Sans titre
1960
Sans titre
1960
Domaine | Dessin |
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Technique | Crayon de couleur et mine graphite sur papier marouflé sur toile |
Dimensions | 150 x 148 cm |
Acquisition | Donation de M. Daniel Cordier, 1989 |
N° d'inventaire | AM 1989-281 |
Informations détaillées
Artiste |
Dado (Miodrag Djuric, dit)
(1933, Royaume de Yougoslavie - 2010, France) | |
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Titre principal | Sans titre | |
Date de création | 1960 | |
Domaine | Dessin | |
Technique | Crayon de couleur et mine graphite sur papier marouflé sur toile | |
Dimensions | 150 x 148 cm | |
Acquisition | Donation de M. Daniel Cordier, 1989 | |
Secteur de collection | Cabinet d'art graphique | |
N° d'inventaire | AM 1989-281 | |
En dépôt | les Abattoirs, Musée - Frac Occitanie Toulouse (Toulouse) depuis le 01-03-2000 |
Analyse
Il y a du Jérôme Bosch chez cet homme-là. Une capacité à engendrer le monstrueux qui n’a d’égale que sa façon de tout sauver par la beauté. C’est cela, Dado, une tératologie sans fin, où le cauchemar bouffon avance main dans la main avec le sublime. Le terme d’« art fantastique », qui vient parfois à l’esprit, ne rend pas justice à la vision enfantée par cette imagination graphique à nulle autre pareille. Car, malgré l’infinie variété des formes grouillantes d’encre, malgré la prolifération des êtres, c’est moins d’un monde irréel hanté que nous parle ce travail, que de notre humanité commune, grotesque et magnifique. « Peut-être, écrit Alain Bosquet dans Un univers sans repos, ce peintre si attachant et si plein de terreurs diverses est-il le type même de l’artiste, en ces dernières décennies, à suggérer qu’un art est aussi bien une ascèse qu’une tentative de saisir le siècle par l’imagination effrénée. » Dire le monde par l’imaginaire, non comme un détour, mais comme une plongée dans l’innommable qui, sous la surface des choses, se cache.
Saisir le siècle : pour ce natif d’un pays balkanique dramatiquement bouleversé, arrivé dans les années 1950 en France, où il ren-contre Jean Dubuffet dans l’atelier de gravure de Patris – rencontre fondatrice, dans un lieu voué au travail sur le papier qui restera l’un de ses supports de prédilection –, c’est en ressaisir, par le trait – et Dado n’aura de cesse de le faire avec une virtuosité sidérante –, la catastrophe ; c’est en imprimer sur le papier l’horreur, signifiée par la balafre implacable de son graphe. Trait uniquement noir dans les premiers travaux (Icare, 1955 ; Triomphe de la mort, 1955), puis accompagné de couleurs légères (Sans titre, 1960), avant de devenir, à la fin des années 1960, beaucoup plus pictural, mêlé en effet à l’acrylique, à la gouache puis à des médiums de toutes sortes (feutres, crayons, etc.), dans des combinaisons défiant les lois classiques de l’art. Qu’il grave, qu’il utilise l’encre ou le crayon, ou bien même qu’il peigne sur toile ou sur des murs (Les Orpellières, Sérignan), Dado est avant tout un dessinateur pour qui le trait est l’instrument cruel et exact d’une révélation. Son art est visionnaire, dès lors que l’on admet que la vision est plus forte que la vue, que l’invention démasque les mensonges du monde de façon bien plus radicale que l’imitation.
Fils d’une mère professeur de biologie, très tôt familier de l’œuvre de Buffon, fin connaisseur des travaux de ce dernier sur l’évolution des espèces, Dado fait de la métaphore organique la base de son vocabulaire plastique. Ici, l’apparemment faux est toujours construit sur la base du vrai, l’anatomie imaginaire découlant, par métamorphoses successives, d’anatomies véritables. Le monstre est le fils de l’homme. Et Icare (1955), mi-homme, mi-chauve-souris, dit ce qui arrive à l’être humain lorsqu’il se rêve à l’égal de Dieu. Proche de l’illustration dans ses travaux des années 1950, parodiant le monde de la gravure qui ornait les ouvrages de vulgarisation scientifique du xix e siècle (Triomphe de la mort, 1955), l’artiste peu à peu invente un monde singulier, où le grouillement graphique des formes est manifestation du vivant : grouillement sans fin, lilliputien, de l’humain enrégimenté dans Alençon, la caserne d’infanterie (1962), grouillement trivial, précis, d’excréments et de putréfaction du Sans titre (1960), grouillement éclaté, détaillé, d’une mutation anatomique permanente dans Sans titre (1968). Il n’y a ni haut ni bas, ni beau ni laid chez Dado, mais une conviction, de plus en plus fortement affirmée, que le vivant est un tout, un seul et même organisme dont procède l’infinie diversité des apparences. Si, à partir des années 1990, les modalités des travaux sur papier, où sont intégrés des collages de feuilles de tous ordres (imprimés, photographies, etc.), se complexifient et se font plus picturales, si, autrement dit, la couleur, sanglante parfois, semble l’emporter sur le trait, si enfin l’acte de l’intervention finit par imposer sa violence à l’image, c’est afin que cette unité se manifeste.
Proche des écrivains et des poètes, Dado a trouvé en Claude Louis-Combet l’un de ses meilleurs interprètes. Ce que celui-ci écrit du cycle mural élaboré par l’artiste aux Orpellières éclaire la manière dont, du papier au mur, la vision demeure soudain monumentale : « Ils sont tous là – remontés de la ténèbre intérieure de Dado et venus s’écraser sur les murs des Orpellières ou s’agglutiner en monceaux de sculptures hybrides et délirantes, les rompus, les torturés, les déchirés, les déchaînés, toute la lie de l’enfance, toute l’engeance des cauchemars. Ils grouillent et souillent. […] L’âme serait soulagée si elle entendait sinon une parole, du moins un rire. Mais ici les bouches ne sont tracées que pour le cri, de même que les yeux, quand ils ne sont pas vides, ne se signalent que par les larmes. Aux Orpellières, pour une éternité aux dimensions de l’humain, l’exode des figures de la douleur et de la déréliction s’est arrêté. Les murs retiennent les monstres. Ils n’iront pas plus loin. En quelque sorte, les voilà sauvés – rescapés arrêtés dans la fureur et absous par la plus sombre et la plus tumultueuse beauté qui soit. » Ainsi avance Dado, en engendrant des monstres comme autant d’exorcismes terribles pour un siècle de catastrophes.
Pierre Wat
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008
Bibliographie
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Daniel Cordier. Le regard d''un amateur : Donations Daniel Cordier dans les collections du Centre Pompidou Musée national d''art moderne. - Paris/Toulouse : éd. Centre Pompidou/Les Abattoirs, 2005 (nouvelle édition revue et corrigée du catalogue publié par le Centre Pompidou pour l''exposition "Donations Daniel Cordier. Le regard d''un amateur" au Centre Pompidou en 1989-1990, à l''occasion de l''exposition "Merci Daniel Cordier", Toulouse, Les Abattoirs, 28 juin 2005-28 août 2005) (reprod. coul. p. 88) . N° isbn 2-84426-263-5
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Collection Art graphique : [Catalogue de] La collection du Centre Pompidou, Musée national d''art moderne - Centre de création industrielle. - Paris : éd. Centre Pompidou, 2008 (sous la dir. d''Agnès de la Beaumelle) (cit. et reprod. coul. p. 317-319) . N° isbn 978-2-84426-371-1
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