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L'histoire secrète de l'International Klein Blue (IKB) d'Yves Klein
En janvier 1957, Yves Klein présente à la Galerie Apollinaire de Milan « Proposte monocrome, epoca blu », une exposition de onze toiles identiques (78 × 56 cm), chacune recouverte d'un pigment bleu outremer — des monochromes. Les tableaux, qui ne sont pas accrochés mais détachés du mur à une vingtaine de centimètres, semblent flotter. Le public découvre ce jour-là le bleu outremer qui allait devenir la marque de fabrique de l'artiste : l'International Klein Blue ou « IKB ». Pour Yves Klein, le bleu est chargé de sensibilité, et propice au passage du matériel à l'immatériel : « Le bleu n'a pas de dimension, il est hors dimension », déclare-t-il.
La monochromie est la seule manière physique de peindre permettant d'atteindre à l'absolu spirituel.
Yves Klein
Yves Klein est fasciné par le bleu du ciel, une réalité immatérielle qu’il s’approprie. Dans le « Manifeste de l’hôtel Chelsea », rédigé à New York en 1961, il raconte ainsi : « alors que j’étais étendu sur la plage de Nice, je me mis à éprouver de la haine pour les oiseaux qui volaient de-ci, de-là, dans mon beau ciel bleu sans nuage, parce qu’ils essayaient de faire des trous dans la plus belle et la plus grande de mes œuvres. »
Pour ses monochromes, l'artiste se met alors en quête de préserver l'intensité et la luminosité du pigment bleu pur. Les liants traditionnels ayant tendance à ternir la couleur en séchant, il fait alors appel à Édouard Adam, célèbre marchand de couleurs du quartier Montparnasse. L'artiste expérimente divers liants avant d'opter pour une résine synthétique, le Rhodopas M, développée par la société Rhône-Poulenc. Appliquée au rouleau afin d'éviter toute aspérité, cette résine lie les pigments bleus sans les ternir, et permet d'obtenir un effet velouté absorbant le regard. Avec ses angles arrondis, légèrement en avant du mur, le monochrome produit alors l'effet d'être en lévitation.
Le bleu n'a pas de dimension, il est hors dimension.
Yves Klein
Dans « L’aventure monochrome : l’épopée monochrome », un texte écrit en 1960, Yves Klein se remémore son accrochage milanais : « Cette exposition était composée d’une dizaine de tableaux bleu outremer foncé, tous rigoureusement semblables en ton, valeur, proportions et dimensions. […] Chacune de ces propositions bleues, toutes semblables en apparence, furent cependant reconnues par le public bien différentes les unes des autres. L’amateur passait de l’une à l’autre, comme il convenait et pénétrait en état de contemplation instantanée dans les mondes du bleu. Mais chaque monde bleu de chaque tableau, bien que du même bleu et traité de la même manière, se révélait être d’une tout autre essence et atmosphère ; aucun ne se ressemblait, pas plus que les moments picturaux ni les moments poétiques ne se ressemblent. »
Le 19 mai 1960, Yves Klein dépose le procédé de l'IKB à l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) sous l'enveloppe Soleau n° 63471. Contrairement à ce qui est souvent raconté, ce n'est pas la couleur elle-même que Klein fait breveter, mais bien la technique — selon la législation française, une couleur en elle-même ne peut être appropriée. C'est l'association spécifique du pigment bleu outremer et du liant Rhodopas M qui constitue l'originalité de l'IKB. En tant que nuance de bleu, l'IKB n’est donc pas « propriété » exclusive de Klein ou de ses héritiers, ce qui signifie que d’autres artistes ou créateurs peuvent l’utiliser librement.
Contrairement à ce qui est souvent raconté, ce n'est pas la couleur elle-même que Klein fait breveter, mais bien la technique — selon la législation française, une couleur en elle-même ne peut être appropriée.
En 2014, l'artiste britannique Anish Kapoor suscite la controverse en signant avec une entreprise spécialisée dans les nanotechnologies une exclusivité pour l'utilisation artistique du Vantablack, un noir plus noir que noir. Mis au point par la société britannique Surrey NanoSystems, le Vantablack est capable d’absorber plus 99,9 % de la lumière — soit un indice de réfraction proche de celui de l'air. Contrairement à l’IKB, qui reste librement accessible dans sa teinte (même si le liant spécifique utilisé par Klein est protégé), le Vantablack est un produit industriel breveté. Mais le Vantablack n'est pas un simple pigment, plutôt un matériau, composé de nanotubes de carbone agencés verticalement et serrés les uns contre les autres.
L'IKB devient la signature de Klein, lui valant une renommée internationale. Il l'utilise dans de nombreuses œuvres, comme ses célèbres Anthropométries, où des modèles nus enduits façon « pinceaux vivants » laissent l'empreinte de leur corps sur la toile. En 1962, Yves Klein décède d'une crise cardiaque. Il avait 34 ans. ◼