artiste s’exile alors aux États-Unis où il passe le restant de ses jours. Professeur d’exception, il a toujours su lier son activité d’enseignant et son travail de peintre. En 1963, après huit ans de travail avec ses étudiants, il publie un livre théorique important : L’Interaction des couleurs.
André Cadere, Barre de bois rond
Dans les années 1970, André Cadere se promène dans différents espaces publics, une barre à la main. Ces barres, de taille variable, peuvent compter d’une dizaine à une cinquantaine de morceaux de cylindres d’une seule couleur. Pour chacune de ces barres, André Cadere utilise de trois à sept couleurs parmi les suivantes : noir, blanc, jaune, orange, rouge, violet, bleu et vert. Ces segments sont assemblés par l’artiste selon une règle mathématique d’alternance des couleurs dans laquelle il introduit toujours une erreur. Absolument mobiles, ces objets n’ont ni haut, ni bas, ni endroit, ni envers. Ils peuvent être montrés n’importe où et de différentes façons, accrochés au mur, posés au sol, présentés dans une exposition puis déplacés. L’artiste introduit parfois une barre en cachette dans une galerie. Ces objets perturbent ainsi la vision traditionnelle de l’oeuvre d’art et du geste de l’artiste. 15.
De 1971 jusqu’à sa disparition prématurée en 1978, André Cadere s’affirme comme l’un des artistes les plus radicaux de la décennie. Né en 1934 à Varsovie et d’origine roumaine, il s’installe à Paris en 1967. Alors qu’il est un peintre dans la mouvance de l’art optique, un art abstrait fondé sur des jeux visuels et des illusions d’optique, son oeuvre prend en 1970 un tournant décisif. L’artiste se consacre désormais à la production de barres de bois composées de plusieurs segments colorés. Cherchant à engager des discussions et des réflexions autour du statut social de l’art, l’artiste déambule dans les rues et le métro une barre sur l’épaule. Les barres de bois rond sont à la fois partout à leur place pour ne l’être jamais vraiment nulle part. Dans une lettre de 1978 qu’il adresse au galeriste Yvon Lambert, l’artiste écrit : « Une barre de bois rond est immuable, toute pièce étant à chaque fois différente l'une de l'autre, l'ensemble du travail étant une constellation. »
III / La couleur seule
Expérience radicale inaugurée par le peintre russe Malevitch en 1918 avec son Carré blanc sur fond blanc, le monochrome – tableau ne contenant qu’une seule couleur - ne cesse, depuis, d'habiter l’histoire de la peinture. Sa naissance se confond avec celui de l’abstraction. Les motivations sont multiples : réduire le tableau à ses composantes essentielles pour inventer de nouvelles formes, pour rechercher de nouvelles sensations... C’est qu’à partir du minimum – une seule couleur – il est possible d’offrir des visions et des sensations tout à la fois riches, profondes et variées. Le dessin, les formes ont disparu ; la couleur devient souveraine. Pour Yves Klein, il s’agit de s'immerger, de contempler, de se perdre, il s’agit aussi d’explorer toutes les variations subtiles d'une seule et même couleur. En 1960, il invente même un bleu, qu’il nomme IKB, « International Klein Blue ».
Yves Klein, Monochrome orange, 1955
Plus qu’au regard, c’est à la contemplation qu’appelle Yves Klein. C’est-à-dire : à une manière de regarder tout à la fois lente et profonde. Pour lui, l’art s’adresse en effet à l’esprit et cherche à atteindre la sensibilité. Se confronter au tableau, c’est modifier, profondément, sa pensée. Afin d’être le plus neutre possible, il peint au rouleau. Entre 1955 et 1962, date de sa mort, il réalise ainsi presque deux cents monochromes. Les supports, les formats, les textures et les couleurs varient. Ce tableau est l’un des premiers du genre réalisés par Yves Klein. Un an plus tard, en 1956, il invente sa propre couleur, un bleu profond qu’il baptise IKB. International Klein Blue. Immatérielle plus que toute autre, cette couleur devient sa couleur de prédilection.
Né en 1928 à Nice, Yves Klein décède en 1962 d’une crise cardiaque. Il peint depuis son adolescence. Mais cette pratique est pour lui subordonnée à d’autres activités comme le judo auquel il s’initie en 1947, alors que cette discipline se veut une méthode d’éducation intellectuelle et morale visant à la maîtrise de soi. En 1955, il présente ses premiers monochromes. Un an plus tard, il entame son « époque bleue ». Ce choix de couleur est confirmé par un voyage à Assise où il découvre les ciels du peintre Giotto (1267-1337), en qui il reconnaît le véritable précurseur de la monochromie bleue qu’il pratique : uniforme et spirituelle. Ce bleu n’est cependant pas l’unique objet de son travail. À partir de 1960, il utilise l’or et le feu, peint parfois publiquement, se sert de femmes nues comme pinceaux.
IV/ La couleur en liberté
Au tout début du 20e siècle, dans la peinture classique occidentale, le choix de la couleur était encore presque toujours soumis au dessin et à la réalité. La couleur devait entrer dans une structure établie, par le dessin, mais aussi donner l’impression d’être vraisemblable. Depuis, nombre d’artistes ont inventé pour la couleur d’autres fonctions, d’autres possibilités. Ils l'ont libérée, en ont fait la source de jeux, d’inventions, de perceptions nouvelles, l’ont explorée, comme on le dirait d’un nouveau continent. Le sculpteur Alexander Calder peut ainsi évoquer des vols d’oiseaux jaunes et rouges, tandis que Fernand Léger figure des corps aux couleurs vives, uniformes, qui s’opposent les unes aux autres.
Alexander Calder, Deux vols d’oiseaux, 1954
Alexander Calder ne cherche pas à figurer, plutôt à évoquer. Les couleurs sont simples. Les formes sont presque abstraites. L’artiste emprunte au végétal, à l’animal, mais il simplifie. Ce qui compte, c’est le mouvement, la légèreté. Ici, l’œuvre est simplement animée par le déplacement de l’air. Parfois, il joue aussi avec des moteurs ou des manivelles. Ici, il ajuste le poids, les forces de l’acier afin de trouver l’équilibre. Une vingtaine d’années plus tôt, dans les années 1930, à Paris, il invente un nouveau type d'œuvre. Sculpture ? Peinture ? Ou bien, comme on l’a souvent suggéré, dessin dans l’espace ? Quoiqu’il en soit, l’artiste transforme la sculpture traditionnelle jusqu’alors fondée sur le poids, la masse, le socle, l’immobilité. Pour ces œuvres d’un nouveau type, il faut donc inventer un nom. C'est un autre artiste, Marcel Duchamp, qui trouvera ce nom : « mobiles ».
Calder naît en 1898 en Pennsylvanie. Il meurt à New York en 1976. Après une formation d'ingénieur qu’il saura plus tard mettre à profit dans son œuvre, il décide, au début des années 1920, de se consacrer à l’art. Il fréquente une école de peinture et de sculpture à New York, puis, en 1926, s’installe pour quelques années à Paris. C’est là qu’il réalise ses premières sculptures originales : des structures en fils de fer qui s’apparentent à des « dessins dans l’espace ». Franchissant un pas de plus dans la remise en cause de la sculpture classique, Calder réalise alors ses premiers mobiles qui, perfectionnés au fur et à mesure des années, lui apportent très vite une grande renommée. Parallèlement, il invente aussi les stabiles : de grandes tôles peintes, ancrées au sol, et qui jouent avec le vide.
Fernand Léger, Les Grands Plongeurs noirs, 1944
Les corps chutent, plongent, dansent, nagent. Ils sont cernés de lignes noires. Et les couleurs aussi sont en mouvement. Du moins, les oppositions colorées favorisent cette impression. Pour Fernand Léger, ces contrastes traduisent la vivacité du monde moderne. En octobre 1940, il quitte la France pour New York où il peint ce tableau. Plusieurs visions sont venues le nourrir : celle de jeunes nageurs dans le port, à Marseille, puis, plus tard, à New York, des projecteurs balayant les rues, les visages dans la nuit. Enfin, une foule de baigneurs nageant en tous sens dans une piscine. « À qui la tête, dit-il, à qui les jambes, les bras, on ne savait plus, on ne distinguait plus. Alors j’ai fait les membres dispersés dans mon tableau. »
Fernand Léger naît en 1881. Il meurt en 1955. Doué pour le dessin, il fréquente très jeune des écoles d’art parisiennes. Là, il rencontre le milieu artistique En 1913, il réalise une série de toiles qu’il nomme des « Contrastes de formes ». Ce sont des accumulations de cylindres, de tubes et de parallélépipèdes formés de contours noirs et de bandes de couleurs qui expriment un joyeux dynamisme. Pour lui, « la couleur est une nécessité vitale. C’est une matière première indispensable à la vie, comme l’eau et le feu ». Par la peinture, donc, Léger voudrait rendre aux hommes un élément qui leur est naturel mais qui leur manque souvent. À la fin de sa vie, il réalise des toiles monumentales et contribue, par ses œuvres et ses textes, à une réflexion sur le rôle de la couleur dans l’architecture.
V/ Couleurs en mouvement
Par le jeu des couleurs entre elles, mais aussi par l’interaction entre forme et couleur, il est possible de donner l’illusion du mouvement, de la vitesse ou du rythme. C’est, pour nombre d'artistes du 20e siècle – justement fascinés par le mouvement – une découverte qui ouvre à des expériences nourries entre autres par la science, les technologies ou la danse. Sonia Delaunay réalise un tableau où cercles, demi-cercles et contrastes colorés nous donnent avant tout la sensation du rythme. Olafur Eliasson sollicite quant à lui le mouvement de celle ou de celui qui regarde.
Sonia Delaunay, Rythme, 1938
Des disques, des morceaux de cercle, exclusivement. L’œil ne se fixe pas. D’une forme à l’autre, d’une couleur à l’autre, il bouge, il se promène. À gauche, des couleurs vives. À droite, des couleurs plus douces. Pour construire ce tableau, Sonia Delaunay s’appuie sur des théories scientifiques. Mais pour cette artiste, nourrie du folklore russe et des bals parisiens, la couleur est aussi et surtout une passion : « La vraie peinture commencera quand on comprendra que la couleur a une vie propre », dit-elle.
Née en Russie en 1895, Sonia Terk meurt en 1979. Elle s’installe à Paris en 1905. Là elle étudie, fréquente les expositions, les galeries, se voit introduite dans les milieux d’avant-garde. En 1909, elle épouse le peintre Robert Delaunay, avec lequel elle s’engage dans l’aventure de l'abstraction. Toutes les facettes de sa création traduisent son fort intérêt pour la couleur pure. Elle ne peint pas seulement des tableaux, mais aussi des vêtements, des costumes de bal ou de spectacles, décore des espaces ou bien illustre La Prose du transsibérien du poète Blaise Cendrars.
Olafur Eliasson, Your Concentric Welcome, 2004
Grâce à un moteur, Olafur Eliasson fait tourner un verre optique jaune, un verre optique rouge magenta et un disque-miroir auxquels il associe une lampe. Ce dispositif rappelle le cinéma : de la lumière projetée sur un écran. Mais s’il y a cinéma ici, c’est un cinéma sans histoire, sans personnage. Nous sommes dans une œuvre constituée de plusieurs éléments, dans un espace qui lui est propre. L’œuvre change en fonction de nos déplacements. Désireux que le public participe, l'artiste souhaite que nous nous posions des questions : qu’est-ce que l’acte de voir ? Quels sont nos réflexes, nos habitudes ? Comment regardons-nous ? Comment voyons-nous ? Avec les yeux ? Avec le corps ? Avec le cerveau ?
Olafur Eliasson est né en 1967. Artiste danois basé à Berlin, il a grandi en Islande, un pays qui l'a durablement marqué par sa richesse naturelle. Celle-ci a constitué le sujet de son œuvre, commencée dans les années 1990. Simultanément, il a développé un intérêt pour l’architecture et les expérimentations scientifiques. Utilisant des matériaux simples mais des technologies parfois élaborées, l’artiste modifie souvent la perception du lieu où son œuvre est installée. Ainsi met-il en œuvre, en 2003, à la Tate Gallery à Londres, une installation spectaculaire, The Weather Project : un soleil lumineux et des brumes envahissent un espace de la galerie. « L’expérience de la couleur – dit-il – est étroitement liée à l’expérience de la lumière et est, en plus, une question de culture. (…) Les Inuits, par exemple, n’ont qu’un mot pour le rouge, mais plusieurs pour le blanc. »
VI/ La couleur et la vie
Niki de Saint Phalle, L’Aveugle dans la prairie, 1974
Il y a là deux sculptures distinctes, pourtant destinées à être montrées ensemble, pour signifier deux mondes différents entre lesquels toute rencontre est impossible. L’homme est gris, aveugle, absorbé dans la lecture du journal, incapable de voir les motifs colorés dont la paisible vache est emplie, fleurs, taches, rayures. Homme moderne, trop moderne, pressé, inattentif à la beauté qui l’entoure, quand bien même cette beauté se déploie de façon monumentale, quand bien même on ne peut pas la manquer. Un hommage à la couleur, donc. Un appel à ouvrir les yeux sur le monde, aussi, à lever la tête du quotidien pour contempler un autre quotidien : celui de la nature. Tout à la fois comique et monstrueux, ce travail nous propose d’être attentif à ce qui nous entoure.
Née en 1930, décédée en 2002, Niki de Saint Phalle a réalisé des tableaux, des sculptures, des ensembles et des films. En 1961, elle se fait connaître en organisant des séances de tir à la carabine sur des tableaux dans lesquels sont insérées des poches de couleurs. Les tirs font éclater les poches, et libèrent la couleur qui dégouline sur la toile. Les tableaux qui en résultent expriment la violence contenue de la jeune femme – qui s’approprie un acte plus souvent vu comme masculin. Mais ce sont surtout ses « nanas » qui l’ont rendue célèbre : des femmes aux formes généreuses, recouvertes de couleurs vives. C’est dans ce style que Niki de Saint Phalle réalise, notamment, en 1983 les sculptures de la fontaine Stravinsky qui se trouve à Paris, juste derrière le Centre Pompidou.
Bruce Nauman Art Make Up, 1967-68
Au cinéma, avant de tourner, on se maquille. Mais avec ce film dans lequel il joue lui-même, l'artiste américain Bruce Nauman renverse les choses : c’est désormais le maquillage qui est le sujet du film. Ici, on le voit modifier la couleur de son visage. Il applique successivement quatre couleurs sur sa peau : du blanc, puis du rouge (ce qui donne du rose), puis du vert (ce qui donne du gris), enfin du noir, un noir très profond. « Être artiste, dit Bruce Nauman, c’est aussi se présenter, présenter un “moi” à travers son travail. Si vous ne voulez pas que le public voit ce moi, vous vous maquillez. »
Né aux États-Unis en 1941, Bruce Nauman travaille depuis les années 1960. Dans son œuvre, il fait appel à des formes différentes, utilise aussi souvent le langage. Celui qui regarde est amené à expérimenter l’espace, le temps, la violence et aussi parfois – comme ici – l’œuvre en train de se faire. La vie, la mort, l’amour, la haine, le plaisir, la douleur : ces mots apparaissent dans une œuvre lumineuse de l’artiste. « Fondamentalement, dit-il, mon œuvre est issue de la colère que provoque en moi la condition humaine. Ce qui me met en fureur, c’est notre capacité de cruauté, la faculté qu’ont les gens d’ignorer les situations qui leur déplaisent. Ce qui me fascine aussi, c'est de voir comment la colère ordinaire, et même la haine que l’on peut ressentir pour quelqu'un, se transforme en haine culturelle. »
Quand
9h - 19h, tous les jours sauf lundis
16h30 - 2h30, tous les mercredis, jeudis, vendredis