Héritage

Gloria Friedmann ne représente pas le paysage : elle l’évoque. « Dans la diversité instable des formes de la nature, existe un principe constant. Ce principe, j’essaie de l’énoncer avec des matériaux contemporains qui se définissent – eux – par une forme stable, et que j’utilise. Je n’imite pas la nature, je la recrée ». Cette évocation indirecte se fait essentiellement par le biais de la sculpture à partir du milieu des années 1980, notamment par la juxtaposition de parallélépipèdes en matériaux bruts soit découpés ou moulés (bois, fer, terre, paraffine), soit recouverts de peau ou de velours, ou encore de caissons en verre contenant des éléments instables (feuilles, plumes, graines, pétales, etc.). La nature est donc présente à la fois littéralement, par prélèvement et juxtaposition de ses fragments, et symboliquement, par la simplification et la géométrisation des formes. Héritage est emblématique car à la croisée de deux types de composition récurrents : l’association d’éléments verticaux en « forêt » et la composition triangulaire en « montagne ». Les trois stèles formant triptyque suggèrent l’élévation vers un au-delà : la tension entre le sublime et le matériel, le rapport conflictuel entre la nature et notre monde contemporain, sont en effet au cœur de l’œuvre de l’artiste. Si Gloria Friedmann créait en 1987 une chapelle profane en plein air dont le chœur, remplacé par une ouverture, érigeait la montagne entrevue en tableau ( Ex Aeterno Tempore , dans la région de Grenoble), Héritage peut apparaître comme un condensé de ce que l’homme hérite de son environnement : la nature avec le bois brut ; la culture avec le fer rouillé, à la fois usiné et vieilli par le temps ; la civilisation enfin, symbolisée par la terre séchée, matière originelle de l’architecture.

Olivier Michelon

Source :
Extrait du catalogue Collection art contemporain - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Sophie Duplaix, Paris, Centre Pompidou, 2007