Ecce homo

De tous les matériaux utilisés par Étienne-Martin, tout d’abord le plâtre, dont il a façonné ses grandes Demeures , depuis l’ Hommage à Lovecraft (1951-1956) jusqu’aux monumentales Terrasses de la Terre et de l’Air (1973/1984), les tissus (du tulle à la toile de bâche) mais aussi le cuir, le plastique, les passementeries, les cordages et les métaux, c’est incontestablement le bois qui demeure son matériau de prédilection : « J’aime le bois plus que n’importe quoi. J’ai toujours été épaté par la forme du bois, des arbres… Le bois est beau comme une peau humaine… Je préfère l’arbre à la sculpture. Mes racines, mes bois, ce sont des arbres qui tournent mal » (cité par M. Ragon, Jardins des arts , n° 168, novembre 1968, p. 25).

Depuis ses débuts dans la Drôme jusqu’à la fin de sa vie à Paris, Étienne-Martin a recherché dans la France entière toutes les essences d’arbres, du sapin le plus tendre au dur ébène, en passant par l’acacia, le hêtre, le frêne, le peuplier, le tilleul, le platane, le tulipier, le chêne et le châtaignier. Comme en témoignent deux autres œuvres de la collection ( Nuit ouvrante , 1945, AM 1302 S ; Grand couple , 1946, AM 1980-404), il travaille l’arbre dans la longueur du tronc, en suivant le fil du bois, en creusant le cœur et en le polissant jusqu’à obtenir des formes primitivistes mais harmonieuses.

Lorsqu’il s’attaque, en revanche, aux racines qui le séduisent tant puisque, selon lui, « la racine est une magnifique leçon pour comprendre l’arbre » (Pierre Joly, « Architectures de sculpteurs », L’Architecture d’aujourd’hui , n° 34, juin 1964, p. 102-104), l’idée qui prime alors est le dialogue avec la forme. Il suit en effet volontiers les propositions formelles que lui offre la nature pour aboutir à des œuvres exubérantes comme Le Dragon (1947), Le Poisson-Cœur (1968), ou encore La Vrille (1983), baroques comme L’Hommage au Bernin (1954), rayonnantes comme Le Soleil (1963), Demeure 8 (1963), hirsutes comme L’Opéra (1964-1966), Demeure 9 (1964-1966).

C’est ce dialogue de l’artiste avec la forme qui est démontré avec force dans Ecce homo , réalisé à partir de la racine d’un oranger parisien centenaire. Étienne-Martin en a préservé la structure générale, s’y pliant tout en la dirigeant pour accentuer certains éléments anthropomorphiques. Il conserve par endroits l’écorce orange semblable à la peau humaine, et utilise les taches blanches de l’âme du bois comme autant de blessures sur les membres de cet écorché courbé et fortement sexué, entravé d’une chaîne de l’atelier. Cet Ecce homo au titre christique symbolique, réalisé entre 1991 et 1993, est l’une des œuvres ultimes d’Étienne-Martin (il meurt au printemps de 1995), à la fois brute et magistralement dominée.

Nadine Pouillon

Source :
Collection art moderne - La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne , sous la direction de Brigitte Leal, Paris, Centre Pompidou, 2007