Parc aux aveugles

Le travail de Seguí est très abondant et difficilement classable dans les courants de la figuration actuelle. À son arrivée à Paris, en 1963, il se fait très vite connaître par des œuvres violemment expressives et satiriques. Puis, à partir des années 1970, les sujets changent pour devenir plus universels, plus énigmatiques, plus généralement humains. Sous-jacent, on décèle toujours ce ton, si propre à Seguí, qui enveloppe de poésie et d’humour l’image la plus banale. Dans ce grand pastel sur toile, on perçoit bien l’univers imaginaire et plastique du peintre, l’aspect classique et moderne de son œuvre avec ce mélange concerté de primitivisme, de simplification, mais aussi de raffinement, qui lui sont très particuliers. Tout tableau de Seguí est d’abord une construction savante et précise : ainsi, dans ce monde de lignes parallèles, seul le jeu subtil des cannes blanches et de leurs obliques suggère la profondeur et, comme dans toute peinture classique, il y a un centre, ponctué par l’unique personnage qui sait où il va et qui nous fait face. Autour de lui se suivent sans se rencontrer, ou bien seulement occasionnellement, les autres aveugles (une métaphore ?) ; ces rendez-vous manqués sont un des leitmotive du théâtre toujours en mouvement, le plus souvent frénétique et syncopé, qui caractérise tout l’œuvre de Seguí. Quant aux arbres, ainsi que la pointe de rouge du chapeau, ils insufflent quelque chose de primesautier, de vif, à ce parc aux tonalités de crépuscule, où la ligne blanche irisée du haut laisse seule filtrer un peu de lumière et où les arbres qui se reflètent dans l’eau donnent une impression de rêve.

Claude Schweisguth

Source :
Extrait du catalogue Collection art contemporain - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Sophie Duplaix, Paris, Centre Pompidou, 2007