Exposition / Musée
Une avant-garde polonaise
Katarzyna Kobro et Wladyslaw Strzeminski
24 oct. 2018 - 14 janv. 2019
L'événement est terminé
Poursuivant sa politique d’élargissement du canon artistique aux territoires ou figures marginalisés pour des raisons géographiques ou politiques, le Centre Pompidou met à l’honneur l’avant-garde constructiviste polonaise des années 1920. Articulée autour de deux figures majeures du constructivisme, Katarzyna Kobro et Władysław Strzemiński, l’exposition vous conduit au gré d’un parcours historique complet à travers leur création dans tous les domaines, artistique, typographique ou du design industriel. Réalisée avec le musée d’art de Lodz (Pologne), fondé par Kobro et Strzemiński et auquel ils ont confié la majorité de leurs œuvres, l’exposition permet de découvrir leurs univers riches et originaux, méconnus du grand public du fait des tourments de l’histoire qui ont marqué leur vie et leur pays.
Radicaux dans leurs postures artistiques, ces deux artistes inscrivent leurs idées dans une pratique quotidienne à travers l’enseignement, les éditions et l’organisation de la vie artistique. En couple dans la vie privée, ils travaillent main dans la main ; tandis que Kobro développe le langage moderne de la sculpture, Strzemiński développe celui de la peinture. Si ce dernier reste connu pour la théorie de l’unisme poussant à bout l’idée de l’autonomie organique de la peinture, Kobro l’est pour sa théorie de la sculpture comme forme d’organisation de l’espace. Tous deux sont aussi à l’origine d’une des premières collections publiques d’art contemporain en Europe, qui ouvre en 1931.
Nés en Russie, elle d’origine russe, lui d’origine polonaise, ils commencent leur carrière artistique alors qu’éclate la révolution d’Octobre. Proches d’El Lissitzky et de Kasimir Malévitch qu’ils rencontrent à Moscou et qui leur confient le développement d’une filiale de l’école Ounovis à Smolensk, ils font partie des artistes révolutionnaires de la gauche radicale, qui s’engagent dans la réforme de l’enseignement artistique et qui mettent l’art au service de la société socialiste. À la suite du resserrement croissant de la politique culturelle dès les débuts des années 1920, le couple quitte la Russie soviétique pour s’installer en Pologne qui vient d’être reconstituée. Ils se rapprochent aussitôt des cercles des réformateurs d’art – cubistes, suprématistes et constructivistes — dont des poètes et des architectes. Ils sont membres de plusieurs groupes d’avant-gardes artistiques polonaises comme Blok, Praesens, pour créer finalement leur propre groupe a.r. (artistes révolutionnaires ou avant-garde réelle) avec le peintre Henryk Stażewski et les poètes Julian Przyboś et Jan Brzękowski. Strzemiński devient un fervent divulgateur de l’art moderne, organisant des expositions de groupe ou monographiques comme celles de Malévitch. Le couple d’artistes s’engage également dans les mouvements de l’avant-garde internationale en participant aux groupes de Cercle et Carré puis Abstraction-Création, ils échangent aussi avec De Stijl sans pourtant jamais quitter la Pologne. Ils publient dans les revues de ces mouvements qu’ils font à leur tour connaître en Pologne. Aidés par leurs contacts internationaux, notamment Hans Arp et Fernand Léger, les membres d’a.r. commencent à constituer dès la fin des années 1920, grâce à des dons, une collection internationale d’art contemporain, et envisagent dès le départ son ouverture au public. La coordination en Pologne est effectuée par Strzemiński. La collection comptant les œuvres de Hans Arp et Sophie Tauber-Arp, de Léger, de Sonia Delaunay, de Jean Hélion, de Vilmos Huszar, d’Enrico Prampolini, de Kurt Schwitters, de Georges Vantongerloo, de Theo van Doesburg et d’autres, ouvre au public en 1931 dans le cadre des collections du Muzeum Sztuki de Lodz inauguré un an plus tôt. À la réouverture du musée après la Seconde Guerre mondiale, Strzemiński arrange une salle appelée néoplastique, où, à l’exemple du « Cabinet des abstraits » d’El Lissitzky, il organise lui-même l’accrochage d’une partie de la collection qui comprenait presque cent vingt œuvres.
Longtemps absents des histoires des avant-gardes internationales, Kobro et Strzemiński comptent parmi les piliers de l’art moderne polonais. Tous deux élaborèrent dès le début le chantier de l’abstraction. Les sculptures suspendues de Kobro de 1920 font partie des plus beaux exemples de sculpture constructiviste. La radicalité de ses constructions géométriques, faites de ceintures de métal, place Kobro parmi les sculptrices les plus importantes de la première moitié du 20e siècle. Les peintures abstraites de Strzemiński – les reliefs, les « Compositions architecturales » ou « Compositions unistes » – sont des propositions uniques dans ce domaine. Au cours des années 1930, le style des deux artistes change. Kobro se tourne vers le figuratif schématisé. Strzemiński introduit la ligne organique qui marquera aussi bien ses paysages maritimes que ses nombreux dessins réalisés pendant l’Occupation. Il applique aussi ces dessins à une série unique de collages « À mes amis Juifs », au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, traitant de l’extermination des Juifs polonais. Il devient par ailleurs de plus en plus préoccupé par la physiologie de la perception qu’il développe dans les séries des « Images rémanentes ». Sa dernière œuvre théorique, Théorie de la vision, qui correspond à sa version de l’histoire de l’art analysée du point de vue de l’évolution de la conscience visuelle, a été déterminante pour le développement des avant-gardes polonaises de la deuxième moitié du 20e siècle.
Kobro et Strzemiński complètent aujourd’hui l’histoire des avant-gardes internationales, mais servent aussi de figures exemplaires. Pour eux, l’art jouait un rôle primordial dans la réforme de la société. Croyant profondément en ce rôle, ils ont consacré toute leur vie à tourner l’art le plus moderne et le plus radical vers la société. En cela, ils comptent parmi les utopistes réels, qui ne croient plus à l’efficacité des grandes révolutions, mais à celle des actions à une échelle plus accessible. Par la multiplication de ces actions, le changement voulu lentement s’instaure. Décédés relativement tôt, en 1951 et 1952, en pleine époque stalinienne, ils n’ont pas pu voir le succès de leurs idées.
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