Focus sur... « Precious Liquids » de Louise Bourgeois
En 1992, Louise Bourgeois présente, à la documenta IX de Cassel, Precious Liquids , œuvre monumentale qui s’intercale entre les deux séries de ce qu’elle appelle les Cells [cellules] : les Cells I à VI (1991), consacrées aux sens, et les Cells de l’enfance, dont Arch of Hysteria (1992) et Cell Choisy (1992), présentées à la Biennale de Venise en 1993.
Cette œuvre récapitulative est la plus emblématique de cette période. Contrairement aux espaces ouverts et transparents des pièces précédentes, il s’agit ici d’un espace clos, obscur, que l’on peut cependant traverser par deux portes. Le contenant et le contenu entretiennent une relation de cause à effet puisque l’intérieur de cet immense tonneau, qui est la reconstitution d’un ancien réservoir de toit new-yorkais, est destiné à la circulation des liquides. Les liquides précieux sont, pour Louise Bourgeois, les humeurs émises par le corps : le sang, l’urine, le lait, le sperme, les larmes, tout ce qui s’écoule, fluide, sous le coup d’un choc émotionnel, l’amour, la peur, le plaisir ou la souffrance. À l’intérieur, se trouve un lit en fer, avec une petite flaque d’eau, entouré de quatre montants auxquels sont accrochés de multiples récipients en verre, cornues et alambics, provenant de matériel de laboratoire. En face, deux sphères de bois surmontées d’un immense manteau d’homme, enfermant une chemise brodée de fillette bourrée de son, avec les mots : Merci-Mercy ; puis, de l’autre côté, deux boules en caoutchouc et une œuvre ancienne en albâtre lumineux, formée de deux mamelles superposées, Trani-Épisode (1989).
Les liquides précieux sont, pour Louise Bourgeois, les humeurs émises par le corps : le sang, l’urine, le lait, le sperme, les larmes, tout ce qui s’écoule, fluide, sous le coup d’un choc émotionnel, l’amour, la peur, le plaisir ou la souffrance.
Cette machine, chargée de significations symboliques, fonctionne à double sens. L’eau stagnant sur le lit s’évapore par les tuyaux de verre, se condense et redescend. Le grand manteau suspendu de façon phallique au-dessus des deux boules symbolise le père, la figure d’autorité répressive. « La petite fille trouvant refuge dans le grand manteau représente l’enfant qui a été soumise à de fortes émotions et s’est montrée capable, dans son processus de maturation, de ressentir de la pitié pour le Grand Extravagant tape-à-l’œil », déclare Louise Bourgeois (notes pour Precious Liquids , 5 novembre 1992).
Cette machine désirante peut être considérée comme un équivalent féminin du Grand Verre de Marcel Duchamp.
Cette machine désirante peut être considérée comme un équivalent féminin du Grand Verre de Marcel Duchamp. À la relation entre les hommes et la mariée, répond celle de la fille à son père. La mécanique des fluides est ici celle de la peur et de la sueur. À la mise à plat correspond le volume, à la transparence, l’obscurité, à la stérilité du célibat, la fécondité humide de la maternité, suggérée par l’homme « enceint » de la robe, les deux seins de Trani-Épisode , et le liquide échappé du tonneau comme le liquide amniotique émis lors de la naissance. La morale de cette œuvre, qui peut s’appliquer à l’ensemble de la production de l’artiste, est gravée sur le bandeau de métal qui cercle le réservoir à l’entrée de l’installation : « Art is a guaranty of sanity » [L’art est une garantie de santé mentale]. ◼
Extrait du catalogue Collection art moderne - La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, sous la direction de Brigitte Leal, Paris, Centre Pompidou, 2007
À lire aussi
Louise Bourgeois, « Precious Liquids » (1992)
Bois de cèdre, métal, verre, caoutchouc, tissu, broderies, eau, albâtre, électricité
© The Easton Foundation / Adagp, Paris
© Centre Pompidou, Mnam-Cci /Dist. Rmn-Gp