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Dans l'atelier de... Gérard Lo Monaco

Illustrateur et décorateur de théâtre, Gérard Lo Monaco est aussi l’un des maîtres du livre animé. Pour le Centre Pompidou, il vient de réaliser le livre pop-up Surréalisme, un petit bijou d’édition qui donne vie aux chefs-d’œuvre de Dora Maar, René Magritte ou Man Ray. Rencontre avec l’artiste dans son incroyable antre parisien dédié à la création.

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Pour trouver le chemin de l’atelier de Gérard Lo Monaco, il suffit de suivre les ados en joggings noirs et capuches qui se fraient un passage entre les gouttes avant de s’engouffrer dans la porte cochère du lycée Jacques-Decour. Nous sommes dans le neuvième arrondissement, et l’établissement, adossé au boulevard Rochechouart, n’est qu’à un jet de pierre de la butte Montmartre. Un peu plus loin, en remontant vers Pigalle, au 42 rue Fontaine, se trouvait l’appartement légendaire d’André Breton, fondateur du surréalisme. C’est au lycée Jacques-Decour, construit dans les années 1870 et qui a notamment servi de décor aux Quatre Cents Coups de François Truffaut (qui y fut élève) que l’artiste Gérard Lo Monaco a installé son atelier depuis deux ans. C’est là qu’il invente et crée, entièrement à la main, les incroyables maquettes des livres animés d’exception qui ont fait sa renommée.

 

Au fil des pages, l’inquiétant Loup-table de Victor Brauner s’anime, le train du tableau La Durée poignardée de René Magritte fonce à pleine vitesse, la Main-coquillage de Dora Maar s’échappe discrètement hors du livre.

 

Depuis plus de trente ans, Gérard Lo Monaco est un magicien du papier. Ses créations poétiques, dont l’apparente simplicité cache des trésors d’astuce et de technicité, ont fait de lui la référence absolue du genre. L’un de ses best-sellers est le livre pop-up consacré au Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry (Gallimard Jeunesse), vendu à plus 1,8 million d’exemplaires. Pour les éditions du Centre Pompidou, et en écho à l’exposition événement « Surréalisme », l’artiste vient de produire un livre éponyme qui donne vie, en 3D, à certains des plus grands chefs-d’œuvre du mouvement qui fête son centenaire. Au fil des pages, l’inquiétant Loup-table de Victor Brauner s’anime, le train du tableau La Durée poignardée de René Magritte fonce à pleine vitesse, la Main-coquillage de Dora Maar s’échappe discrètement hors du livre… 

Découvrez le livre-animé Surréalisme !

 

 

25 € | 23,75 € adhérent

Derrière les hauts murs du lycée, une insoupçonnable cour verdoyante. Un escalier poussiéreux, plusieurs volées de marches usées par des générations de pieds adolescents. Soudain, une porte à la peinture écaillée s’entrouvre sur un kaléidoscope de couleurs. Nous voilà dans le monde imaginaire de Gérard Lo Monaco. L’artiste nous accueille avec sa compagne et complice, Marina Cedro (elle-même chanteuse et compositrice). L’atelier est une enfilade de pièces, toutes baignées d'une lumière dorée.

 

Sur les étagères encombrées mais impeccablement rangées, une collection de livres et des dizaines de boîtes contenant clous, pinces, bobines de fil de fer, mastic, pâte à bois, glu, tubes de peinture, compas, ciseaux – une vraie quincaillerie !

 

Partout, des affiches de spectacles, des masques en papier, et même un petit théâtre de marionnettes (l’artiste a sa propre compagnie, Charivari). Sur les étagères encombrées mais impeccablement rangées, une collection de livres et des dizaines de boîtes contenant clous, pinces, bobines de fil de fer, mastic, pâte à bois, glu, tubes de peinture, compas, ciseaux – une vraie quincaillerie ! Dans un coin, du gros outillage : tour à bois, scie à chantourner pour la marquèterie et même une perceuse à colonne… C’est simple, on se croirait dans l’atelier de Geppetto, le créateur de Pinocchio dans le conte de Carlo Collodi. De temps en temps, un élève passe une tête curieuse. Le proviseur aussi – il a la clé. Gérard et Marina donnent d’ailleurs régulièrement des cours d’arts plastiques, un moment de transmission qui les enchante. 

Comment raconter l’art du pop-up ? « C’est un art du raccourci, de l’ellipse, d’un monde clos entre des pages que l’on libère et que l’on regarde avec des yeux d’enfants. Dans l’espace, apparaissent des formes en volumes qui disparaissent à l’ouverture ou à la fermeture du livre. Il y a un contenu archaïque, voire magique dans ce type de livre, quand les scènes semblent s’évanouir dans les plis de la page. C’est un message d’émotion et de poésie », résume l’artiste, une étincelle dans l’œil. « J’aime énormément les artistes surréalistes, surtout Duchamp et Man Ray. Pour ce livre, j’ai cherché des œuvres qui pouvaient “bouger” », poursuit Lo Monaco. « Ensuite, il a fallu que je décide quel serait l’axe d’ingénierie papier que j’allais mettre en place, les systèmes sont différents à chaque page, c’est un peu un répertoire des formes. Il faut s’adapter à l’œuvre, c’est elle qui commande. »

 

Le pop-up, c’est un langage qui n’est pas codifié. Chaque créateur de livre animé a son système de pensée, certains travaillent uniquement par ordinateur, avec des calculs dignes d’ingénieurs en aéronautique ; chez moi c’est très artisanal !

Gérard Lo Monaco

 

Car le secret du livre animé, c’est ce que l’on nomme « l’ingénierie papier », c’est-à-dire toutes les techniques et trouvailles mécaniques qui vont faire passer les images de la 2D à la 3D. Chez Gérard Lo Monaco, tout se fait à la main. Un travail d’artisan, entre précision horlogère et orfèvrerie. « Le pop-up, c’est un langage qui n’est pas codifié. Chaque créateur de livre animé a son système de pensée, certains travaillent uniquement par ordinateur, avec des calculs dignes d’ingénieurs en aéronautique ; chez moi c’est très artisanal ! » s’amuse l’artiste. Ainsi pour Surréalisme, comptez deux ans de travail. D'abord, Lo Monaco a préparé un prototype entièrement gouaché à la main à échelle réduite, puis il a réalisé une maquette « en blanc » à taille réelle. Ensuite, il a peint chaque décor et parties mobiles à la gouache ; ceux-ci ont été scannés puis ajustés numériquement. En parallèle, son assistante Alice a préparé les fichiers de découpe. Le tout est enfin imprimé et monté manuellement. 

Le livre, cette science inexacte, fait partie de la vie de Gérard Lo Monaco. Il a dix ans lorsqu’il débarque à Paris, en 1958 (il est né en Argentine, ndlr). À vingt ans à peine, fasciné par la vie intellectuelle de la rive gauche, le voilà graphiste pour de grands éditeurs dont Robert Delpire, futur fondateur du Centre national de la photographie et éditeur de Brassaï, Robert Frank. Lo Monaco côtoie le peintre et illustrateur André François (qui dessina le logo de la maison d’édition Jeunesse L’école des loisirs, ndlr), les éditeurs André Balland ou Jean-Jacques Pauvert. En pleine révolte universitaire, le jeune homme participe au livre collectif Les murs ont la parole (éditions Tchou), qui recense les aphorismes révolutionnaires collés sur les murs des rues et universités parisiennes – “Vivez sans temps mort, jouissez sans entraves” ; “Soyez réalistes demandez l'impossible”… Un ouvrage aujourd’hui culte, conçu uniquement à partir de typographies minimalistes (Lo Monaco est féru de typo suisse et fan de l’un des maîtres du genre, Adrian Frutiger).

 

Dans les années 1980, je suis entré de plain-pied dans l’univers du spectacle, avec comme adresses la Cartoucherie de Vincennes d’Ariane Mnouchkine, ou le théâtre de l’Aquarium.

Gérard Lo Monaco

 

Mais l’autre passion de Lo Monaco, qu’il partage avec sa femme Marina, c’est la scène. Il a d’ailleurs été un compagnon de route de Jérôme Savary et de son Grand Magic Circus, réalisant des décors de théâtre avec trois fois rien et beaucoup d’imagination : « Dans les années 1980, je suis entré de plain-pied dans l’univers du spectacle, avec comme adresses la Cartoucherie de Vincennes d’Ariane Mnouchkine, ou le théâtre de l’Aquarium », se souvient l’artiste. Par la suite, il travaillera comme décorateur pour le Théâtre national de Chaillot, et collaborera avec Bob Wilson ou Patrice Chéreau. Il se frotte aussi à l’univers des artistes pop, avec des pochettes de disques pour Les Négresses vertes ou la Mano Negra. En 2020, il signe à la Philharmonie la scénographie de « Putain d’expo », pour son pote de toujours le chanteur Renaud. Et en 2017, il remporte même un Grammy pour son incroyable coffret pop-up réalisé pour une compilation des chansons d’Édith Piaf (Warner) : « C’était fou ! Dans les coulisses, j’ai croisé plein de stars, il y avait Beyoncé et Daft Punk », se remémore l’artiste, encore amusé par l’épisode. Soudain, la cloche sonne, nous rappelant à l’ordre. Fin du voyage. Tels Alice et son lapin blanc, nous devons retraverser le miroir – et plus prosaïquement, prendre le métro. Gérard Lo Monaco nous reconduit vers la sortie, un sourire en coin : « Vous savez, le monde de l’enfance, je le porte en moi. » ◼