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Focus sur... « Croix [noire] » de Kasimir Malévitch

Présentée en décembre 1915 dans l'exposition « 0.10. Dernière exposition futuriste de tableau » à Saint-Pétersbourg, alors que la révolution bolchevique est en germe, cette toile radicale de Kasimir Malévitch a révolutionné l'histoire de la peinture. Également intitulée Deux plans suprématistes en rapport orthogonal, elle résulte de la découpe des deux parties d'un carré. Avec ses compositions réduites à des formes essentielles, le peintre russe manifeste la nécessité de transformer tout autant l'art que la société.

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C'était, sur un fond blanc, une simple croix noire. Une croix grecque, celle dont les branches horizontale et verticale ont la même longueur et dont l'intersection est située en leur centre respectif. […] Quoique d'une sobriété et d'un minimalisme d'une franche aridité, l'œuvre n'en demeurait pas mois vibratoire, voire sensuelle.

Thomas Schlesser, Les Yeux de Mona (2024)

Il ne fait aucun doute que ce tableau, intitulé Croix [noire], mais dont le titre exact serait, selon Andréi Nakov, Deux plans suprématistes en rapport orthogonal, figurait dans la toute première présentation d’œuvres suprématistes, intitulée « 0.10. Dernière exposition futuriste de tableaux », organisée par Ivan Puni (Pougny) sous la direction de Malevitch à la galerie Dobytchina à Petrograd, en décembre 1915. Un accident au milieu du bord supérieur et quelques irrégularités particulières du contour permettent de l’identifier sur les photographies prises lors de cette célèbre exposition qui comptait, parmi les 154 œuvres, 40 peintures de Malevitch. Le premier Carré noir y est également accroché, à l’instar d’une icône, dans l’un des coins supérieurs de la pièce.

 

Disparue pendant soixante ans, la Croix [noire], qui a vraisemblablement appartenu au peintre et compositeur Mikhaïl Matiouchine, réapparaît en 1975.

 

C’est précisément du carré, forme première, que dérivent les éléments suprématistes fondamentaux tels le cercle (par rotation) et la croix, issue de la division du carré en deux rectangles dont l’un pivote sur l’autre à 90 degrés. Les importantes distorsions, que comporte cette première Croix [noire] par rapport à un strict système orthogonal, témoignent d’une tension motrice, comme si la superposition des deux plans n’était pas encore achevée. Cette impression dynamique s’estompe progressivement dans les versions ultérieures de la Croix. L’Ensemble avec un carré et un cercle, réalisé probablement par un élève pour la Biennale de Venise en 1924, et conservé au Musée d’État russe de Saint-Pétersbourg, est plus rigide et exact. Le dessin figurant dans le livreLe Monde sans objet de 1927 (Éd. du Bauhaus) montre bien la superposition de deux barres distinctes.

 

Disparue pendant soixante ans, la Croix [noire], qui a vraisemblablement appartenu au peintre et compositeur Mikhaïl Matiouchine, réapparaît en 1975. Après une importante restauration, le tableau entre, en 1980, dans la collection grâce au don commun de la Scaler Foundation et de la Beaubourg Foundation. ◼

Extrait du catalogue Collection art moderne - La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne , sous la direction de Brigitte Léal, Paris, Centre Pompidou, 2007