Exposition / Musée
Ellsworth Kelly
27 févr. - 27 mai 2019
L'événement est terminé
Découvrez Ellsworth Kelly, figure majeure de l’art abstrait des 20e et 21e siècles, au travers des six Fenêtres réalisées en France entre 1949 et 1950, accompagnées d’un ensemble de peintures, dessins, esquisses et photographies. Les années françaises de l’artiste ont été une période de perpétuelle invention à laquelle il est régulièrement revenu tout au long de sa carrière.
Quand
11h - 21h, tous les jours sauf mardis
Où
Présentation par le commissaire d'exposition
Ellsworth Kelly est l’une des grandes figures de l’art abstrait des 20e et 21e siècles. Quelques mois avant son décès le 27 décembre 2015, à l’âge de 92 ans, l’artiste décida de faire don au Centre Pompidou de son œuvre la plus célèbre, Window, Museum of Modern Art, Paris (1949). Aussi retrouva-t-elle à la fois la ville où elle avait été créée et, sous les espèces de son avatar le plus récent, l’institution dont l’architecture lui avait servi d’inspiration. La présente exposition, rendue possible grâce à une collaboration étroite avec la Fondation Ellsworth Kelly (Spencertown, New York), rend hommage au geste généreux de Kelly en réunissant, fait exceptionnel, les six Fenêtres réalisées en France en 1949 et 1950, accompagnées d’un ensemble de peintures, dessins, esquisses et photographies qui leur font directement écho.
Né à Newburgh, dans l’État de New York, en 1923, Ellsworth Kelly suit des études d’art au Pratt Institute de Brooklyn en 1941-1942, avant d’être mobilisé l’année suivante dans l’armée américaine. Intégré aux troupes spéciales aujourd’hui connues sous le nom d’armée fantôme (ghost army), où il est notamment affecté à des fonctions de camouflage, il débarque en Normandie en juin 1944 et participe à la libération de la France, ce qui lui vaut de découvrir Paris. Il rentre en 1945 aux États-Unis et suit les cours de l’école du Museum of Fine Arts de Boston tout en visitant divers grands musées de la côte Est. Sa peinture est alors figurative. Grâce à la bourse d’étude accordée aux soldats démobilisés, Kelly s’installe à Paris en octobre 1948 et y restera jusqu’en juin 1954. Il voyage en France, allant voir le retable d’Issenheim de Grünewald à Colmar, les églises romanes en Poitou-Charentes, et devient un habitué des musées parisiens, à commencer par le Louvre.
Son œuvre prend rapidement une inflexion de plus en plus abstraite et pendant son séjour de l’été 1949 à Belle-Île, Kelly peint Window 1, toile de dimensions modestes, en noir et blanc, où l’idée de fenêtre n’existe guère qu’à l’état de structure : celle de la croisée orthogonale, mêlée d’ailleurs à l’observation de poteaux télégraphiques, comme le prouve une encre sur papier parallèle. De retour à Paris, qu’il parcourt inlassablement en se laissant guider par son goût pour l’architecture et pour ses détails, le peintre américain réalise en octobre-novembre Window II, variante de la précédente teintée d’un certain anthropomorphisme, Window III, étonnant monochrome blanc dont le dessin, dérivé d’un croquis hâtif jeté sur le dos d’une enveloppe, est exécuté à l’aide de ficelle cousue sur la toile, et Window, Museum of Modern Art, Paris, une construction peinte en bois et toile, qui reprend la structure et les proportions d’une fenêtre du Musée national d’art moderne de l’époque (aujourd’hui Palais de Tokyo). Ce tableau-objet de près d’1m30 de haut marque chez Kelly l’affirmation d’une esthétique de ce qu’il nommera already made (« déjà fait », très différent du ready-made duchampien en ce qu’il supposera toujours une duplication, moyennant un quotient plus ou moins fort de transformation quant au matériau, aux dimensions et aux couleurs, et non un simple déplacement d’objet), laquelle esthétique sera le principe d’une très large part de sa production ultérieure. Dans ses Notes de 1969, Kelly écrira à ce sujet : « Après avoir construit Fenêtre avec deux toiles et un cadre de bois, je me suis rendu compte que, désormais, la peinture telle que je l’avais connue était terminée pour moi. À l’avenir, les œuvres devraient être des objets, non signés, anonymes. Partout où je regardais, tout ce que je voyais devenait quelque chose à réaliser ; tout devait être exactement ce que c’était, sans rien de superflu. C’était une liberté nouvelle : je n’avais plus besoin de composer. Le sujet était là, déjà fait, et tout était matière. Tout m’appartenait : la verrière d’une usine avec ses panneaux cassés et rapiécés, les lignes d’une carte routière, le coin d’un tableau de Braque, des bouts de papier dans la rue. Tout était pareil ; tout convenait. »
Indice de sa qualité d’objet, la fenêtre perd ici toutes les connotations de transparence qui s’attachaient à elle depuis le début du 15e siècle et le De pictura d’Alberti, où elle était assimilée au tableau même. Kelly nous donne à penser – avant tout à voir – la fenêtre en termes d’opacité. Cela fait de son œuvre un chapitre essentiel de la réflexion touchant le sens de l’art abstrait, son mode particulier de signification et la relation nouvelle qu’il suppose avec son spectateur. Durant le premier semestre 1950, Kelly réalise Window V, une huile sur bois suscitée par des ombres aperçues à travers une fenêtre d’hôtel et initialement censée être suspendue, puis Window VI, la plus grande de ce sextuor de fenêtres, elle aussi en deux panneaux de toile et bois et elle aussi spécifiquement dérivée de la fenêtre d’un bâtiment parisien (celle du Pavillon suisse de la Cité universitaire, conçu par Le Corbusier et Pierre Jeanneret en 1930). Les années françaises de Kelly, ainsi que l’avait démontré l’exposition pionnière présentée à la Galerie nationale du Jeu de Paume en 1992-1993, ont été une période de perpétuelle invention à laquelle l’artiste est régulièrement revenu tout au long de sa carrière. Au cœur du Centre Pompidou, « Ellsworth Kelly : Fenêtres » propose un nouvel examen de ce moment cardinal en se centrant sur le motif qui en donne pour ainsi dire la tonalité dominante et à partir d’une cinquantaine d’œuvres encore jamais réunies. Seule exception à la chronologie du séjour de Kelly en France (1948-1954), l’exposition inclut la dernière peinture laissée achevée dans son atelier à la date de sa disparition, White over Black III (2015), un tableau noir et blanc de grandes dimensions, en deux éléments joints, qui évoque immanquablement la Fenêtre du Musée, avec laquelle il voisinera pour la première fois.
Source :
In Code couleur n°33, janvier-avril 2019, p. 28-31