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Focus sur... « Un chien andalou », de Luis Buñuel

C'est le film le plus célèbre du mouvement surréaliste. Signé Luis Buñuel et Salvador Dalí, Un chien andalou est, selon ce dernier, « un tableau en mouvement où tous les rêves de son rêve plastique dansent une ronde folle ». Projeté à l'automne 1929 à Paris, le court métrage muet d'une vingtaine de minutes fait immédiatement scandale. Officiellement interdit jusqu'en 1981, il est restauré en 1993 par le Centre Pompidou. Un extrait est actuellement présenté dans l'expostion « Surréalisme ».

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Le film le plus célèbre de l'histoire du surréalisme est né fortuitement d’une conversation à bâtons rompus entre deux amis. Luis Buñuel était pour quelques jours à Cadaquès l’invité de Salvador Dalí au moment des fêtes de Noël, en 1928. À ce moment précis, ces deux futurs grands noms de l’art du 20siècle n'étaient encore que deux parfaits inconnus, dont l’amitié remontait au temps de leurs études à Madrid. Buñuel a ainsi raconté cet épisode : « Dalí me dit : Moi, cette nuit, j’ai rêvé que des fourmis pullulaient dans ma main. Et moi : Eh, bien ! Moi, j’ai rêvé qu’on tranchait l’œil de quelqu’un ». L’idée d’Un chien andalou était née.

 

Le scénario fut écrit en six jours, le temps des vacances. Ce montage de rêves enchaînés, sans aucune intervention de la volonté des deux scénaristes, ouvre au cinéma les portes du surréalisme.

 

Le scénario fut écrit en six jours, le temps des vacances. Ce montage de rêves enchaînés, sans aucune intervention de la volonté des deux scénaristes, ouvre au cinéma les portes du surréalisme. « Dalí et moi, en travaillant sur le scénario d’Un chien andalou, nous pratiquions une sorte d’écriture automatique, nous étions surréalistes sans l’étiquette. » raconte Buñuel. Reparti dans la capitale avec son scénario, il y tourne son film en une quinzaine de jours au mois de mars 1929 — la séquence au bord de la mer fut, elle, tournée au Havre.

La rencontre entre Buñuel et le groupe surréaliste d'André Breton se fait à la fin du mois de juin 1929, par l’intermédiaire de Fernand Léger qui le présenta à Man Ray. Celui-ci cherchait un complément de programme pour son propre film Le Mystère du château de Dé, commandité par Charles et Marie-Laure de Noailles sur la maison qu’ils venaient de faire construire à Hyères selon les plans de Robert Mallet-Stevens. Un chien andalou, qui passait déjà depuis le 6 juin au Studio des Ursulines à Paris, pouvait faire l’affaire. Comme on avait parlé de « surréalisme » à son sujet, cela avait éveillé la suspicion de Breton et de ses amis, toujours sourcilleux quant à l’attribution de l’adjectif « surréaliste » sans leur autorisation expresse. Et c’est dans un climat de franche défiance réciproque que les surréalistes se rendent à la projection du film.

 

Pendant la projection, Buñuel a pris soin de remplir ses poches de cailloux, afin de les jeter sur les surréalistes s’ils réservaient un mauvais accueil à son film.

 

Pendant la projection, Buñuel se tient derrière l’écran afin de sonoriser le film à l’aide de disques, faisant alterner paso-dobles et extraits du Tristan de Wagner. Le réalisateur raconte qu’il avait pris soin de remplir ses poches de cailloux, afin de les jeter sur les surréalistes s’ils réservaient un mauvais accueil à son film. Mais la réaction fut unanime et enthousiaste : Buñuel devint immédiatement le cinéaste « officiel » du groupe.


Le film plait bien au-delà du cercle d’influence surréaliste. Projeté, à partir du 1er octobre 1929, et ce huit mois durant, Un chien andalou occasionne des évanouissements, des avortements et trente (ou quarante, ou cinquante selon les versions) dénonciations au commissariat ! Le scandale n’est pas pour déplaire aux surréalistes, loin de là. Ils le cultivaient comme une arme privilégiée, mais le succès n’était pas du tout de leur goût. Buñuel et Dalí signèrent une note de protestation assez surprenante dans la revue Mirador du 29 octobre 1929 : « Un chien andalou a eu un succès sans précédent à Paris ; ce qui nous soulève d’indignation comme n’importe quel autre succès public. Mais nous pensons que le public qui a applaudi Un chien andalou est un public abruti par les revues et "divulgations" d’avant-garde, qui applaudit par snobisme tout ce qui semble nouveau et bizarre. Ce public n’a pas compris le fond moral du film, qui est dirigé directement contre lui avec une violence et une cruauté totales. » Malgré leurs critiques, le film entre dans la légende. ◼