Cinémathèque du documentaire
Chili, cinéma obstiné
11 sept. - 18 déc. 2020
L'événement est terminé
© Nelson Quiroz – chiletoday.cl
Au centre de cette rétrospective d’une cinquantaine de films réalisés entre 1958 et 2020, le travail de trois figures du documentaire chilien, Patricio Guzmán, Carmen Castillo et Ignacio Agüero, en leur présence. Avec des films inédits, des redécouvertes, des rencontres et un hommage exceptionnel à l'écrivain et cinéaste Luis Sepúlveda, emporté par la Covid-19 en avril dernier.
© Nelson Quiroz – chiletoday.cl
Quand on évoque le Chili, une image vient tout de suite à l’esprit : celle de la Moneda, le palais présidentiel en feu, à Santiago. Le président Salvador Allende se trouve à l’intérieur, un président qui va bientôt mourir tragiquement, remplacé par le général Augusto Pinochet qu’Allende avait lui-même nommé au sein de son gouvernement : c’est le coup d’État, « el golpe de Estado ». C’est ainsi que débute La Bataille du Chili (1975-1979), de Patricio Guzmán, la référence du documentaire chilien. Guzmán, madrilène d’adoption, était revenu dans son pays natal en 1971, attiré comme nombre d’artistes et d’intellectuels par l’élan révolutionnaire du gouvernement socialiste d’Allende. À l’instar d’autres jeunes cinéastes, tels Raúl Ruiz et Andrés Racz, il soutient Allende à travers des films enthousiastes. C’est pourtant avec le récit de sa chute qu’il signe son premier chef-d’œuvre. Guzmán est alors contraint à l’exil.
Carmen Castillo ne manque pas non plus de raisons de parler du coup d’État et de la dictature : en 1974, elle a perdu Miguel Enriquez, son compagnon et chef du mouvement révolutionnaire MIR, tué par la DINA, le service de renseignement de Pinochet. Enceinte, blessée dans l’attaque, elle finira par être expulsée du pays. Elle évoque ces douloureux souvenirs dans plusieurs de ses films, en particulier La Flaca Alejandra (1994) et Rue Santa Fe (2007), mais si elle parle de son passé et celui de ses anciens camarades, elle ne tombe jamais dans la nostalgie des idéaux perdus. D’ailleurs, elle ne les a jamais perdus.
Pour les documentaristes chiliens, les événements de septembre 1973 n’ont pas constitué une fin, mais un point de départ. Ceux qui ont pu rester dans le pays ou qui ont commencé à filmer pendant la dictature, se sont donné une mission claire : devenir les chroniqueurs obstinés de la société chilienne, malgré la répression et la censure. Le jeune Ignacio Agüero tourne entre 1979 et 1982 le court métrage clandestin No Olvidar, où cinq femmes d’une même famille retrouvent les corps de leurs maris assassinés par la junte, après six ans de recherches. Carlos Flores Delpino signe en 1981 un film sur la vie de l’imitateur chilien d’un célèbre acteur hollywoodien, dont le véritable sujet est en fait la perte d’identité du pays : El Charles Bronson chileno : o idénticamente igual.
En 1982, le Chili est confronté à une crise économique. Surmontant sa peur de la répression, la population manifeste massivement dans la rue. Gaston Ancelovici (1945-2017) et son collectif Cine-Ojo prennent leurs caméras et réalisent Chile, no invoco tu nombre en vano (1983), témoignage unique d’un mouvement de protestation peu connu et violemment réprimé par le régime.
Deux ans plus tard, en 1985, Patricio Guzmán revient au Chili pour réaliser un film sur le rôle de l’Église catholique sous la dictature, Au nom de Dieu. En effet, l’Église au Chili s’est montrée critique face au régime militaire. La même année, Agüero tourne son premier Como me da la gana (1985), où il interroge ses collègues cinéastes sur le sens de leur travail sous la dictature. On voit la police charger pendant les entretiens mais Agüero laisse tourner la caméra. Au Chili même, tous ces films restent invisibles pendant la dictature. Guzmán, Cine-Ojo et Agüero ont beau suivre la vie mouvementée de leur pays, ils témoignent pour le monde extérieur, pas pour les Chiliens.
Avec la fin de la dictature, cette situation ne change pas véritablement. On parle difficilement des crimes commis pendant les années Pinochet et de son héritage socioéconomique. Pour preuve, le désespoir de Patricio Guzmán dans Chili, la mémoire obstinée (1997), lorsqu’il montre sa Bataille du Chili à ses compatriotes, souvent frappés d’amnésie. Je ressens une grande solitude écrit-il pendant les repérages à Santiago.
Les documentaristes chiliens veulent pourtant ressusciter cette mémoire. Marcela Said rencontre dans El Mocito (2011) un ancien bourreau du dictateur qu’elle décrit, dans la tradition de Hannah Arendt, comme un homme ordinaire et sans relief. Carlos Vasquez Mendez et Theresa Arredondo relatent dans Las Cruces (2018) un massacre d’ouvriers syndiqués commis en 1973, dans le sud du pays. Point d’images d’archives ici, et pour cause : les crimes ont été cachés pendant quarante ans. Il ne reste que le cimetière où les corps furent enterrés.
Harry Bos, programmateur du cycle